Reconversion professionnelle et orientation: le Corp, un projet prometteur

Le Centre d’Orientation et de Reconversion Professionnelle (CORP) est un projet unique en son genre en Tunisie. Crée en septembre 2015 sous la houlette de la Chambre Tuniso-Allemande de l’industrie et du commerce, il accompagne activement les demandeurs d’emploi dans leur recherche et propose des reconversions professionnelles dans des secteurs qui recrutent. Une révolution dans un marché de l’emploi en crise.

Deux mois. C’est le délai qu’il faut compter avant d’obtenir un rendez-vous avec l’un des quatre conseillers du Corp. C’est dire le succès de ce centre qui n’a plus besoin de faire ses preuves. En seulement huit mois d’existence, le Corp a réussi à placer avec l’AHK et ses entreprises partenairesplus de 77 demandeurs d’emploi, soit une moyenne d’environ 7 personnes par mois.En collaboration avec le Fonds Emploi de la GIZ, mandaté par le Ministère fédéral de la coopération économique et du développement, le Corp, contrairement aux agences de placement, est à but non lucratif. Le candidat n’a pas à payer pour être aidé. Que ce soit pour la reconversion professionnelle ou la recherche d’emploi, le Corp reçoit chaque semaine des centaines de dossiers de candidats (plus de 2500 cv sont répertoriés dans ses bases de données) qui se pressent afin d’être accompagnés par ses conseillers. Formés spécifiquement pour coacher les demandeurs d’emploi, les conseillers font notamment passer des tests de personnalité aux candidats afin de cerner leur profil et leur proposer un coaching qui leur correspond. Depuis septembre dernier, plus de mille orientations ont été faites.

Session de formation au CORP

Bleu, rouge ou jaune…
S’en suit une rencontre avec le demandeur d’emploi (vous n’entendrez jamais le mot « chômeur », trop péjoratif) avec lequel commence un véritable travail pour comprendre ses motivations et l’orienter. Ici, on aime les « soft skills », c’est la raison pour laquelle il n’est pas rare d’entendre des couleurs pour qualifier le profil des candidats. Le jaune correspond à quelqu’un de très sociable, à l’aise dans la communication et les rapports humains. Le bleu quant à lui correspond au sens de l’organisation ou encore le vert à la capacité d’analyse… En moyenne, chaque conseiller reçoit quatre personnes par jour. Aujourd’hui, Malek, 27 ans, jeune diplômé en génie de développement rapide d’applications, rend visite à Bilel, son conseiller. A la recherche depuis quatre mois d’un emploi, il fait appel au Corp afin de multiplier ses chances. « Ce n’est pas compliqué de trouver un emploi mais je ne suis de base pas très sociable et je manque énormément de confiance en moi, c’est pourquoi je suis venu ici afin de m’améliorer » explique le jeune homme. Très timide, il écoute les paroles de son conseiller à l’instar d’un élève qui boit les paroles de son professeur. Motivé, il détermine les points de sa personnalité à améliorer. Une fois les tests de personnalité effectués, Bilel montre les résultats à Malek « tu es quelqu’un de très tolérant, responsable et créatif. Ce sont de très bons points pour une entreprise qui recrute car cela montre que l’on peut compter sur toi, que tu n’as pas d’apriori vis à vis des autres mais tu dois absolument améliorer ta gestion du stress » analyse Bilel. Un constat que ne conteste pas Malek, bien au contraire « j’ai conscience de ces choses-là et je compte bien les améliorer, ce test m’a permis de mieux cerner mes points faibles mais aussi mes qualités ». Vient ensuite un jeu de rôle où Bileljoue le recruteur et Malek son propre rôle. « Voilà un stylo, tu dois pouvoir me convaincre de l’acheter, comment t’y prends-tu pour me convaincre de l’acheter ? Une fois que tu réussis à me vendre ce stylo, tu peux vendre n’importe quoi à n’importe qui, dont ton cv !» lance Bilel. Malek, hésitant, essaie de réfléchir à ce qu’il peut dire, mais sa timidité le rattrape à grands pas. Patient, Bilel le corrige et prend le temps de lui expliquer ce qui ne va pas dans sa démarche tant physiquement que verbalement. A côté, Amani, 23 ans, diplômée d’une licence appliquée en industrie et procédés alimentaires, à la recherche d’un emploi depuis six mois, rencontre Walaeddine, son conseiller. « Ce sont mes premières recherches d’emploi et je peine à trouver alors quand j’ai entendu parler du Corp je n’ai pas hésité une seule seconde à franchir la porte pour être aidée. » raconte-t-elle. Sa couleur, ce sera le bleu. « Tu es quelqu’un de très créative, tu as le sens des responsabilités et tu es rigoureuse mais il faudrait améliorer le travail en équipe » lui concède son conseiller. « Oui il est vrai que j’ai du mal à travailler avec les autres car je préfère être seule mais j’accepte les autres et j’essaie de faire de mon mieux pour améliorer ce point » précise-t-elle. Ici, la remise en question est perpétuelle. « Comment réagis-tu face au stress ? » demande Walaeddine. « Lorsqu’une situation devient tendue ou compliquée je préfère partir, je ne réponds rien car je n’aime pas la confrontation, j’attends que ça se calme, sauf avec mon mari » ironise-t-elle. Le cv est lui aussi scruté à la loupe afin de dénicher les erreurs qui font « tilt » à un recruteur. « Il faudra que tu changes la mise en page de ton cv qui n’est pas assez concise. N’oublie jamais qu’un cv n’est pas fixe et qu’il s’adapte à l’employeur et au poste auquel tu postules » conseille Walaeddine. A la suite des entretiens individuels, une formation en soft skills leur sera proposée.

