Depuis des mois, une pluie de rapports des différentes instances de contrôle tombe chaque fois pour dénigrer, à tort et à travers, des institutions publiques, voire même des personnes. Malheureusement, c’est aujourd’hui devenu presque une concurrence entre les différentes instances pour dévoiler, selon leur point de vue, des dossiers de corruption. Le dernier en date est celui de la Cour des comptes qui a créé une polémique dont le pays n’a nul besoin. Au final, les instances de contrôle ont perdu beaucoup de crédibilité pour ne pas dire qu’elles se sont discréditées. Pis encore, les Tunisiens honnêtes et compétents quittent le pays en masse et personne n’accepte plus aujourd’hui d’être à la tête d’une quelconque institution.
Accuser une institution ou une personne de corruption est une décision qui doit être bien réfléchie et appuyée par des justifications très solides. Malheureusement, selon les instances de contrôle tunisiennes, vous êtes coupable jusqu’à preuve du contraire. Ce principe fait plus de mal que de bien pour un petit pays dont l’unique atout est son capital humain.
Le récent rapport de la Cour des comptes a fait couler beaucoup d’encre et devrait nous amener à nous interroger d’une manière objective et en profondeur sur le fonctionnement de toutes les instances de contrôle avant qu’il ne soit trop tard. Pour cela, il faut une méthode et une approche. La première règle est que chaque rapport doit être considéré comme un travail humain qui n’est pas exempt d’erreurs et n’est pas forcément au-dessus des critiques. Ainsi, il va falloir éviter les communications accusatrices du moment qu’il n’y a pas de verdict final. Ceci est vrai pour toutes les instances dont on sait que de nombreuses accusations sans fondement n’ont pas eu de suite judiciaire ou débouchent sur un non-lieu. La Cour des comptes n’a pas à donner une conférence de presse suite à son rapport et il n’y a aucune raison de le faire si ce n’est du simple populisme politique. Le président de la République, le président de l’ARP et le Chef du gouvernement en feront l’usage qu’ils souhaitent. Ceci est vrai pour toutes les autres instances, INLUC, CGF, etc.
La confusion autour de la corruption
Corruption est le mot le plus utilisé en Tunisie avec de nombreuses confusions et malentendus. En effet, on confond souvent entre mauvaise gestion, mauvaise stratégie et corruption. Car quand le gouvernement s’endette pour boucler son budget et qu’il doit, entre autre, payer les salaires des fonctionnaires avec la nouvelle dette, cela relève de la mauvaise stratégie mais ce n’est pas de la corruption. Le responsable de Tunisair se retrouve aussi parfois dans des situations où il doit choisir entre deux mauvaises actions pour débloquer une situation urgente et ceci n’est pas de la corruption. Pis encore, le PDG de la caisse sociale, CNRPS, n’a pas à assumer les défauts de notre système d’information. Car, quand on compte environ 16 millions de Tunisiens inscrits dans le système informatique des municipalités, il ne faut pas s’étonner du reste. Partant, il est urgent de définir d’une manière claire les contours du concept de corruption et distinguer les différents actes de mauvaise gestion qui n’ont rien à voir avec la corruption. Car en ce moment, cela ressemble à un marché aux enchères.
Pour revenir au fameux rapport de la Cour des comptes, en regardant de très près la partie consacrée à la dette publique extérieure, on se demande l’utilité d’un tel chapitre avec des recommandations très vagues, valables pour n’importe quel pays. Ceci n’est pas étonnant quand un non-spécialiste aborde une question aussi technique que la dette extérieure. A ce titre, la Cour des comptes considère que la hausse de l’endettement extérieur est un dysfonctionnement comme si la Tunisie avait d’autres choix. Ainsi, la recommandation de la page 90 du rapport est incompréhensible. Elle suggère aux autorités de mobiliser les prêts programmés dans la Loi de Finances. Faut-il rappeler à ce stade que la LF repose sur des hypothèses, de sorte que même les ressources d’emprunt ne sont jamais acquises d’avance. Les schémas de financement du budget reposent souvent sur des hypothèses liées aux capacités du pays. Ces capacités sont liées aux conditions du marché intérieur et aux conditions exigées par les bailleurs de fonds et les marchés internationaux.
