Par Sami MAHBOULI
Avocat et éditorialiste
En adoptant la loi sur la réconciliation administrative à une large majorité, la représentation populaire a infligé aux « Haineux » une branlée magistrale. Mais quelle catégorie d’individus range-t-on sous cette appellation peu flatteuse ?
« Les Haineux» sont, à priori, des Tunisiens comme les autres, vivant parmi nous mais dont la différence notable est qu’ils appréhendent leurs concitoyens à travers le prisme déformant de la haine et de l’exclusion. Autre trait distinctif : La pseudo-révolution de 2011 les a fait sortir de leurs tanières où pendant, parfois, des décennies ils ont ruminé leur haine d’autrui et ont conçu leur désir de revanche.
Minés par toutes sortes de complexes et d’insuffisances qu’il serait trop long de détailler, les « Haineux » considèrent qu’une bonne partie de leurs compatriotes sont des voleurs et des corrompus qui méritent d’être privés de leurs droits civiques et spoliés de leurs biens. Leur haine aussi inexplicable qu’insatiable vise, en particulier, tous ceux qui, de 1987 à 2011, ont commis le crime de servir l’Etat à quelque niveau que ce soit : du ministre au plus petit fonctionnaire. A leurs yeux, ce sont tous des complices de Ben Ali et, à ce titre, ils doivent subir les rigueurs de la justice pénale pour le restant de leur vie ou, à tout le moins, être mis au ban de la société.
Peu importe si ces serviteurs de l’Etat ont, de bonne foi, cru accomplir leur devoir, n’ont détourné aucun sou public, et n’ont fait qu’appliquer les instructions de leur hiérarchie : pour les « Haineux », il faut les mettre tous, sans exception, dans le même sac, livrer leur dignité, leur vie et celle de leurs familles en pâture aux chiens. « Les haineux », c’est là leur force et leur marque de fabrique, ont le cœur sec et sont imperméables à la pitié, à la compassion et, à fortiori, au pardon.
Que des dizaines de milliers de Tunisiens souffrent en silence depuis presque 7 ans, que leurs vies se soient transformées en un cauchemar peuplé de juges d’instructions, de geôles et de mise à l’index professionnel et social, les « Haineux » s’en moquent comme de l’an 40 dès lors qu’ils peuvent assouvir leurs bas instincts, mélange sordide de jalousie et de sadisme, que des décennies d’anonymat ou d’une vie misérable et sans relief n’ont fait qu’exacerber.
Mêmes ses plus farouches détracteurs ne peuvent nier le fait que le Président Caïd Essebsi a eu la perspicacité, dès mars 2015, de lancer une initiative visant à mettre un terme à une aberration et à une injustice dont l’impact sur le fonctionnement de l’administration et sur le moral des fonctionnaires était désastreux : comment voulez-vous qu’un commis de l’Etat prenne la moindre décision importante s’il sait qu’un jour il pourrait subir le triste sort réservé à ses collègues après janvier 2011 ?
L’initiative de réconciliation nationale lancée par le Chef de l’Etat, quand bien même amputée du volet consacré aux hommes d’affaires, est une mesure de salut public dont l’urgence et la portée sont indiscutables.
En tant que gardien des institutions et dépositaire de l’intérêt national, il appartenait au Chef de l’Etat de faire cesser ce jeu de massacre qui menaçait de couler définitivement l’administration tunisienne sans compter la désolation et le malheur qui accablent des milliers de familles innocentes.
Face à cet impératif moral et économique, les « Haineux » n’opposent que des slogans creux et une diatribe démagogique : « Non au blanchiment de la corruption » ou « MA NICH M’SAMAH» comme si quelqu’un leur avait demandé leur avis ou qu’ils pesaient numériquement lourd.
Ce ne sont sûrement pas les quatre pelés et les trois tondus qui ont battu le pavé, Samedi dernier, sur l’avenue Habib Bourguiba, qui vont entraver le cours d’une loi d’intérêt national ou effrayer qui que ce soit.
Pour les « Haineux », la restauration de la confiance parmi les fonctionnaires et la fin des souffrances d’innombrables familles sont des préoccupations lointaines pour leurs petits esprits embués par les vapeurs de la haine.
Au nom d’une nouvelle croisade destinée à éradiquer le mal sur Terre, les sabres de ces apôtres de la conscience immaculée doivent faucher les têtes des «AZLAM» et celles de tous ceux dont le crime est d’avoir eu la faiblesse d’appliquer, sans les discuter, les ordres de leurs supérieurs hiérarchiques.
Jusqu’à la dernière minute, les « Haineux » ont déployé toute leur bassesse et leur vilenie pour bloquer le vote de la loi sur la réconciliation administrative. On les a vus à l’œuvre dans l’hémicycle du Parlement où leurs pitreries, leurs vociférations et leurs éructations n’ont servi qu’à prouver au pays tout entier qu’ils ne sont que des bouffons et de la canaille.
Dieu merci, notre Parlement compte une majorité de députés conscients des enjeux d’une loi aussi salutaire pour le rétablissement de notre pays et dont le vote massif a administré une véritable branlée à tous les « Haineux » qui y sévissent, au grand jour, depuis un certain 14 janvier.
Ce serait tellement formidable si cette raclée historique pouvait leur faire regagner, à jamais, leurs anciennes tanières histoire d’oublier leurs «bobines» défigurées par la haine, leurs cœurs noirs et leur vocabulaire de charretiers.
A cet égard, je préconise que soit votée par le même Parlement une collecte nationale afin de fournir gratuitement aux « Haineux » un accompagnement psychiatrique de nature à atténuer la détestation de leur prochain ; on pourrait intituler le texte à voter la « Loi de réconciliation avec la compassion ».
La Tunisie n’a pas besoin de haine pour avancer ; exclure ses enfants, surtout s’ils ont des compétences, est une absurdité sans nom à laquelle nous payons depuis des années un lourd tribut. Les clochards à qui, sous la Troïka, des fonctions ministérielles ou administratives importantes ont été confiées ont mis le pays à genoux.
Il ne s’agit ni d’absoudre des criminels ni de blanchir quoi que ce soit mais seulement de comprendre, une fois pour toute, que la vengeance n’est pas le meilleur auxiliaire de la justice et que le pardon, appliqué à bon escient, est le plus performant facteur de cohésion et de progrès d’une nation.