Le premier salon inversé pour l’emploi, CORP city, fut un succès

Des initiatives originales
Le Corp, ce n’est pas uniquement des rencontres entre candidats et conseillers. Ce sont aussi de nombreux forums, conférences et salons comme le « Corp City », la recherche d’emploi inversée, une première en Tunisie. Ici, se sont les entreprises qui viennent rencontrer des demandeurs d’emploi préalablement sélectionnés et formés par le Corp. La première édition fut un succès avec plus de 3800 personnes qui sont venues en masse. Cependant, le Corp s’adresse particulièrement aux jeunes âgés entre 20 et 35 ans qui doivent impérativement avoir au moins le baccalauréat en poche. Les non diplômés, qui représentent une part importante de la jeunesse tunisienne, ne peuvent donc pas s’inscrire au Corp. Pour rappel, en Tunisie, le taux de chômage s’élève à plus de 15% et atteint même le double chez les jeunes diplômés. « On est dans une niche que personne n’a encore touchée et que personne ne veut toucher. L’Etat ne s’occupe que des cas particulièrement difficiles et les cabinets de recrutement des cas pas trop compliqués qui ne leur feront pas perdre beaucoup d’argent. Mais les autres, ceux qui sont seulement un peu difficile et qui représentent une bonne partie des demandeurs d’emploi personne ne s’en occupe ! » s’exclame Youssef Fennira, directeur du Corp.
Outre l’aide à la recherche d’emploi, le Corp propose de nombreuses reconversions professionnelles comme l’explique Imèn Hamdi, chargée de projet « face à la multitude de personnes ayant des diplômes d’anglais ou de français par exemple, on ne peut pas toujours trouver un travail dans un secteur saturé. La reconversion est une solution à ce problème pour les diplômes où il n’y a plus de débouchés. Le candidat ne doit pas considérer cela comme un échec mais au contraire comme étant une nouvelle opportunité pour trouver du travail et connaître de nouvelles choses. » L’année dernière, la reconversion en tant que commercial a été un franc succès avec seize personnes reconverties. Autre métier qui recrute, chef de produits textiles. Le Corp a lancé dernièrement un appel à candidatures pour la reconversion en tant que chef de produits textiles. 250 cv on été envoyés, 120 ont été retenus avant d’en accepter 60 à l’issue d’une sélection collective puis d’en retenir la moitié en entretien individuel. Au final, 20 d’entre eux ont été pris par les entreprises afin d’entreprendre la reconversion.

Le premier salon inversé pour l’emploi, CORP city, fut un succès

Un système viable ?
Actuellement, le Corp est financé par un bailleur de fonds allemand, la GIZ, jusqu’en décembre 2016. A l’issue de ce contrat, le centre devra impérativement trouver un business model viable afin de s’autofinancer comme le détaille Youssef Fennira.«Aujourd’hui, il y a plus de 20 000 projets pour l’emploi en Tunisie et je ne sais pas combien donnent des résultats. En voyant tout ce gachi j’ai demandé à ce que l’on crée une structure pour que l’on ne se retrouve pas pris au dépourvu lorsque le bailleur de fond part. C’est la raison pour laquelle à l’avenir, le financement va se faire à travers les services du Corp. Par exemple, on va proposer des candidats aux entreprises et tous les profils recrutés vont être payés par l’entreprise. Notre but n’est pas le profit mais le recouvrement de nos charges. C’est de l’entreprenariat social ! ».Après avoir intégré la Chambre Tuniso-Allemande de l’industrie et du commerce en 2013, Youssef Fennira s’est lancé avec l’aide d’une équipe de jeunes dans ce projet ambitieux. Motivé et dynamique, il est parti d’un constat simple « la Tunisie ne donne pas les outils nécessaires à ses jeunes pour trouver un emploi ». Il a donc décidé de palier à la déficience des institutions tunisiennes en créant un système qui n’existait pas dans le pays. Cependant, il tient à préciser qu’au Corp « on ne donne pas un emploi, on donne tous les outils nécessaires pour que les jeunes trouvent un emploi. On doit redévelopper tout cet aspect soft skills chez les jeunes pour qu’ils deviennent employables. Au Corp, on veut donner la culture de l’employabilité. Les entreprises critiquent beaucoup les jeunes car ils ne correspondent pas à ce qu’elles recherchent mais c’est à nous de ne pas leur jeter la pierre en leur disant que tout est de leur faute car on ne leur a pas appris à faire un cv ou à se présenter !». En effet, le système éducatif tunisien est à remettre en question. Des milliers de jeunes quittent le système éducatif sans diplôme, le niveau du baccalauréat tend à se dégrader d’années en années et ceux qui le peuvent préfèrent mettre leurs enfants dans des écoles privées ou étrangères. Il en va de même pour les étudiants dans l’enseignement supérieur : pour éviter un système éducatif obsolète et sclérosé, les études à l’étranger deviennent un leitmotiv pour s’assurer un avenir. Quant à l’Etat, il se doit de repenser son système d’accompagnement des demandeurs d’emploi. Plutôt que de débourser de l’argent en allocation chômage, ne devrait-il pas plutôt accompagner et former ses chômeurs afin qu’ils puissent correspondre au mieux aux besoins des entreprises ? La pierre est lancée…

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