En Libye et pas loin des frontières tunisiennes sont menées plusieurs batailles milices et tribus, dont les Zentane qui se battent contre l’organisation Ansar Al Charia installée à Misrata. Une guerre est aussi menée par l’ancien militaire, Hafter, contre les fondamentalistes et chaque parcelle de la Libye est âprement disputée.
Des milliers de Tunisiens, Libyens, Égyptiens et des ressortissants d’autres pays fuient, depuis, la Libye pour la Tunisie. Quelles sont les retombées du chaos libyen sur le sud tunisien, notamment à Ras Jedir et Ben Guerdane ? Reportage
Trois barrages de contrôle de sécurité nationale séparent Ben Guerdane de Ras Jedir. En partant de Ben Guerdane, le chauffeur rassemble les passeports des passagers et, à chaque barrage, ils y sont contrôlés. Au passage de Ras Jedir, tout le monde est à nouveau contrôlé avant d’accéder à l’espace frontalier.
Au total, cinq points de passage douaniers et policiers constituent l’accès de la Libye à la Tunisie. Le calme règne dans l’endroit qui fut, il y a quelques jours, en proie au chaos à cause de la crise des Égyptiens voulant fuir la Libye et restés temporairement coincés sur les frontières. Ils sont aujourd’hui directement transportés, sous la supervision de consulaires égyptiens, des frontières jusqu’à l’aéroport de Gabès, dernière étape de leur traversée de l’enfer jusqu’à chez eux. À Ras Jedir, ils sont quelques dizaines, hommes, femmes et enfants à attendre sous un soleil ardent d’être montés dans les bus. À la portière de la zone zéro, zone séparant de quelques mètres le sol tunisien du sol libyen, un enfant égyptien passe, haletant, les frontières à pied, en tirant une valise presque de sa hauteur… de l’autre côté, on entend des tirs, presque sans répit. «Ce ne sont pas des batailles, mais seulement des tirs en l’air visant à maintenir l’ordre», nous explique un agent de la sécurité nationale. Au point zéro se rassemblent aussi agents de sécurité tunisiens et libyens ou alors ils s’y baladent séparément. Un agent libyen, grosse barbe, tenue militaire délavée, pantalon retroussé et claquettes au pied, contrôle quelques passagers. Un autre jeune agent libyen en tenue civile, vient raconter comment il était emprisonné par une milice au point 27 (27 km de Ras Jedir) «on m’accusait de faire partie d’une tribu adverse, j’ai tenté de les en dissuader et ils n’ont pas voulu me croire, j’ai passé quelque temps en captivité». Un signe de l’agent de sécurité tunisien nous empêche d’en demander à en savoir plus, puis plus tard nous confie «il vaut mieux ne pas leur parler». Des centaines de voitures libyennes passent les frontières chaque jour, des milliers affluant sur la Tunisie. Les véhicules sont minutieusement fouillés sur le sol tunisien. Mais, en voyant les véhicules arrêtés par dizaines, l’un derrière l’autre, en attendant la fouille, on se demande si une voiture piégée ne pourrait pas exploser là. «C’est probable, même si le risque est minime», nous répond l’agent, mais on manque de matériel de détection, on manque aussi d’effectifs».
Les individus quittant le passage n’échappent souvent pas à d’autres contrôles et fouilles, notamment les barbus. Sur la route du retour à Ben Guerdane et au premier point de contrôle, les taxis sont arrêtés, les barbus appelés à quitter le véhicule et à rouvrir leur bagage pour une énième fouille.
Ras Jedir ne ressemble en rien aujourd’hui au passage frontalier qu’il était lors de la première crise des réfugiés survenue en 2011. Ni rassemblement humain de réfugiés étrangers, ni affluence tunisienne de bénévoles voulant secourir les réfugiés. Et pour cause, la Tunisie a décidé de gérer autrement l’arrivée de réfugiés en leur offrant seulement le point de passage jusqu’à chez eux et non l’asile. La situation sécuritaire précaire et le trafic d’armes imposent des mesures de prudence et en premier lieu d’interdire les grands rassemblements, mais la Tunisie n’est pas en mesure aujourd’hui de superviser des camps de réfugiés avec ce que cela exige en termes de ressources humaines, économiques, sécuritaires et militaires. Le camp de Choucha continue par ailleurs à poser problème. De nombreux réfugiés étant venus en 2011 et s’y sont installés, refusant de retourner chez eux et exigeant la Tunisie ou l’Europe comme terre d’asile. Ils sont Maliens, Tchadiens, Nigériens… et aujourd’hui certains d’entre eux travaillent dans la construction à Ben Guerdane en tant que journaliers ou alors survivent grâce à l’aumône. Sur la route et en passant à côté de leur camp, on les voit rassemblés sur le bord de la chaussée. De grosses pancartes sur lesquelles est inscrite leur indignation sont accrochées. «Où sont les Droits de l’Homme ?», peut-on lire entre autres.
Hajer Ajroudi