S’agissant de l’épineuse question relative à la compagnie Tunisair, il y a une grande confusion. Corruption, mauvaise gestion et problèmes liés aux capacités financières de la compagnie et de mauvaises interprétations, tout est confus. Le rapport indique que la Compagnie aérienne nationale a fait décoller, depuis 2016, des avions avec plus de 5 pannes. Ceci n’est pas possible. La réglementation européenne et internationale interdit aux avions de décoller au moindre risque. Autrement dit, l’avion qui décolle avec 5 pannes vers Paris par exemple, oblige les autorités françaises à le clouer au sol s’il y a le moindre risque. Ainsi, l’information devient complètement insuffisante, voire erronée par manque de professionnalisme. D’autant plus qu’un juge n’a pas les compétences techniques nécessaires pour évaluer ni le risque, ni la panne. Une telle observation n’est que le résultat des dires des uns et des autres sans aucun fondement technique.
Paradoxalement, le rapport pointe du doigt les retards accusés par « Tunisair technics » et qui sont, selon le rapport, la cause des perturbations des vols. Il faut savoir ce que l’on veut : soit « Tunisair technics » s’assure de la sûreté des appareils, soit elle travaille plus vite aux dépens de la sécurité afin de ne pas causer des perturbations. Cela paraît d’autant contradictoire que Tunisair technics est reconnue internationalement pour son sérieux et ses capacités techniques.
Curieusement, une question des plus importantes que le rapport n’a pas abordée, est celle liée au sureffectif de la compagnie et les demandes injustifiées de hausse des salaires de la part du Syndicat. La compagnie est au bord de la faillite et les comptes sont au rouge. Et ce ne sont pas les problèmes techniques ni les retards qui vont redresser les comptes de la compagnie. Ce sont plutôt des problèmes de sureffectif avec des personnes peu productives pour ne pas dire qu’elles ne font quasiment rien. Voilà une question centrale mais ignorée par le rapport qui émane pourtant de la Cour des comptes ! Mais il se trouve que c’est une question qui dérange car il s’agit de l’UGTT.
Au final, la compagnie nationale Tunisair souffre de nombreux dysfonctionnements. Le rapport de la Cour des comptes pourrait mettre définitivement la compagnie à genoux car plus personne n’oserait prendre le moindre risque.
De la même manière, le rapport de la Cour des comptes a pointé différents problèmes qui touchent à la caisse de sécurité sociale (CNRPS). Comme nous l’avons souligné plus haut, la confusion est identique. Pis encore, le rapport va jusqu’à presque accuser la caisse des dysfonctionnements qui touchent au système d’information dans notre pays. A titre d’exemple, le rapport pointe du doigt les contributions impayées qui ont atteint environ 700 millions de dinars. Sans le savoir, la Cour des comptes accuse implicitement le gouvernement. En effet, les 700 millions de dinars concernent la contribution des entreprises en difficultés et qui nécessitent une intervention de l’Etat pour régler leur ardoise auprès de la caisse.
Le 31ème rapport de la Cour des comptes souligne les dépenses illégales de 2,242 millions de dinars au titre des pensions des retraités ayant bénéficié en parallèle de paie à travers le système “Insaf”. Ceci nous amène à une question très importante liée à notre système d’information. Quand les différents systèmes ne sont pas intégrés et fonctionnent en vase clos, il ne faut pas s’étonner des erreurs. En effet, quand une personne dépose son dossier de retraite et qu’en même temps fait une demande de maintien au poste sans informer la caisse, il est naturel que la caisse étudie le dossier et verse une pension à la personne concernée sachant qu’elle n’est pas informée du processus de maintien. Il va sans dire qu’il est plus qu’urgent de réviser le système d’information dans ce pays car les failles sont très nombreuses. Pour preuve, les paiements de pensions après décès s’élèvent à 50 millions de dinars pour cause de système d’information complètement défaillant.
Au final, la situation économique, politique et sociale du pays exige une prudence de la part des différents intervenants, chacun dans son domaine. Les pratiques populistes ne mènent nulle part et seul le professionnalisme pourrait garantir un avenir meilleur. Les autorités doivent rassurer leurs cadres avant qu’il ne soit trop tard, même s’il est déjà très tard.
Mohamed Ben Naceur