Tandis que la campagne électorale pour l’élection des conseils locaux le 24 décembre prochain est sur le point de démarrer (3-22 décembre 2023), un scrutin aussi fade que le précédent, celui de l’Assemblée des représentants du peuple, l’année 2024 s’annonce avec des perspectives inquiétantes au regard des derniers résultats enregistrés et publiés par l’Institut national de la statistique.
Il est question d’un important creusement du déficit commercial de 26,8% pour le seul mois d’octobre 2023 à 2,8 milliards de dinars, la couverture des importations par les exportations ayant perdu 4,5 points pour le même mois.
Une des explications est le recul inédit des exportations des fruits qui, au cours de cette année 2023, ont baissé de pas moins de 18% en raison des problèmes climatiques (canicule, manque d’eau) et de la régression des investissements dans le domaine agricole.
Au courant de cette année 2023, la Tunisie a dû importer la plupart de ses besoins en blé (24 millions de quintaux), dans un contexte d’inflation importée élevée, de flambée des cours mondiaux, notamment des hydrocarbures, et de pénuries. Il n’est pas inutile de rappeler, ici, que l’agriculture est un domaine stratégique pour la Tunisie et à ce titre, son recul est on ne peut plus inquiétant du fait de son impact sur tous les autres secteurs économiques, sans oublier son impact social qui risque d’être douloureux, d’autant que l’Etat compte encore sur les prêts intérieurs et étrangers pour renflouer ses caisses et boucler son budget annuel de 2024.
En raison du contexte géopolitique mondial qui subit encore les soubresauts de la guerre en Ukraine, auxquels il faudra ajouter les répercussions du conflit israélo-palestinien, il faut s’attendre aussi à ce que le tourisme, l’autre source de devises pour l’Etat, en subisse l’onde de choc. Le massacre des Palestiniens de Gaza par l’armée sioniste a fait monter des vagues de contestations antioccidentales inégalées dans toutes les capitales du monde et favoriser la montée de l’antisémitisme et de l’islamophobie.L’extrême droite dans les pays d’Europe et aux USA a profité du climat de tensions pour faire courir ses discours racistes et xénophobes et semer la graine de la haine identitaire dans les sociétés européennes. Sur le réseau social X, des appels sont lancés par des internautes français pour boycotter les destinations touristiques du Maghreb, dont la Tunisie.
Un indice qu’il conviendra aux services compétents de ne pas négliger.
Plusieurs obstacles se dressent devant l’amélioration de la conjoncture économique nationale. Et Kaïs Saïed reste convaincu que ce sont les lobbys, qui se sont développés durant la décennie noire et les sinistrés du 25 juillet 2021, qui sont derrière tous les blocages. A titre d’exemple, les programmes lancés pour lutter contre les monopoles, les spéculations et les pénuries n’ont pas atteint leur objectif : les prix continuent d’augmenter inexorablement et d’éroder le pouvoir d’achat des Tunisiens qui, malgré tout, font preuve de beaucoup de patience. D’autres programmes connaissent le même sort : le programme de conciliation pénale et celui de la récupération des biens spoliés qui portent l’espoir de Kaïs Saïed de renflouer les caisses de l’Etat et de compenser l’absence du crédit du FMI. Mais ces projets n’avancent pas, l’intendance ne suit pas, les administrations ne réagissent pas, pour diverses raisons d’ordre juridique, procédural ou autres.La lenteur dans l’exécution touche également le traitement judiciaire des affaires liées aux complots contre la sûreté de l’Etat et celles accusant des hommes d’affaires de corruption, de monopole, de blanchiment d’argent ou de biens spoliés. Kaïs Saïed, pour qui la montre court très vite à un an de la prochaine élection présidentielle, n’a aucun doute que les hommes d’affaires incriminés sont en lien avec des éléments nocifs faisant partie de l’administration publique qui mettent les bâtons dans les roues pour protéger leurs intérêts. Pour y remédier, un audit des recrutements dans la fonction publique depuis 2011, à la recherche des faux diplômés et des recrutements sur la base du népotisme, a été ordonné, sans succès jusqu’à ce jour.
Malgré les remontrances accompagnées d’avertissements à chacune de ses visites-inspections, et ses menaces à répétition rappelant que les « missiles sont en place sur leur rampe de lancement », Kaïs Saïed fait face à un mur, ou plutôt à des sourds-muets.
Les hommes d’affaires concernés par ces dossiers ne répondent pas ou peu aux appels du président, dont l’intention est de financer avec les fonds récupérés des projets dans les régions les plus pauvres afin de booster les investissements et l’emploi des jeunes, et boudent notamment la commission nationale de conciliation pénale qui, après un an d’existence, présente un maigre bilan.
Parallèlement, les campagnes de diabolisation, sur de simples présomptions, des hommes d’affaires et des entreprises privées qui jouent un rôle primordial dans l’économie tunisienne faisant planer une véritable menace sur notre vulnérable société, se multiplient.
Il est toujours dur de ramer à contre-courant et il faut être fortement déterminé pour aller jusqu’au bout. Pour Kaïs Saïed, les tribunaux attendent les récalcitrants et il se dit lui-même prêt à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour accélérer la reddition des comptes qui vise « l’assainissement du pays » de ceux qui sont responsables de sa ruine et de son blocage. Ceci étant, il n’empêche qu’il faut craindre que la conséquence de cette opération n’assène un coup d’arrêt à l’investissement en général, même si le président promet qu’il n’a pas l’intention de persécuter les hommes d’affaires « honnêtes ».
Les blocages à tous les niveaux ne sont pas une illusion mais une réalité. Les mauvaises langues prétendent que les hommes d’affaires ne se manifestent pas parce qu’ils espèrent gagner du temps, ils attendent le départ de Kaïs Saïed pour se dérober à la reddition des comptes. Auront-ils gain de cause ? Pas si sûr. Il reste une année (au moins) à Kaïs Saïed pour finir son travail et dans le cas où il ne serait pas achevé, les Tunisiens se chargeront de le faire, car la reddition des comptes est leur projet national et non pas celui de Kaïs Saïed, seul.
105