Plus on en parle, plus le pays dérape. Plus elle dure, plus elle gagne en complexité et en rebondissements inattendus. Plus on s’inquiète, plus on est pris dans le piège de l’inaction et de l’impuissance.
La crise politique qui sévit depuis des mois, montre les profondes frictions qui caractérisent les relations entre les deux têtes du pouvoir qui, faute d’arguments cohérents, de discours clair et de sens de l’Etat, improvisent à tour de bras, concoctent de mauvais scénarios et peinent à trouver le bout du tunnel.
En témoignent les manœuvres de toutes sortes auxquelles elles se livrent, les risques de plus en plus évidents de la fragmentation de l’activité parlementaire, les tentatives désespérées de former une nouvelles coalition pour sauver ce qui reste de Nidaa Tounes, la guerre de tranchées qui bat son plein entre Nidaa Tounes et Ennahdha au sujet du rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité et la prééminence du clientélisme dans le processus de nomination des hauts fonctionnaires de l’Etat où les considérations partisanes ont pris le pas sur le mérite et la compétence.
Dans un pays aux abois, où les tensions politiques, les difficultés économiques et monétaires ont tendance à s’exacerber et où le risque d’une implosion sociale est plus que jamais redouté, ce qui surprend le plus, c’est manifestement le manque de repères chez la classe politique et l’inversion des priorités. Les dossiers chauds et essentiels sont traités comme de vulgaires questions, ne méritant ni débat, ni mobilisation digne de ce nom. En lieu et place, on se contente de proférer des slogans creux en taxant les pouvoirs en place d’être sous la tutelle des institutions de Bretton Woods et certaines parties, qui ne présentent ni vision, ni projet alternatif, ne reculent pas à blâmer les Tunisiens d’avoir choisi des responsables dont l’incapacité de diriger les affaires publiques est notoire.
Aux flou et incertitudes omniprésents, s’ajoutent une partie de ping-pong entre le gouvernement et la présidence, un discours guerrier de l’UGTT et une fuite en avant de la majorité des partis politiques qui n’ont plus aucun argument à présenter aux Tunisiens, sauf peut-être de prêcher le faux, de continuer à s’entredéchirer ou de crier au complot. Après leur débâcle aux Municipales, ils continuent de vivre des moments difficiles, mais refusent de tirer les bons enseignements de leur déclin, en versant dans des combines qui ne font que les affaiblir davantage et rendant aléatoire, à un an des prochaines échéances électorales, l’émergence de vraies forces centristes, socio-démocrates ou progressistes capables de contrebalancer Ennahdha dont les tentacules ne cessent de s’étendre.
Le débat public, vicié, tourne aujourd’hui autour de questions superflues. Les dernières nominations à la présidence de la République et à celle du gouvernement constituent les choux gras des discussions politiques et de la presse. On se focalise sur le choix pour les deux têtes du pouvoir, de personnalités qui ont, soit servi et n’ont pas réussi, soit sont repêchées et dont l’apport est incertain, ainsi que sur les moyens à mettre en œuvre pour sortir le pays du gué ou enclencher véritablement un processus de réformes inévitables.
Les projecteurs sont également dirigés vers les guerres fratricides et improductives entre les conseillers des deux institutions, reflétant de mauvais accords et surtout des chefs d’orchestre qui maîtrisent mal leurs partitions et léguant au second ordre ce qui intéresse au premier chef le Tunisien dans son quotidien ou tout ce qui lui permet d’avoir confiance en l’avenir.
Dans ce tourbillon que vit la Tunisie et qui s’alimente de l’inconscience de la classe politique, de son manque de maturité et des mauvais calculs des acteurs sociaux, on daigne oublier que les partis politiques, en décomposition et recomposition constante, risquent de tout perdre en laissant la voie libre à une nouvelle déferlante islamiste en 2019.
L’UGTT, dans son dérapage incontrôlé et le nouveau rôle, contre-nature, qu’elle joue à fond, ne semble pas être consciente de son manquement à son rôle et à sa mission historiques. En développant un discours belliciste, qui cache mal des desseins inavoués, ses dirigeants sont en train de l’entraîner dans un cycle aux conséquences fâcheuses. Tout en critiquant tout le monde et en se prévalant en tant que seule force qui compte dans le pays, ses dirigeants n’ont plus cette propension à prendre le recul nécessaire ou le courage de reconnaître leur part de responsabilité dans le chaos que vit aujourd’hui le pays.
L’UTICA, enfin, reste, malgré le changement intervenu au niveau de ses structures dirigeantes, hésitante, peinant toujours à retrouver ses repères et la voie qui lui permet de retrouver son influence et son poids d’antan.