La situation financière de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et de la Caisse nationale de retraite et des prévoyance sociale (CNRPS) est aujourd’hui très critique. En effet, les deux caisses de retraite sont en train de reporter leur déficit sur la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) enregistrant un endettement évalué à 3000MD fin 2017. Pire encore, les trois caisses ont épuisé leurs réserves depuis le premier trimestre de 2016, n’ayant plus de filet de sécurité.
Par Mouna Ben Othman Mouaffak*
Les raisons de cette situation critique sont multiples. Une mauvaise gestion des caisses et des excédents qu’elles avaient durant quarante ans. Ces excédents étaient utilisés entre autres pour financer les logements sociaux dont le rendement est négatif. La deuxième raison aussi importante est liée à la générosité des caisses. En effet, avec des pensions à taux plein de 80% et de 90% du salaire de référence brut respectivement pour les adhérents de la CNSS et pour ceux de la CNRPS. Le salaire de référence correspond au dernier salaire perçu pour les adhérents de la CNRPS alors qu’il correspond à la moyenne des dix derniers salaires pour les adhérents de la CNSS. Aussi, les niveaux des pensions peuvent dépasser le niveau des salaires perçus en période d’activité. C’est le cas de 40,7% des retraités de la CNSS et de 71% des retraités de la CNRPS en 2016.
Deux problèmes auxquels fait face la CNSS sont aussi dus à cette situation. Le premier est celui des départs anticipés à la retraite qui représentait 25% des départs à la retraite de ces adhérents en 2015. Ceci ramène à 58 l’âge effectif de départ à la retraite pour la caisse du secteur privé. Le second est lié au recouvrement des cotisations dont le taux est particulièrement faible, inférieur à 50% pour le régime des travailleurs non-salariés. Mais la raison la plus importante et qui exerce une pression sur l’équilibre financier des deux caisses, est l’évolution démographique de la population tunisienne. Cette dernière indique un vieillissement qui se traduit par une augmentation de la population des retraités qui vit de plus en plus longtemps avec la hausse de l’espérance de vie. Face à cette population de retraités grandissante, il y a une diminution de celle des actifs qui versent les cotisations pour financer les pensions des retraités de la même période. C’est le fondement du système de retraite par répartition adopté en Tunisie. Plus précisément, en 2009, on avait 5 actifs pour un retraité et selon les projections de l’INS, on aura 3 actifs par retraité en 2020, c’est-à-dire d’ici deux ans, et seulement 1,25 actif par retraité d’ici 2050. Financièrement, pour les caisses, cela impliquerait de moins en moins de ressources face à des dépenses croissantes.
Trois paramètres sont souvent ajustés pour rééquilibrer financièrement le système de retraite par répartition. Le premier est le taux de cotisation qui, appliqué au salaire d’activité, permet de calculer le montant des cotisations. Son augmentation se répercute positivement sur les ressources des caisses de retraite. Le second est le taux de pension qui est le taux qui permet de calculer le montant des pensions reçu par les retraités. La baisse de ce taux se traduit par une réduction des dépenses des caisses. Le dernier est l’âge légal de départ à la retraite qui, en augmentant, ferait baisser les dépenses des caisses mais en ferait accroître aussi les ressources. En effet, chaque année supplémentaire ajoutée à l’âge de départ à la retraite, est une année de cotisation supplémentaire pour les caisses mais aussi, une année en moins sur le versement des pensions. Il faut savoir que depuis la constitution de la CNSS et de la CNRPS, le gouvernement tunisien a agi à travers un seul paramètre qui est le taux de cotisation. Ce dernier a atteint aujourd’hui au titre des retraites 18% pour les adhérents de la caisse du secteur privé et 20.7% pour les adhérents de la caisse du secteur public.
La proposition de réforme du gouvernement : le sens et la portée
Il s’agit d’une réforme paramétrique qui tourne autour de trois mesures pour les deux caisses et des ajustements pour chacune des deux caisses.
La première réforme consiste à augmenter l’âge légal de départ à la retraite à 63 ans avec un âge de départ à retraite facultatif de 65 ans.
