Par Souhir Lahiani
La Tunisie a lancé une vaste consultation sur la réforme du système éducatif, visant à repenser en profondeur l’ensemble du parcours scolaire, de la maternelle à l’université, en incluant la formation professionnelle. L’objectif était d’instaurer une réforme globale, adaptée aux défis actuels, notamment ceux liés à la transformation numérique. Cependant, depuis la clôture de cette consultation et l’achèvement des analyses des données recueillies le 19 février 2024, aucune action concrète n’a suivi.
À quelques jours de la rentrée, aucune information tangible n’a été partagée sur l’avancement de cette réforme. Qu’est-il advenu de ce projet ambitieux ? Pourquoi n’en parle-t-on plus ? Quelles orientations futures à adopter ? L’enjeu actuel est d’améliorer la qualité de l’enseignement. Les réformes issues de la consultation nationale doivent être soigneusement évaluées avant leur mise en œuvre, car elles impactent directement l’avenir du pays.
Nous sommes toujours dans l’attente des résultats de cette réforme, pourtant cruciale à l’ère de l’intelligence artificielle !
Pendant ce temps, l’IA connaît un développement rapide dans le domaine de l’éducation à travers le monde, et de nombreux enseignants ont déjà commencé à l’exploiter pour améliorer l’apprentissage.
Une politique et une stratégie nationale sont impératives pour structurer l’utilisation des outils d’IA dans les salles de classe et adapter les contenus pédagogiques, ainsi que les méthodes d’enseignement. Sans une réforme adaptée, nous risquons de prendre un retard significatif par rapport à d’autres pays qui intègrent déjà ces technologies de manière efficace dans leur système éducatif. L’urgence de cette réforme est d’autant plus grande que l’IA est en train de révolutionner la manière d’enseigner et d’apprendre.
En outre, dans le cadre du consensus de Beijing sur l’intelligence artificielle et l’éducation, l’UNESCO a élaboré une publication pour préparer les décideurs politiques au rôle de l’intelligence artificielle dans l’éducation. Intitulée « IA et éducation : guide pour les décideurs politiques », cette publication s’adresse aux praticiens et aux professionnels des communautés chargés des politiques et de l’éducation. Elle a pour but de favoriser une compréhension commune des opportunités et des défis créés par l’IA dans l’éducation, ainsi que de ses implications pour les compétences fondamentales nécessaires à l’ère de l’IA.
Les enjeux éthiques ne doivent pas non plus être négligés.
Stefania Giannini, sous-directrice générale pour l’éducation à l’UNESCO, souligne la nécessité de veiller à une utilisation éthique de l’IA et de prévenir les biais, en particulier dans les interactions des mineurs avec cette technologie. Elle rappelle qu’un seuil d’âge devrait être fixé à 13 ans pour l’utilisation d’outils d’IA en classe, et les enseignants devraient recevoir des formations à ce sujet.
L’IA, un soutien de taille pour les enseignants
L’intelligence artificielle redéfinit en profondeur le paysage éducatif, ouvrant de nouvelles perspectives tant pour les enseignants que pour les élèves. En Tunisie, plusieurs experts en sciences de l’éducation, dont Mourad Bahloul, mettent en avant l’urgence d’intégrer cette révolution numérique dans les systèmes d’enseignement, afin de dépasser un modèle axé uniquement sur les résultats académiques. Selon Mourad Bahloul, alors que 90% des exercices des élèves reposent désormais sur des outils comme ChatGPT, l’IA apparaît comme un outil clé pour moderniser l’évaluation, rendre l’éducation plus inclusive et préparer les élèves aux défis de demain. En parallèle, l’IA promet d’alléger les enseignants des tâches répétitives, tout en enrichissant les méthodes pédagogiques pour offrir un apprentissage plus personnalisé. Sébastien Tardif, directeur général du Centre des services scolaires des Laurentides, Québec, souligne que l’IA pourrait appuyer les enseignants sans les remplacer, comme l’ont déjà fait les ordinateurs et tablettes dans de nombreuses salles de classe.
D’ailleurs, l’une des trois lauréates de la deuxième édition du concours international «Mon innovation pédagogique en 120 secondes» organisé par l’Université de Sfax, en collaboration avec des universités, organismes et associations internationales, Leyla Nejah, est une enseignante du supérieur qui intègre des outils d’intelligence artificielle dans sa classe. Elle a affirmé que les outils IA lui ont grandement facilité l’enseignement, notamment dans l’évaluation des élèves et la correction des travaux. Le concours avait pour thème « Vers une société inclusive et durable : transformer l’éducation avec l’intelligence artificielle ».
Outils et ressources pratiques utilisant l’IA
L’une des premières applications concrètes de l’intelligence artificielle dans l’éducation réside dans l’automatisation de certaines tâches chronophages, telles que la correction d’évaluations. Grâce à l’IA, les enseignants peuvent désormais se concentrer sur l’accompagnement pédagogique et l’amélioration de l’expérience d’apprentissage des élèves. Les technologies basées sur l’IA sont capables d’identifier les élèves en difficulté et d’offrir des solutions adaptées, aidant ainsi les enseignants à personnaliser leurs approches.
