Rached Ghannouchi dans la peau d’un présidentiable

La nature a horreur du vide. NidaaTounes, plus que jamais divisé et affaibli, laisse le champ libre à Ennahdha, son ennemi d’hier et allié d’aujourd’hui, pour étendre ses tentacules sur la vie politique. En faisant les yeux doux aux médias de la presse écrite, Rached Ghannouchi se met déjà dans la peau d’un futur présidentiable. 2019 se prépare aujourd’hui, Ennahdha a retenu les leçons du passé et se met à l’ouvrage pour préparer les prochaines échéances.

Conscients du déficit d’image qu’ils cumulent depuis des années, les dirigeants d’Ennahdha renouent le contact avec la presse écrite pour essayer de palier à cette lacune. Dans cet exercice qu’il maîtrise bien, Cheikh Rached Ghannouchi a voulu séduire, tant sur la forme en optant pour le costume cravate, que sur le fond en évitant de se montrer arrogant, en répondant sans détours à toutes les questions qui lui ont été posées. Il a, volontairement, évité de prononcer un speech introductif pour ne pas, dit-il, « orienter le débat » et en se livrant au jeu des questions réponses. Il a préféré mettre l’accent sur les nécessaires réformes des caisses de sécurité sociale et de la caisse générale de compensation, sur la mauvaise gestion des entreprises publiques qui « doivent être gérées comme des entreprises économiques et non comme des œuvres sociales », sur le projet de Budget 2018 qui sera, sans doute, source de débats houleux à l’ARP. Sur ce terrain, Rached Ghanouchi anticipe pour favoriser des compromis en rencontrant aussi bien la présidente de l’UTICA, Wided Bouchamaoui, que le Secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi. La grande nouveauté, c’est que le cheikh s’implique, désormais, dans les questions économiques et sociales qui n’étaient pas jusque-là son terrain de prédilection

Consensus
Ce terme est revenu comme une antienne dans le discours de Rached Ghannouchi. Ce dernier a plaidé pour le nécessaire consensus afin de réussir la transition aussi bien politique qu’économique de la Tunisie. Dans une conjoncture économique et sociale extrêmement difficile et avec des institutions fragiles, le pays « ne pourra pas être gouverné avec la logique de la majorité des 51% acquise par les urnes. Le président Morsi en a fait les frais et a fait entrer l’Egypte dans une très grave crise » fait-il remarquer. Ce terme n’invoque pas nécessairement l’alliance qui existe entre le président Caïd Essebsi et lui comme se plaisent d’évoquer ses adversaires politiques, il désigne plutôt un consensus de près de 75% des élus et des trois organisations nationales, à la base du document de Carthage.

Réconciliation
Là où Rached Ghannouchi s’est montré habile, c´est en défendant le projet de réconciliation administrative qui « a souffert d’une mauvaise communication » et en cautionnant le rappel à des postes de responsabilité de personnalités ayant travaillé avec l’ancien régime. Son argument : « la Tunisie a un besoin pressant de toutes ses compétences ».
Le cheikh sait faire preuve de clémence et d’humanisme, même s’il s’agit d’intervenir en faveur de ses pires ennemis d’hier. Tel fut le cas en recevant la fille d’Abdallah Kallel, ministre de l’Intérieur de Ben Ali « le Satan suprême de tous les islamistes pendant les années de braise », venue pour obtenir son appui pour de meilleures conditions pour son père détenu et malade. Tel fut également le cas en intervenant en faveur de l’une des filles du Président déchu qui était menacée d’expulsion de sa maison. Il lui aurait même proposé de l’héberger chez lui si d’aventure elle aurait des problèmes.
Rached Ghannouchi montre en outre une fidélité à ses engagements avec Nidaa Tounes et réaffirme son soutien à Youssef Chahed et à son gouvernement, tant que Nidaa Tounes fera de même, invitant tous les partis politiques à ne pas user de subterfuges pour retarder encore les élections municipales. Pour lui, cela « ne manquera pas de renvoyer de mauvais signaux à tous nos amis occidentaux qui tiennent à ce que l’expérience tunisienne réussisse ». Pour tourner définitivement une page sombre de la période de la Troïka, il a réaffirmé son engagement personnel à défendre la liberté de la Presse et son appui aux revendications légitimes du secteur.
Rached Ghannouchi sera-t-il candidat pour les élections de 2019 ? A cette question qui n’est plus tabou, le leader d’Ennahdha est resté évasif. Sans infirmer, il a simplement répondu que la question n’était pas d’actualité. S’il venait à briguer la magistrature suprême, ce qui est fortement probable au regard de l’extrême division du camp démocrate, il lui faudrait convaincre tous les réticents et les déçus et ne pas se contenter de l’appui de son propre camp. Réussira-t-il à prouver qu’Ennahdha a changé et qu’il a tiré les leçons de l’échec de l’islamisme politique dans le monde arabe ?
La question mérite réflexion et l’avenir proche seul y répondra.

Taïeb Zahar

Related posts

Le danger et la désinvolture 

Changer de paradigmes

El Amra et Jebeniana