L’augmentation de l’âge de départ à la retraite est nécessaire, vu l’évolution démographique de la population tunisienne. Elle implique dans ce cas qu’il n’est plus possible de partir à la retraite avant l’âge de 63 ans et que tout individu pourrait demander de prolonger son activité, moyennant une demande, jusqu’à l’âge de 65 ans. Cette mesure est supposée être accompagnée par un mécanisme de surcote et de décote. Il s’agit d’un mécanisme qui vise à encourager le report de l’âge de départ à la retraite vers l’âge facultatif, soit 65 ans. La surcote correspond à un rendement octroyé pour chaque année de travail supplémentaire à tout individu qui souhaite travailler au-delà de 63 ans et qui a déjà atteint la pension à taux plein. La décote correspond à une diminution du rendement appliqué sur chaque individu voulant partir à 63 ans et qui n’a pas encore atteint la pension à taux plein. Dans la proposition du gouvernement, les taux de la surcote et de la décote n’ont pas cependant été précisés.
L’augmentation de l’âge de départ à la retraite aura le double intérêt d’alléger les dépenses des caisses et d’augmenter leurs ressources. Toutefois, l’augmentation de trois ans d’un seul coup de l’âge de départ à la retraite est critiquable du point de vue de son applicabilité. L’expérience internationale a montré la résistance des syndicats vis-à-vis de telles mesures qu’il faut introduire avec progressivité. D’autant plus qu’au niveau d’un travailleur âgé de 59 ans qui croyait partir à la retraite un an après, c’est dur de lui faire admettre que son départ à la retraite serait retardé de trois ans. Par exemple, en Allemagne, de telles mesures sont annoncées quelques années à l’avance et introduites par tranches de six mois.
La deuxième réforme : réduire le taux de rendement à 2%
Le taux de rendement diffère entre les deux caisses de retraite. Il est de 4% pour les dix premières années à la CNSS et passe à 2% pour toute année supplémentaire. Aussi, au bout de 30 ans de cotisation, l’adhérent à la caisse du secteur privé atteint le taux plein de la pension, à savoir 80%. Au niveau de la CNRPS, ce taux de rendement est de 2% pour les dix premières années puis de 3% pour les dix années suivantes et enfin de 2% pour chaque année supplémentaire. Aussi, au bout de 40 ans de cotisation, le fonctionnaire atteint le taux de plein de la pension, à savoir 90%. Réduire le taux de rendement à 2% pour chaque année de cotisation se traduirait pour la CNSS par une réduction du taux plein de la pension de vingt points de pourcentage pour atteindre 60%. Pour la CNRPS, ce taux passerait à 80%. Ces deux réductions sont très importantes et affecteraient considérablement les pensions des retraités. Une fois encore, ce qu’on peut reprocher à de telles mesures, c’est le manque de progressivité, ce qui les rend politiquement difficiles à faire appliquer.
La troisième réforme : introduire un financement supplémentaire pour les caisses
Il s’agit d’un impôt de 1% sur le revenu sur les personnes physiques et les sociétés. Elle correspond à la contribution sociale énoncée dans la loi des Finances de 2018. C’est une façon de chercher une autre source de financement des caisses de retraite en dehors des cotisations sociales. Cette mesure est similaire à celle entreprise en France en 1994 lors de l’introduction du « Fonds solidarité vieillesse » financé par des contributions sociales généralisées. L’effet attendu sur les finances des caisses est positif mais le moyen utilisé implique plus de pressions fiscales sur les contribuables dans un contexte où cette pression a atteint un degré assez élevé pouvant mener à l’évasion fiscale.
D’autres mesures ont été proposées mais ne concernent pas les deux caisses en même temps. Pour les adhérents de la CNRPS, il s’agit d’une hausse du taux de cotisation de 3%, qui passerait ainsi à 23,7%, et d’une baisse du salaire qui servira à calculer la pension de retraite. Pour les adhérents de la CNSS, il s’agit d’annuler les retraites anticipées et d’augmenter la durée de cotisation minimale pour prétendre à une pension.
Certes, la situation des caisses de retraite en Tunisie nécessite des mesures assez strictes pour pouvoir les sauver. Cependant, ces réformes paramétriques prises seules ne peuvent qu’apporter une solution de court terme. Aussi, on déplore que cette réforme ne soit pas accompagnée par une vraie stratégie qui viserait à assurer la pérennité des caisses de retraite dans le long terme. Pire encore, ces mesures proposées avec des ampleurs qui les rendent politiquement critiquables, n’arrivent même pas à rééquilibrer financièrement les finances de la CNSS et de la CNRPS.
*Docteur en sciences économiques