Le processus de transition politique en Tunisie ne peut pas réussir sans un puissant soutien économique et financier extérieur. En effet, la Révolution déclenchée le 14 janvier 2011 fondée sur des revendications de dignité, de lutte contre la pauvreté, de création d’emplois et de développement des régions intérieures, n’a pas reçu de réponse positive depuis trois ans, vu la carence des investissements et en raison du manque de financement.
D’où la nécessité pour les bailleurs de fonds internationaux de financer un véritable plan Marshall en Tunisie pour assurer la réussite de processus de transition et permettre au pays d’assurer sa croissance économique.
Afin de pouvoir gouverner, le nouveau chef du gouvernement a besoin d’un climat social favorable et d’une stabilité politique. Or les évènements qui ont suivi l’adoption de nouvelles taxes relatives aux moyens de transport et qui ont soulevé un tollé général chez la population, suite à l’adoption de la loi de Finances relative à l’exercice 2014, ont montré un rejet catégorique. Cela a entraîné la suspension de ces nouvelles taxes ainsi que la renonciation aux augmentations de prix prévues dans le cadre de retrait de la compensation des hydrocarbures.
Cela implique de trouver d’autres ressources, de l’ordre de 7 milliards de dinars pour boucler le Budget de l’État, ce qui n’est pas une petite affaire.
En outre, l’inflation galopante du coût de la vie qui frappe notamment les produits alimentaires pousse les salariés à réclamer des augmentations salariales, ce qui alimenterait encore plus l’inflation.
Le nouveau gouvernement sera probablement contraint de conclure avec l’UGTT un pacte social pour geler prix et salaires jusqu’aux prochaines élections, ce qui impliquerait le maintien de la compensation sur les produits de base.
Mettre à exécution la réforme fiscale
Afin de boucler le budget, le gouvernement Mehdi Jomâa ne pourrait pas justifier de façon crédible des crédits extérieurs pour financer des dépenses de compensation et de consommation.
Il faudra alors mettre à exécution la réforme fiscale qui permettra de rapporter 7 milliards de dinars selon les experts. En effet, sur les 395.000 forfaitaires qui ne paient que des sommes dérisoires et symboliques (0,02% des recettes fiscales) il y a probablement 200.000 qui bénéficient de plus de 500.000 dinars de revenus par an chacun.
Il s’agit de restaurants, salons de thé, cafés, avocats, agences diverses, commerçants, pâtisseries,… qui brassent des millions de dinars chaque année.
Il s’agit de l’application de la justice fiscale : chacun doit payer en fonction de ses revenus) et de lutte contre l’évasion fiscale qui a atteint des proportions démesurées.
En effet il est anormal que 20% des acteurs économiques paient 80% des recettes fiscales.
Plusieurs obstacles majeurs franchis
Notre pays vient de franchir plusieurs étapes sur le chemin de la démocratie et fait avancer le processus de transition politique dans un climat consensuel malgré les lenteurs, les piétinements et les renversements de situation. Ce qui est unique et même exceptionnel parmi les pays qui connaissent des bouleversements politiques et sociaux depuis trois ans dans le cadre de ce qu’il a été convenu de qualifier de “Printemps arabe”.
En effet, notre pays vient de faire approuver selon une écrasante majorité par l’ANC une Constitution qui satisfait toutes les tendances politiques ainsi que les desiderata de la société civile. Le respect des Droits de l’Homme qui consacre l’indépendance de la justice, la liberté de la presse, la décentralisation et la discrimination positive des régions défavorisées ainsi que l’égalité de la femme et de l’homme.
L’instance supérieure indépendante des élections (Isie) a été élue et a entamé ses travaux, elle n’attend que la promulgation de la loi électorale pour fixer la date des élections, qui auront lieu dans neuf mois au plus tard.
En outre, le nouveau chef du gouvernement Mehdi Jomaâ, retenu par le quartet qui pilote le Dialogue national, a constitué une équipe de compétences, neutre et indépendante, il est chargé de gérer le pays en attendant les élections et vient de présenter son programme d’action et obtenir la confiance de l’ANC.
Ainsi, tous nos partenaires politiques et économiques n’ont plus de reproches à nous faire pour ce qui est de la progression du processus démocratique dans notre pays qui pourrait constituer une référence pour d’autres pays.
Il y a là une raison majeure pour soutenir la croissance de l’économie tunisienne et le développement du pays en y injectant les investissements nécessaires.
