Comment accélérer une procédure complexe et lente ?

Ayant constaté de multiples difficultés qui entravent le processus de récupération des avoirs mal acquis et transférés à l’étranger par la famille du président déchu, le ministère de la Justice a organisé une journée nationale d’information et de débat sur le processus, avec la participation de plusieurs organisations et associations.

Quelles sont les procédures entamées et les actions entreprises ?

Quels sont les obstacles rencontrés ?

Y a-t-il des résultats concrets ?

Quels sont les enseignements à tirer ?

Faut-il changer de stratégie ?

 

Dans son discours d’ouverture, le chef du gouvernement Hamadi Jebali a confirmé que le processus de récupération des avoirs pillés par la famille du président déchu et transférés à l’étranger est long, complexe et difficile, car les obstacles sont de plusieurs ordres : juridiques, judiciaires et politiques. Plusieurs procédures ont été engagées pour l’identification, le gel, la confiscation et la récupération de ces avoirs détournés : biens fonciers, fonds déposés dans des banques, sociétés, valeurs mobilières…

Il y a un besoin vital pour le peuple tunisien de récupérer ses avoirs afin de les investir dans l’œuvre de développement régional, de justice sociale, de création d’emplois et limiter le recours à l’endettement extérieur générateur de frais financiers et assurer ainsi le financement du processus de croissance économique. Le chef du gouvernement a affirmé que les premiers résultats obtenus sont insuffisants comme la récupération d’un avion, l’obtention d’un jugement au Liban pour le rapatriement de 28MD déposés dans une banque à Beyrouth, la récupération d’une villa au Canada et d’un yacht en Espagne.

Il a appelé la société civile à se mobiliser pour soutenir les actions des pouvoirs publics afin d’accélérer le processus et d’en améliorer l’efficacité.

 

Mobilisation de l’appareil judiciaire

Dans son intervention, M. Noureddine Bhiri, ministre de la Justice, a affirmé que la récupération des biens dérobés par le pouvoir déchu et transférés à l’étranger trouve sa légitimité dans les revendications de la Révolution et implique la participation de tous : pouvoirs publics et société civile.

Il a demandé à tous ceux qui disposent d’informations et de documents relatifs à ces malversations et biens spoliés de les communiquer à la justice. Le cadre juridique de cette procédure est le décret-loi publié le 13 mars 2011.

Il y a eu création d’une commission de récupération des biens spoliés à l’étranger pour coordonner tous les efforts prodigués dans ce sens. Un comité de magistrats spécialisé dans les affaires économiques a été mis en place. Une cellule de suivi a été créée au ministère de la Justice.

Des relations stratégiques ont été instaurées avec les institutions internationales spécialisées dans le même but. Le gouvernement tunisien a opté de fonder ses actions sur les conventions de l’ONU relatives à la lutte contre le crime organisé et la corruption plutôt que les conventions bilatérales qui sont souvent vagues pour ce qui est de la récupération des biens spoliés. La collecte des informations a été engagée en coopération avec Interpol et quelques pays amis avec création d’une base de données ouverte aux pays partenaires européens.

Dès le 19 janvier 2011 le doyen des juges d’instruction a entrepris les investigations dans le cadre des poursuites contre Ben Ali, sa famille et ses gendres.

 

64 commissions rogatoires envoyées à l’étranger

Le magistrat Mohamed Askri, un des membres de l’équipe chargée du dossier, a fait une intervention relative aux actions entreprises par la justice tunisienne en vue de récupérer les avoirs pillés. C’est ainsi que 30 commissions rogatoires principales ont été envoyées à des pays étrangers dont 14 à des pays européens et 10 à des pays arabes. En outre, 34 commissions rogatoires complémentaires ont été envoyées également à l’étranger dont 17 en Europe et 11 dans les pays arabes.

Les demandes portent sur des enquêtes et recherches nécessaires à faire, des listes de biens fonciers à établir, valeurs boursières et sociétés appartenant aux personnes impliquées dans les détournements de fonds afin de les geler en attendant l’achèvement des procédures en cours pour la récupération de ces biens et le rapatriement de ces fonds.

