Analyse: Réconciliation économique et corruption

Il n’est étrange pour personne que la corruption est de plus en plus visible en Tunisie. Elle est tellement  répandue au point de devenir une tradition. Pour cela, la lutte contre ce phénomène constitue un défi majeur. Et ceci pour plusieurs raisons : la première est de rompre avec un passé récent. Il s’agit de transmettre un message que l’Etat tunisien ne tolère plus la corruption et autres “manquements à la discipline”. La deuxième raison est de donner de l’espoir aux jeunes que l’économie va être assainie et que chacun aura les mêmes chances de succès.

L’initiative récente du Président de la République pour la réconciliation nationale est certes, salutaire mais risque de produire l’inverse de ce qu’on attend. Ça pourrait être comme une Tunisie qui tolère la corruption. Une telle action nécessite forcément beaucoup de pédagogie et de prudence. Car la lutte contre la corruption devrait être un combat au quotidien. Ceci dit, il ne faut pas que la réconciliation nationale ne soit interprétée comme une tolérance à la corruption. Exiger des hommes d’affaires corrompus d’investir dans les régions de l’intérieur par exemple, serait vu comme une taxe à la corruption. La corruption n’est pas un bien qui s’échange.

Les incitations et les subventions à l’aveugle ne répondent plus aux exigences de transparence en vigueur et facilitent les délits d’initiés. Nous n’avons pas du tout pigé ce que cela induisait lorsque tout cela a été lancé, que les conditions de la concurrence étaient totalement faussées et allaient provoquer de graves distorsions entre les intervenants sur les marchés. Ce qui nous met dans une situation assez terrible, favorisant délits d’initiés et manipulations des marchés. Aujourd’hui une part non négligeable de transactions est caractérisée par la fraude, la dissimulation, l’opportunisme, voire le mensonge et l’exploitation. Mettre fin à ces pratiques est une étape nécessaire pour la réconciliation nationale. Les hôteliers doivent rembourser leurs dettes, les incitations doivent être ciblées, la question des fonds de trésor doit être ouverte au public etc.

La corruption, un frein à la croissance

Les études économiques concernant la corruption établissent une relation à double sens. La corruption freine la croissance, mais une faible croissance encourage aussi la corruption et limite l’efficacité des gouvernements. Dans tous les cas, la corruption n’est pas en elle-même le problème principal. Elle symbolise et souligne plutôt les faiblesses de fonctionnement de l’État et de ses interactions avec les citoyens et les milieux d’affaires. La mise en ordre de deux institutions majeures – le secteur public et l’appareil judiciaire – devrait être une priorité du nouveau gouvernement.

Les raisons à la défaillance de l‘administration publique sont nombreuses : le manque de professionnalisme, des règlements vagues, compliqués et équivoques, une gestion déficiente des finances publiques, une mauvaise répartition des tâches à tous les niveaux du gouvernement, un manque de transparence et la difficulté à faire en sorte que les autorités rendent compte de leurs actions. Les faiblesses manifestées dans chacun de ces domaines, sont autant d’incitations à la corruption, à la paresse, à la nonchalance et à l’incompétence.

Une hausse des salaires du secteur public n’est pas une solution suffisante. Des réformes structurelles sont également indispensables. L’expérience internationale montre que les pays dont les fonctionnaires font preuve d’indépendance et de professionnalisme tendent à avoir une administration plus efficace et moins corrompue. Un appareil judiciaire compétent est une autre condition préalable à l’établissement de l’État de droit. Le flou juridique et les retards dans le respect des contrats constituent un frein à l’investissement et donc à une croissance forte.

L’une des manières d’améliorer l’administration est de revenir aux sources et de changer la manière dont le gouvernement fournit les biens et les services. Mettre en place des systèmes informatisés de passations de marchés et de collecte des impôts est une manière sûre de limiter la corruption. Ces réformes doivent être accompagnées d’une évaluation précise du cadre législatif, avec pour objectif d’éliminer ou de rationaliser les règlements.

Une réforme de l’administration et de l’appareil judiciaire devrait avoir la priorité dans notre pays. Il y a tout au moins une crise de confiance et ce manque de confiance est souvent justifié. De toute manière, il est illusoire d’espérer éradiquer totalement la corruption dans une société inégalitaire où les circuits de l’argent et du pouvoir sont étroitement liés.

Mohamed Ben Naceur

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