L’analyste Jomai Gasmi explique les dessous du remaniement ministériel

Le discours prononcé par le Président de la République devant les nouveaux ministres, à l’occasion du remaniement ministériel qu’il a opéré hier, dimanche 25 août, le président de la République Kaïs Saïed a laissé entendre un ensemble de messages révélateurs. Des messages qui nécessitent un temps d’arrêt et de méditation quant aux problèmes profonds dont souffrent l’appareil de l’État.

De fait, après avoir répondu aux critiques lesquelles ont condamné le timing du remaniement qui survient à des semaines à peine de la tenue de l’élection présidentielle, Saïed a révélé les raisons derrière la prise d’une telle décision.

Timing…

« Certains ne font pas la différence entre les élections et le fonctionnement habituel des rouages de l’État », a-t-il dit. Et de surenchérir : « Les services de l’État se bloquent chaque jour et la sûreté nationale est au-dessus de toute autre considération », note-t-il d’un ton ferme, avant de préciser que si l’intérêt suprême du pays nécessite d’opérer un remaniement ministériel même après l’ouverture des bureaux de vote, il le ferait sans la moindre hésitation. Ceci dit après avoir expliqué que le remaniement n’est pas lié de quelconque façon à l’élection, le Chef de l’État a précisé qu’il s’agissait d’une opération qu’il a jugé « indispensable ».

A contre-courant?

Il a, dans ce même ordre d’idées, révélé être bel et bien au courant de la doléance des citoyens dénonçant une situation conflictuelle ouverte « entre le peuple tunisien, déterminé à réaliser la justice et à lutter contre la corruption » d’une part et « des parties qui se sont jetées dans les bras de lobbies étrangers, rêvant d’un retour en arrière », de l’autre part… Une révélation qui semble avoir de la pesanteur dans la mesure où entre ce qui se dit par les responsables et ce que vit le citoyen en réalité, il existe un énorme écart !
Dans ce sens, le Président a donné une information toute aussi inquiétante qu’intrigante selon laquelle certains responsables, et quelques jours seulement après leur nomination, se seraient mis à agir de leur propre chef, faisant fi du nouveau système mis en place.  » Le système qui travaille dans les coulisses est parvenu à en contenir un grand nombre de responsables (fraîchement nommés), ce qui a transformé la situation en un conflit entre le système constitutionnel et le système corrompu dont les acteurs espèrent toujours un retour en arrière », a révélé le Président. Et de s’indigner que « ces derniers n’ont pas compris que la Tunisie est entrée dans une nouvelle phase historique et que l’État fonctionne désormais à la faveur d’une Constitution adoptée par le peuple via un référendum » s’est -il indigné. Plus encore, à bien décortiquer les dires de Saïed, l’on est face au triste constat de « l’État dans l’État » qui ne semble toujours pas avoir été éradiqué dès ses racines tant il a mentionné « des centres de pouvoir ont été créés au sein des appareils de l’État, ce qui nécessite une intervention immédiate pour y mettre fin » !

Indispensable
A ce titre, le chef de l’État a rappelé que la Constitution actuelle stipule que le pouvoir exécutif est exercé par le président de la République qui est assisté par un gouvernement, mettant ainsi l’accent sur « le rôle d’un ministre qui est celui d’aider ». Saïed a alors noté un dysfonctionnement au niveau des rouages de l’État, aussi bien à l’échelle régional que central. Un dysfonctionnement qu’il a dénoncé et dont les signes résident dans « le fait qu’un grand nombre de responsables n’ont pas rempli leurs devoirs, fermant leurs portes aux citoyens au lieu de se tourner vers eux et de trouver des solutions à leurs problèmes », a-t-il noté en concluant : « Le remaniement était indispensable« , a-t-il insisté.

Que peut-on déduire de ce lot d’informations qui ne sont franchement pas très bonnes ? Que faire pour assainir un système de l’État qui semble toujours vicié, avarié par de très mauvaises vieilles habitudes lesquelles ne mettent jamais l’intérêt national avant l’intérêt étroitement personnel ! Un système, selon les dires du Président, où certains tenteraient encore de suivre des diktats étrangers, tentent de remettre la hideuse machine de la corruption en marche et se déploient toujours à servir des intérêts autre que celui de ce peuple aux grandes espérances ?

Les dessous
C’est à ce propos que Réalités Online a interrogé l’analyste, Jomai Gasmi, auteur et chercheur spécialisé dans les affaires politiques.
Notre interlocuteur a de prime abord noté que, conformément à la Constitution du 25 juillet, le remaniement ministériel est la spécialité exclusive du Président de la République. Dès lors, en procédant à des remaniements qu’ils soient partiels ou totaux, le Chef de l’État exerce son droit constitutionnel et ses prérogatives. Cependant, explique l’analyste, c’est au niveau du timing que cela pose problème.

« Nous sommes en pleine phase électorale et à seulement quelques semaines de l’élection présidentielle. Et la logique politique impose, dans une pareille phase, de maintenir une stabilité en repoussant tout changement à une date ultérieure à l’élection. La même logique impose qu’il y ait justement un remaniement ministériel complet après l’élection. Et ce, pour que la nouvelle équipe gouvernementale mette en exécution les promesses électorales que le Président évoquera lors de sa compagne. Le fait que le Chef de l’Etat ait procédé à un remaniement, à seulement quelques semaines des échéances, et sans attendre ceci ne peut que confirmer qu’il y avait bel et bien urgence en la matière ! Le Président Saïed est le seul habilité à savoir si l’équipe gouvernementale est à même de réaliser sa mission à bon escient ou pas. Et à mon sens, s’il a agi contre la logique politique, ceci confirme que cette équipe a failli à son devoir. D’ailleurs il a bien mentionné ‘’un manque de concordance et d’harmonie’’ ! Et comme il vient de nommer un nouveau Chef du gouvernement, ce dernier a besoin de ‘’soldats’’ prêts à travailler à l’unisson pour qu’il y ait un résultat. Dès lors, si l’on tient compte de ces éléments et qu’en plus, le Président évoque ‘’ l’intérêt suprême de la nation’’, ceci veut certainement dire qu’il y a bien eu des écarts et qu’il fallait y remédier immédiatement sans attendre les élections. Ceci l’est davantage puisque Saïed a évoqué des termes de très haute importance en évoquant les raisons ! Il a évoqué un ‘’conflit’’ et des cellules de pouvoir qui tentent de ‘’contenir’’ les nouveaux responsables ! Il existe donc bien des conflits entre différentes parties au sein même de l’Etat ! Ce n’est donc pas un jeu, ni un choix arbitraire que de ne pas attendre la fin des élections, mais une question de salut et d’intérêt national qui est d’une urgence prioritaire ».

Abir CHEMLI

 

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