C’est reparti. Les appels au boycott des élections locales fixées au 24 décembre prochain ont commencé. Les partis qui ont été écartés de la vie politique après le 25 juillet 2021, qui contestent le processus de démocratie par la base engagé par Kaïs Saïed, ont l’intention de reconduire l’expérience des Législatives du 17 décembre 2022, à savoir le boycott des élections. Un boycott massif avait, en effet, marqué cette échéance électorale qui allait élire les nouveaux représentants du peuple un an et demi après le gel de l’ancienne ARP. Le taux de participation n’avait pas dépassé 11,4%. Une première en Tunisie.
Les partis d’opposition se sont vite attribué la responsabilité et le mérite de « cette performance » catastrophique, alors qu’ils ont affiché de très faibles résultats dans tous les scrutins qui ont précédé le 25 juillet 2021. En réalité, choqués par une décennie noire post-révolution, qui a laissé se développer le terrorisme, la corruption, la violence de tout genre et une fausse démocratie, les Tunisiens avaient ainsi exprimé leur ras-le-bol de tout ce qui est en rapport avec la politique et leur refus d’élire un nouveau parlement. Ils avaient décidé de tourner le dos à la politique.
En décembre prochain, date des élections locales, une année aura passé depuis les dernières Législatives et les Tunisiens ne sont toujours pas réconciliés avec la politique. Après le 25 juillet 2021, ils avaient besoin d’économie, de social, de culturel, d’emplois, de pouvoir d’achat, de justice, d’horizons pour leurs enfants. Ils ont eu de la politique, beaucoup de politique, encore de la politique. Ils vont élire les conseils locaux, les conseils des régions et le conseil des districts. Et, en 2024, ils ont rendez-vous avec un nouveau scrutin présidentiel. Un trop-plein électoral auquel il faut ajouter une consultation nationale et un référendum sur la nouvelle constitution de 2022 et une consultation en cours actuellement sur la réforme de l’éducation. Dans d’autres circonstances, on aurait salué une vie politique dynamique et une nouvelle vision, innovante, de la démocratie qui se construit à partir de la base de la société, à partir du quartier, afin que chaque Tunisien participe à la conception du modèle de gestion et de développement du pays. Mais, la réalité est autrement plus problématique, parce que tout est flou, il n’y a pas de communication gouvernementale pour vulgariser les nouveaux concepts, pas de débat politique ou de société autour des questions qui sont en train de changer le mode de gouvernance et, pire, il y a un déficit de confiance entre l’Exécutif et (une partie) les élites.
L’absence d’échanges, de contact, de vulgarisation, d’approche de proximité avec les élites, l’opinion publique et les électeurs, risque encore une fois de compromettre un important rendez-vous électoral, les prochaines élections de décembre 2023. Important parce que c’est la première étape d’installation de la deuxième chambre législative (conseil des régions et des districts), un pilier du nouveau projet politique qui partage avec la chambre des représentants du peuple la responsabilité de l’examen de tous les projets de loi liés au budget de l’Etat et au développement économique et social des régions.
D’autres facteurs pourraient également compromettre les élections de décembre prochain. Il s’agit essentiellement du climat de tension, de gêne, de peur et de colère suscité par les restrictions sur les libertés et les graves affaires judiciaires en cours d’instruction depuis plusieurs mois, dans lesquelles sont impliqués des représentants de l’élite tunisienne : des avocats, des journalistes, de hauts cadres de l’Etat, d’anciens ministres…Tous les Tunisiens souhaitent vivre dans un Etat de droit où tous les citoyens seraient égaux devant la justice ; ils se sentiraient moins frustrés et moins menacés s’ils étaient informés des risques qu’encourt leur pays par les institutions officielles de l’Etat et rassurés de savoir que la (nécessaire) préservation du droit de l’Etat ne se fera pas aux dépens de ceux des citoyens, quels qu’ils soient.
Malgré le malaise et les craintes, les élections locales doivent réussir à drainer un bon taux de participation, non pas parce que le conseil qui sera élu va résoudre tous les problèmes de la Tunisie, financiers en l’occurrence, mais pour que la Tunisie rompe avec la chaîne des échecs et sorte de l’impasse dans laquelle beaucoup, de l’intérieur et de l’extérieur, œuvrent pour qu’elle y perdure, tant qu’ils n’auront pas repris en main les rênes du pouvoir.
En 2024, les Tunisiens auront toute la latitude (électorale, encore une fois) de tout changer, s’ils le souhaitent.