Conception d’un méga-plan de développement
Notre pays est en mesure d’établir un plan de développement ambitieux et de grande envergure, à réaliser sur cinq ans par exemple, et comportant non seulement les grands travaux d’infrastructure de base mais également les équipements structurants dont nous avons besoin pour accéder au rang d’un pays émergent. Il s’agit de financer des projets de développement qui dorment dans les tiroirs des ministères depuis plusieurs années et qui permettront de créer 100.000 emplois au minimum chaque année durant cinq ans.
Il y a trois barrages-réservoirs à construire et plusieurs périmètres irrigués à aménager ainsi que l’organisation du transfert d’une partie des eaux du nord vers le centre du pays.
Il y a également 300 km d’autoroutes à construire pour désenclaver les régions intérieures du pays : ces autoroutes doivent desservir à partir de l’Enfidha, Kasserine, Sidi Bou Zid, Gafsa et Tozeur ainsi que le Kef à partir de Béja et la frontière algérienne à partir de Béja et à travers Jendouba.
Il y a aussi la construction d’un port en eau profonde à l’Enfidha ou à Bizerte ainsi que l’extension et l’aménagement de plusieurs ports comme Radès, Sousse, Bizerte, Sfax et Zarzis.
Il y a la construction de la raffinerie de pétrole de la Skhira, l’aménagement de plusieurs zones industrielles à l’intérieur du pays et des zones logistiques dont celle de Radès et de l’Enfidha.
Plusieurs gazoducs et pipe-lines sont également à financer pour favoriser l’exploitation de nos gisements d’hydrocarbures.
Plusieurs centrales électriques ainsi que des stations de dessalement d’eau de mer et des stations d’épuration d’eaux usées, attendent des financements depuis plusieurs années alors qu’il y a un réel besoin.
Il y a en outre des universités à construire à l’intérieur du pays : écoles d’ingénieurs, facultés de médecine,… l’aménagement de pistes agricoles et le bitumage de routes régionales qui jouent un rôle économique réel, méritent d’être financés pour dynamiser l’économie dans les régions. Tout cela coûte beaucoup d’argent environ 100 milliards de dinars soit 20 milliards par an.
Concrétiser l’engagement des bailleurs de fonds internationaux
Les bailleurs de fonds internationaux ont le devoir de soutenir la Révolution tunisienne car elle a valeur de référence dans le monde arabe et africain en matière de transition politique et économique.
Banque mondiale, FMI, BAD, BEI, commission européenne, USA, Japon, KFW, Fond Koweïtien pour le développement doivent unir leurs moyens et leurs efforts dans le but de financer un véritable plan Marshal en faveur de notre pays.
On se rappelle que lors du sommet de Deauville d’avril 2011, les grandes puissances se sont engagées dans ce sens mais plus tard ces engagements se sont évanouis dans l’oubli du temps perdu par certains pays du printemps arabe à réaliser leurs mutations démocratiques.
Il faut dire que la réalisation de ce plan Marshall va favoriser la croissance des pays donateurs, car l’implantation des infrastructures de base et l’acquisition d’équipements lourds fera tourner plus vite l’économie des pays développés et industrialisés grâce aux appels d’offres qui seront remportés par les grandes entreprises européennes.
De toute façon, il ne s’agit pas totalement de dons mais aussi de crédits long terme à taux bonifié. Rappelons que la croissance dans l’UE est lente et fragile.
Emettre un message de confiance pour les investisseurs privés
Un engagement conséquent de la part des bailleurs de fonds internationaux en faveur de la Tunisie pour le financement des infrastructures et des équipements de base sera perçu comme un message de confiance et un levier de croissance vis-à-vis des investisseurs directs étrangers, notamment les multinationales pour les inciter à investir de façon massive dans notre pays.
Ce sont les grandes enseignes mondiales qui vont créer des emplois et de la valeur, assurer le transfert de technologie et exporter leurs produits sur les marchés extérieurs à partir de la Tunisie.
Ridha Lahmar
Ce plan Marshall qui a reconstruit l’Europe
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale en 1947, il fallait reconstruire les infrastructures et l’appareil productif de l’Europe qui ont beaucoup souffert suite aux opérations militaires. En outre, l’économie américaine, ayant été boostée par l’armement durant la guerre, doit maintenir le plein-emploi dans sa reconversion en temps de paix. La dénomination Marshall vient du nom du Général George Marshall, Secrétaire d’État dans l’Administration Truman et répond aussi au souci de venir en aide à l’Europe.
Le plan a été annoncé le 5 juin 1947 à Harvard. Entre 1947 et 1951, les USA ont consacré 13 milliards de dollars de l’époque (dont 11 sous forme de dons) pour rétablir l’économie de 16 pays européens. Ce qui correspond à 100 milliards de dollars d’aujourd’hui (4% du PNB des USA), c’est l’OCDE qui a mis au point le plan.