Il faut croire que les obstacles sont nombreux et la tâche complexe : les fraudeurs ont eu recours à des sociétés-écran et à des paradis fiscaux d’où la difficulté d’identifier les véritables propriétaires des biens et titulaires de comptes bancaires.

En outre, il a été constaté que ceux qui ont pillé le pays bénéficient d’une certaine immunité dans les pays d’accueil, d’où la faible coopération des autorités politiques et judiciaires dans certaines pays.

C’est ainsi qu’une délégation de 15 magistrats tunisiens s’est déplacée à Bruxelles pour rencontrer et sensibiliser les responsables des pays de l’Union européenne sur la nécessité et l’urgence d’une coopération étroite ainsi que les tenants et aboutissants de ce dossier mais les représentants de certains pays européens étaient absents au rendez-vous.

En effet, les pays d’accueil s’abritent souvent derrière leur souveraineté pour exiger tous les détails : les montants précis détournés, les modes de transfert et la traçabilité, la nature des biens, la localisation, les preuves, les dates… pour donner suite aux demandes. Tout cela est difficile et demande beaucoup de temps.

Plusieurs rencontres au niveau des experts ont eu lieu en Suisse et ailleurs mais n’ont pas encore abouti de façon concrète.

Un cabinet d’avocats suisse spécialisé dans ce genre d’opérations a été mandaté par la BAD pour le compte de la Tunisie. Me Monfrini qui a obtenu en date du 20 mars 2012 un jugement relatif à l’admission de la Tunisie en qualité de partie civile dans un procès pénal intenté contre Belhassen Trabelsi en Suisse.

Deux commissions rogatoires internationales ont été transmises au cours des mois d’avril et de mai 2012 à la Justice suisse afin d’accélérer les poursuites intentées contre plusieurs tunisiens impliqués dans des dossiers de détournements de fonds.

 

Renforcement des capacités des magistrats tunisiens

Les magistrats tunisiens reconnaissent ne pas avoir de formation approfondie dans ce domaine spécifique de récupération des avoirs pillés et détournés à l’étranger.

C’est pourquoi, il a été décidé de renforcer les capacités des magistrats tunisiens en la matière en organisant trois cycles de formation appropriés. Le dernier en date a consisté en un atelier de travail organisé du 26 au 29 mars 2012 avec la BCT. C’est une initiative de la STAR qui fait partie de la Banque mondiale et du système de l’ONU, chargé de lutter contre la criminalité et la drogue. Le thème était “les techniques d’enquêtes dans les malversations financières. Plusieurs responsables d’institutions financières et des magistrats ont participé à ce cycle de formation animé par des experts internationaux.

Début juin, un expert international spécialisé en matière financière a été délégué par la STAR pour assurer une assistance technique et exercer les magistrats à l’analyse des documents financiers et aux méthodes de recherche en criminalité financière transfrontalière.

En coopération avec la Douane et le ministère de l’Intérieur, un cycle de formation est prévu pour le mois de septembre  2012, il est destiné à la formation des formateurs et portera sur la criminalité du “blanchiment d’argent” : 4 magistrats en bénéficieront et formeront par la suite le pôle financier et économique.

 

Le rôle de la société civile

M. Mohamed Gasmi a traité dans sa conférence du rôle de la société civile nationale et internationale dans la récupération des avoirs mal acquis. En effet, dans plusieurs cas, la société civile internationale a prouvé son efficacité en faisant pression sur les politiques : le partenariat et la solidarité qui existent entre associations a fait ses preuves d’efficacité dans un passé récent.

C’est ainsi que Transparency international a joué un rôle efficace en Afrique du Sud lors de son congrès en 2001, un appel a été lancé et en 2004 un réseau international a été créé avec avocat et experts.

Le réseau “Justice sociale” avec sa branche africaine a joué un rôle actif dans la récupération des biens pillés.

Il en est de même pour l’ONG Sherpa (France) qui a joué un rôle efficace dans la poursuite en France de certains chefs d’Etat africains corrompus.

Il faudrait recourir à ces procédés pour le cas particulier de la Tunisie.

Me Chawki Tabib, Bâtonnier des avocats a émis plusieurs réserves concernant le recours à des avocats étrangers pour la récupération des biens de la famille déchue et a exprimé des critiques concernant les clauses du contrat conclu avec M. Monfrini

Ridha Lahmar  

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