Racisme en Tunisie- Le devoir de mémoire

Être noir en Tunisie constitue-t-il, aujourd’hui, un problème? Si certains affirment qu’il s’agit d’un faux problème, d’autres sont convaincus que le racisme existe encore en Tunisie et que les traces de l’esclavagisme sont toujours repérables.  S’agit-il d’un fléau qui couve en silence ? Si oui, comment le combattre? Pourquoi persiste-t-il ? C’est dans ce cadre qu’une association de lutte contre le racisme « Mnemty HEDUCAP », a organisé à Tunis, une journée de débat appelant à déclarer le 23 janvier de chaque année « journée nationale de l’abolition de l’esclavage ». Eclairages.

«La cohabitation entre noirs et blancs est comme un piano où il y a des touches noires et d’autres blanches. En ce moment le piano tunisien sonne faux parce que les touches blanches ont dominé les touches noires. Et pour qu’on fasse accord, il nous en faut un peu des deux», nous a affirmé Blamassi Touré, président de l’Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (AESAT).

Si le 14 janvier 2011, les slogans revendiqués par les Tunisiens étaient «Emploi, liberté et dignité», aujourd’hui, en 2014, certains acteurs de la société civile appellent à la consécration du 23 janvier « journée nationale de l’abolition de l’esclavage ».

Historiquement, l’esclavage en Tunisie a été permis et pratiqué. Il a même été organisé en commerce. Son abolition s’est faite par étapes, dès 1841 et il constitue désormais une page de l’histoire à ne pas oublier.

En 1841, Ahmed Bey avait fait appel aux faqihs de l’époque pour l’aider à combattre l’esclavage dans la Régence de Tunis. Ainsi, la vente des esclaves fut interdite le 6 septembre 1841. Une année après, les enfants d’esclaves étaient libérés. Plus tard, le décret beylical du 23 janvier 1846 l’avait aboli, officiellement et d’une manière définitive, dans toute la Tunisie.

Or, selon Ibn Abi Dhiaf, ce décret beylical n’était pas le bienvenu chez les bédouins de Jerba. Cela ne les arrangeait pas dans la mesure où ils ont besoin des esclaves pour leurs différents travaux. Le marché de l’esclavage fut toutefois refusé par les citadins, suite à la décision beylicale. En 1890, un autre décret beylical est venu consolider le contenu du décret 1864.

«La Tunisie est le premier pays à avoir aboli l’esclavage, or paradoxalement, le racisme existe toujours en Tunisie. Il est scandaleux de rejeter quelqu’un pour sa couleur», nous a fait savoir Mounira Chapoutot-Remadi, professeure émérite d’histoire du moyen âge du monde arabe et musulman, à l’Université de Tunis. Intéressée par ces questions, elle a élaboré un dossier exhaustif sur l’esclavagisme, en collaboration avec le chercheur Ridha Tlili et Stéphanie Pouessel, anthropologue, chercheuse à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, à Tunis.

La journée de débat organisée entendait sensibiliser le public autour de cette épineuse question sociale : le racisme. Objectifs : éduquer grands et petits, attirer l’attention sur le silence de la loi et l’omniprésence des «blancs» dans la sphère médiatique.

L’être humain serait-il, encore, en 2014 réduit à sa couleur? Le racisme est-il une nature, ou ce sont les conditions sociales qui rendent les gens racistes? Telles sont des questions, parmi d’autres, que se sont posées les intervenants.

«Les noirs ne sont pas présents dans les plateaux Tv. Comme s’ils n’existaient pas», nous a affirmé Saadia Mosbah, présidente de Mnemty, et d’ajouter que « le système éducatif est aussi à refaire, car il n’encourage pas «le vivre ensemble».

Séjour des citoyens d’origine subsaharienne

Une lettre ouverte a été adressée à ce propos au président de la République, M. Moncef Marzouki. L’objectif en est d’alerter les autorités publiques sur les discriminations ainsi que sur les agressions dont sont victimes les étudiants subsahariens.

«Il y a eu des progrès, nous étions reçus par le Président de la République. Il y a eu beaucoup de promesses qui ont été faites. Les cartes de séjour commencent à être disponibles, mais on continue toujours à payer une pénalité en cas de dépassement du délai de 3 mois sans titre de séjour. Entre la théorie et l’applicabilité, il existe un grand fossé», nous a affirmé Lionel Freddy Foné, responsable de communication.

Pour Aicha Embalo, étudiante, en première année, à l’ISCAE, originaire de la Guinée Bissau, la question de l’intégration ne s’est même pas posée lors de son séjour à Tunis. «J’ai gagné les bancs de l’école, j’ai noué des relations avec des amis merveilleux et j’avance dans mes études sans la moindre difficulté».

«En réalité, nous avons la chance d’avoir des médias qui nous informent à la seconde de ce qui se passe, il faut qu’ils dénoncent le racisme, la discrimination à l’égard des femmes, l’esclavagisme», nous a affirmé Mme Chapoutot. Avant d’ajouter «Il y a des combats sur lesquels il ne faut pas céder».

Chaïmae Bouazzaoui

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