Un écrivain rencontre une femme de passage dans son pays situé en Afrique du Nord. En réponse à la demande de cette dame, l’écrivain a « remonté le petit garçon qui va (la) balader dans sa ville natale ».
Dans cet exercice très particulier, il va enfin savoir « à quoi ça peut bien servir d’écrire, (…) à (lui) dire qui (il est) pour autant qu’(il) le sache (lui)-même ». Raconter la vie, l’enfance, la famille. Raconter ce qui l’a fait tel qu’il est. L’influence des aïeux, leur omniprésence. Raconter la douceur des histoires entendues de la bouche d’une tante, le soir, pour s’endormir. Dire les expériences, les images, les goûts, les odeurs. Toutes les étapes de la vie qui forgent un être. Décrire la rue, les quartiers, la ville, la chaleur, la poussière, les mouches. Parler de la vie et de la mort, de ceux qui arrivent, de ceux qui partent, de ceux qu’on croise pour un jour, pour la vie. Réveiller les souvenirs enfouis, ceux qui font froid au fond de l’âme comme ceux qui réchauffent. Redessiner les images du passé. Ré-entendre les paroles de l’imam qui connaît bien les faiblesses de la nature humaine. Revoir les couleurs des fêtes. Écouter les bruits de la ville et ceux de la mer. Par touches successives,Ali Becheur promène son écrivain tout au long de sa vie par des allers-retours incessants qui sont autant d’occasion pour dire les femmes qui ont accompagné sa vie. Magnifique passage que cette joute, derrière la vitrine du Paradis des Femmes, cette immuable bataille que se livrent vendeur et acheteuse autour d’un coupon de tissu.
Magnifique rencontre du désir jusqu’au « moment où il faut laisser les corps se parler ».Magnifique transition au statut d’homme dans une douleur que les grands airs de la fête organisée ne laissaient pas soupçonner ! Magnifiques tranches de cette vie qui « contient la mort » et ne peut pas être dissociée d’elle car elle est sa liberté.
C’est un beau livre. Un peu hermétique par certains côtés car il distille son propos à son rythme qui peut ne pas être celui du lecteur dont l’impatience risque d’être troublée. Il suit sa voie et nous mène finalement à bon port comme il l’entend. Avec beaucoup de délicatesse.
Farouk Bahri
*Le Paradis des femmes, Ali Becheur, Tunis, Elyzad Poche