Il existe toute une liste d’outils et ressources pratiques utilisant l’IA, des versions de base gratuites avec versions payantes, pour soutenir l’enseignement et l’apprentissage. Il existe plusieurs assistants d’intelligence artificielle comme Profy, qui valorise le temps de l’enseignant, en accélérant et en améliorant la création de plans de cours et d’activités pédagogiques alignés avec les standards éducatifs internationaux.
Google Classroom, utilisé déjà dans de nombreux établissements, offre des fonctionnalités qui permettent d’analyser les performances des élèves/étudiants. Grâce à l’intégration d’algorithmes d’IA, les enseignants peuvent recevoir des rapports sur les progrès des élèves, ce qui les aide à identifier les élèves en difficulté.
Il y a aussi des suggestions automatiques d’améliorations qui sont proposées pour les devoirs, permettant aux enseignants de se concentrer sur l’accompagnement personnalisé.
On note par exemple des outils d’aide à la rédaction comme Audiopen, DeepL, Quillbot, Verse by Verse, etc. Pour la création d’images, il y a Adobe Firefly, Animated Drawings, AutoDraw, Blockade Labs, Copilot Designer, Playground et Stable Diffusion, etc. Des plans de cours constituent une aide à l’enseignement comme par exemple Autoclassmate, Diffit, Eduaide, Education Copilot, MagicSchool, Teacher’s Aide, Sydologie, NOLEJ, etc. Pour les supports de présentation, il y a Tome, SlidesAI.io et Gamma.
Cependant, l’IA ne remplace ni n’imite des qualités humaines telles que l’empathie, la flexibilité ou le jugement critique, des compétences essentielles à l’enseignement. L’IA n’est qu’une précieuse assistante.
L’élève, au cœur d’un apprentissage personnalisé
L’impact de l’IA sur les élèves est tout aussi prometteur. En adaptant le contenu éducatif au niveau et aux besoins spécifiques de chaque apprenant, l’intelligence artificielle propose des exercices et des cours adaptés, rendant l’apprentissage plus efficace et agréable. De plus, des tuteurs intelligents peuvent surveiller l’engagement de l’élève, anticipant les baisses de motivation et alertant les enseignants en cas de besoin. Cette personnalisation permet aux élèves d’apprendre à leur propre rythme, renforçant ainsi leur autonomie et leur implication dans leur parcours éducatif.
L’intégration de l’intelligence artificielle dans l’éducation transforme non seulement la relation entre enseignants et élèves, mais aussi la nature du savoir lui-même. Il devient essentiel que les élèves développent les compétences nécessaires pour comprendre, maîtriser et utiliser efficacement l’IA. En parallèle, il est tout aussi crucial de les former à une pensée critique face à un monde où l’IA occupe une place grandissante. Pour répondre à ces nouveaux défis, les programmes scolaires doivent évoluer, intégrant des compétences en numérique et IA pour préparer les jeunes à s’adapter à une société de plus en plus digitalisée.
Cependant, cette évolution technologique ne doit pas se faire au détriment des valeurs humaines. Une réflexion éthique et pédagogique doit accompagner cette transformation pour s’assurer que l’humain reste au cœur du processus éducatif. En replaçant l’intelligence humaine au centre, l’IA peut devenir un puissant levier d’amélioration de l’apprentissage, mais toujours dans une perspective où l’épanouissement de l’élève et son esprit critique demeurent des priorités.
L’éducation au numérique
L’introduction d’une éducation au numérique, et non simplement l’utilisation d’outils numériques en classe, a pour but de rééquilibrer les dynamiques éducatives face à la transformation digitale de nos sociétés. L’école, en tant que lieu de socialisation, se voit investie d’un rôle crucial : accompagner les citoyens dans le développement de leur esprit critique face aux multiples enjeux technologiques. Plusieurs chercheurs soulignent l’importance de «pédagogiser» ou de «scolariser» le numérique (Durampart, 2018), c’est-à-dire de ne pas seulement utiliser les technologies comme support, mais d’enseigner aux élèves comment les comprendre, les maîtriser et les utiliser de manière consciente et critique.
En ce sens, l’intégration du numérique dans les programmes scolaires doit aller au-delà de la simple maîtrise technique des outils. Elle doit s’articuler autour de compétences clés, telles que la pensée algorithmique, l’éthique numérique, la gestion de l’information et la cybersécurité. Ces compétences permettent de renforcer l’autonomie et la capacité des apprenants à évoluer dans un environnement digital complexe. Bernard (2018) parle d’augmenter les «capacitations» des élèves, c’est-à-dire leur donner les moyens non seulement de consommer des technologies, mais aussi de les utiliser pour se développer intellectuellement et participer activement à la société.
Ainsi, l’éducation au numérique doit préparer les jeunes à être des citoyens éclairés dans un monde où la technologie occupe une place centrale, tout en encourageant une réflexion critique sur les outils qu’ils utilisent. Cela implique un changement de paradigme éducatif, où l’école ne se contente pas de suivre l’évolution technologique, mais de la précéder, en formant des individus capables de s’adapter et d’innover dans ce nouvel environnement digital.
Références :
Laurent Heiser, Margarida Romero. Education à l’intelligence artificielle : quelles compétences acquérir par les élèves ? Université Côte d’Azur. 2023, pp.13.
Site web officiel de l’UNESCO : www.unesco.org