Le rite du jeûne mérite d’être examiné à la fois du point de vue médical et celui de la psychologie sociale. Donc, Il est fort pertinent de voir comment la médecine décrit les bienfaits du jeûne sur le cerveau humain, l’organe maître de l’identité humaine. D’où cerveau et jeûne, une association qui fait bon ménage depuis la nuit des temps. Les religions ont ritualisé ce chemin de privation pour rapprocher l’âme de Dieu. Les vertus présumées du jeûne comme la clarté, la vivacité et la clairvoyance une réalité physiologique ? Du côté des médecins, le jeûne a toujours été considéré en Occident comme dangereux. A cause de leur formation médicale occidentale plusieurs de nos médecins ne le pratiquent pas et ne le recommandent pas à leurs patients. Mais cette attitude est en révision suite aux nombreuses découvertes. En 1880, un médecin américain, Dr Dewey, fait une observation essentielle. Chez les personnes mortes de famine, le cerveau et le système nerveux sont intacts, au contraire de tous les autres organes ! Même lorsque l’on meurt de faim, l’organe cérébral reste alimenté. L’énergie du cerveau est fournie normalement par le glucose. En cas de privation de nourriture de plus de 16 heures, l’organisme fabrique un substitut du glucose : les corps cétoniques. Et le cerveau adore ça !

Par Mahmoud Dhaouadi*
Les bienfaits du jeûne selon la psychologie sociale
Le thème central de la discipline de la psychologie sociale depuis son origine est l’intéraction entre le psychologique et le social dans les comportements des individus. Le jeûne annuel du mois de Ramadan en 1440 /2019 par les musulmans, offre un exemple pour l’analyse de cette discipline, à savoir l’impact psychosocial sur les musulmans et leurs communautés. Il suffit de faire mention de huit exemples pour en faire le point en commençant par ceux que le musulman gagne au niveau psychologique de son jeûne du Ramadan.
1-Durant ce mois, le musulman évite, de l’aube au coucher du soleil, de manger, de boire et d’avoir des rapports sexuels. Il s’agit ici de ce que les psychologues modernes appellent les besoins primaires. C’est-à-dire, ce sont des besoins très forts pour la survie des humains. Il est, donc, difficile de résister à leur tentation. Inspirés par leur croyance religieuse, les musulmans défient l’impulsion de ces besoins primaires durant le jour pour tout le mois de Ramadan. Ce dernier est le temps pour les musulmans d’apprendre à se discipliner pour une période de quatre semaines successives. Ce jeûne annuel enseigne au musulman la patience et le contrôle de soi sont essentiels pour un meilleur développement de la personnalité humaine.
2– Comme nous l’avons déjà souligné, Il y a aujourd’hui une évidence médicale importante en faveur des effets positifs que le jeûne apporte au cerveau et au corps humain. Un nombre croissant de médecins le recommandent pour leurs patients en tant que traitement thérapeutique. L’Islam va plus loin à cet égard. Il prend les points positifs du jeûne au sérieux pour le bien de la santé des individus. Il en fait une obligation annuelle pour tout un mois pour les musulmans adultes en bonne santé. Le Coran insiste que le jeûne est bénéfique pour le bien-être du corps et l’esprit humains. Il purifie le corps en accordant à l’estomac un repos complet durant le jour. Certes, les médecins de type Dr Dewey sont en bonne position pour nous montrer la sagesse bio-physiologique et cérébrale que symbolise, pour les musulmans, le jeûne de quatre semaines du mois de Ramadan.
3-Pratiquement, tout musulman faisant le jeûne a une expérience quotidienne, pendant tout le mois de Ramadan, de joie et de bonheur durant la dernière heure qui précède au coucher du soleil. Il est de plus en plus joyeux au fur et à mesure qu’il s’approche de la fin de son jeûne. Il se sent heureux parce qu’il peut, après le coucher du soleil, avoir une liberté complète pour satisfaire ses besoins primaires. Ce sentiment quotidien de joie pendant 30 jours constitue une thérapie positive pour le psychique de l’humain selon la psychologie moderne. En plus, la personne faisant le jeûne est aussi heureuse parce qu’elle se ressent spirituellement plus en forme en apprenant à être discipliné.
4-Les sociologues ainsi que les psychologues ont bien décrit les nouvelles générations des sociétés occidentales avancées en tant que « me-now-generations » qui ont de la difficulté à retarder la satisfaction de leurs désirs. L’extrême rapidité de communication aujourd’hui ne fait qu’amplifier l’impatience de retarder la satisfaction des chez la nouvelle génération. D’où, Le jeûne du Ramadan est, certes, un rite religieux annuel idéal qui enseigne à la fois aux jeunes et aux plus âgés des musulmans une pratique quotidienne de retarder la gratification de leurs besoins primaires pour la durée de quatre semaines successives. Ceci servirait favorablement une fondation plus forte de la personnalité et le caractère de ceux qui font le Ramadan.
Quant aux récompenses que les communautés musulmanes trouvent collectivement/socialement dans le jeûne, nous nous limitons à en mentionner quatre.
1-Nous avons déjà souligné que le jeûne est bénéfique pour la santé de l’individu, mais il engendre aussi parmi la population faisant le jeûne une attitude favorable envers les misérables de la société et surtout envers ceux qui sont victimes de faim chronique. La solidarité de la population avec les pauvres et les affamés est le résultat de sa propre expérience directe avec la faim et la soif durant les jours du mois de Ramadan. Ceci est un exemple concret du rôle social que joue le jeûne dans la consolidation de l’esprit de corps des sociétés musulmanes.
2– Comme ailleurs dans la vie moderne, les membres des familles musulmanes ne réussissent pas toujours à partager un repas ensemble. Mais l’arrivée de Ramadan rend ce partage en famille une pratique quotidienne pour quatre semaines. Ceci renforce la solidarité et la cohésion de la famille en tant qu’unité sociale troublée par la vie moderne.
3-Dans les sociétés musulmanes, le mois de Ramadan vise à fortifier la solidarité sociale parce qu’il a ses propres valeurs, normes et éthiques que les musulmans faisant le jeûne respectent souvent. En termes sociologiques, plus les gens partagent un ensemble symboles culturels, plus leur solidarité sociale devient déterminante et solide. Juste quelques minutes avant le déjeuner, les scènes des petits villages ainsi que des petites, moyennes et grandes villes des pays musulmans prouvent une manifestation visuelle d’une certaine solidarité des musulmans à travers l’espace et le temps. Durant cette courte période, on ne voit presque personne en mouvement en dehors des maisons, des restaurants et des cafés. Au coucher du soleil, les endroits peuplés ainsi que ceux qui sont moins peuplés deviennent quasi-entièrement désertés en terres musulmanes pendant tout le mois de Ramadan.
4-Le nombre des musulmans aujourd’hui dans le monde est beaucoup plus qu’un milliard. La majorité de ceux qui ont 18 ans ou plus font le jeûne du mois de Ramadan dans des pays et des continents différents. Ces grandes masses des populations musulmanes de langues et de couleurs et d’appartenances ethniques multiples sont unies à travers le globe, malgré toutes ces différences, par leur expérience commune du jeûne du mois du Ramadan.
*Professeur de sociologie/Univ.de Tunis