Racisme  ?

Le 8 novembre, la chaîne de télévision LCI dénonce, à la fois, les maltraitances infligées aux Subsahariens et les manifestations de soutien au Hamas palestinien. Les deux attestent « le racisme tunisien ». Ce genre de gnose vogue à la surface des choses. Or, tous deux sémites, juifs et musulmans adhèrent à une religion où il est question d’un peuple élu. Les autres seraient donc, ipso facto, déchus.
Cette infériorité fonda, entre autres, l’usage de l’esclavage. Celui-ci n’épargne ni l’Occident ni l’Orient. Au plan historique, la traite des noirs transite à travers des champs désertiques et océaniques. De nos jours, l’investigation découvre les vestiges de l’esclavage. Non loin de Gabès, le village nommé Mdou donne à voir une population à majorité noire.
En 1972, avec un groupe d’étudiants où figuraient Morchid Chabli et Tahar Chagrouch, deux militants, nous menions l’enquête, sans questionnaire, ni échantillon, ni tambour, ni trompette. Le plus âgé de la communauté nous dit : « Voyez-vous ces traces autour de mon cou ? C’est la corde avec laquelle on nous attachait ». Soudain, nous réalisons à quel point l’esclavage n’est guère si lointain.
Aujourd’hui encore, ce background inspire les rubriques médiatiques. Les commentateurs citent «l’esclavage » des employées de maison, des ouvrières agricoles ou d’autres catégories taillables et corvéables à merci. Parmi les multiples incitations à la stigmatisation opère l’influence des religions. La Torah, le Nouveau Testament et le Coran partagent une vision du monde à travers le même prisme déformant.
De cet apriori dérive une série d’ambivalences et d’ambiguïtés.
Khomeyni combat l’impérialisme américain et Hamas lutte contre l’expansionnisme israélien.
Mais la référence à la croyance coranique mène les mollahs d’Iran à brimer la féminité. Comment, dès lors, approuver l’anti-impérialisme et désapprouver le machisme jusqu’ici entremêlés ? Il suffirait de troquer la croyance contre l’immanence. Dans ces conditions, l’Iran ne lutterait plus au nom de la religion mais il combattrait l’adversité au nom de l’égalité.
Pareille optique, pour l’instant utopique, paraît commencer à flirter avec sa mise en pratique. Chine, Russie, Yemen, Corée du Nord arborent des religions différentes mais leur commune dénonciation de l’hégémonie américaine rejoint une même politique pragmatique.
Une fois la métaphysique reléguée au second plan commence l’immanence et régresse la croyance. Telle apparaît l’orientation apte à torpiller l’argument de l’islamisme utilisé par le fascisme israélien et américain.
La foi chrétienne, judaïque et islamique, limitée à la sphère privée n’aurait plus à coloniser la vie publique. Ce programme serait apte à résoudre maints drames.
Les espèces de prêcheurs énonceraient la misère liée à l’arbitraire et reprendraient ce mot dit : « Notre père qui êtes aux cieux, restez-y ». Semblable mouvance, nimbée de cohérence, aurait à être inculquée dès la prime enfance. A l’école primaire, j’éprouvais l’incompatibilité ressentie entre ma foi et l’audition de mes instituteurs français. Comment adhérer sans réticence au calcul enseigné avec la grammaire par ces infidèles ?
Aujourd’hui, la haine entretenue entre juifs et arabo-musulmans tombe sous la férule de cette problématisation. La propagande israélienne cache la colonisation et porte l’accent sur l’islamisme assimilé au terrorisme. Mais les combattants palestiniens lutteraient-ils avec une égale virulence au cas où serait barrée leur croyance ? Ce genre d’appréciation ne saurait gommer l’exigence de l’immanence. Pour l’obtention de l’indépendance, Bourguiba ne réclamait pas le soutien d’Allah. Il remettait en question le communautarisme, foyer de l’islamisme, là où suffisait le patriotisme. Visionnaire, il vitupérait « ashab al âmayèm » bien avant les tartufferies, les fourberies et les filouteries de Ghannouchi. Son objectif, la théocratie, revient à surplomber la croyance privée par l’inquisition sociale. De là proviennent le malaise infligé par la noire décennie et le soulagement ressenti depuis le ridicule d’un « président » détesté face au Parlement avec ses portes fermées. L’inauguration du totalitarisme débute là où disparaît la distinction à établir entre la croyance religieuse et les prérogatives de l’Etat même si, lors de la transition, le sabreur d’Ennahdha évoque Allah mille fois. Souad Chater, une intime du Combattant suprême le dit croyant. Mais comment distinguer entre l’adresse politique dans un pays à peuple musulman et l’intime conviction ? Néanmoins, Bourguiba cite le droit et n’a guère besoin de fonder son charisme sur la charia. Pour cette raison, son profil incarne et symbolise le type idéal de l’émancipation radicale. Ce paradigme crucial outrepasse le temps et l’espace pour entretenir une partie liée avec l’universalité.
Certes, Ben Ali l’usurpateur l’a trahi, mais déjà, le nom du fuyard disparaît peu à peu des mémoires, quand celui de Bourguiba restera illuminé au firmament de la pensée. Quel est donc l’ultime secret de sa renommée ? Il fuse de la transition vers l’émancipation et la modernité.
En régime théocratique, l’ennemi, c’est le satanisme. En régime démocratique, l’adversaire c’est le colonialisme. Tel est le sens de l’immanence opposée à la transcendance.

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