Report des tombées bancaires : Un goût d’inachevé

Les facilités bancaires annoncées par le Chef du gouvernement dans le cadre de tout un package de mesures d’urgence pour atténuer les retombées de la crise du coronavirus, et qui consistent notamment à différer le règlement des échéances de remboursement des crédits bancaires, ont mis du baume au cœur de nombre de ménages et d’entreprises économiques. Mais il semble que l’opération ne serait pas à titre gracieux…

Suite à l’annonce   du Chef du  gouvernement, Elyes Fakhfakh, du report des tombées bancaires pour aider particuliers et professionnels à mieux affronter ce contexte difficile marqué par l’arrêt de l’activité suite aux mesures de confinement sanitaire intégral ou généralisé dans le but d’atténuer la propagation du Covid-19, la Banque centrale de Tunisie (BCT) a, dans la foulée, diffusé les circulaires n°2020-06 du 19/3/2020 aux banques et aux établissements financiers. Ces textes concernent les mesures exceptionnelles pour les professionnels et les entreprises économiques, ainsi que les circulaires n°2020-07 du 25/3/2020 et n°2020-08 du 01/04/2020 relatives aux mesures exceptionnelles de soutien aux particuliers, usagers de banques et d’établissements financiers.

Or, de sources concordantes et dignes de foi, banques et établissements financiers semblent s’accorder pour que ce report de remboursement des tombées de crédit ne soit pas gratis, mais plutôt facturé par des agios qui seront calculés au prorata des jours de retard dans le règlement pourtant décidé en haut lieu par la présidence du gouvernement.

Comment, en taxant pareilles mesures exceptionnelles, peut-on venir en aide à des particuliers et des entités productives qui sont déjà dans une situation assez compliquée?

Plus que la charge financière, c’est le geste qui choque et qui ne peut en définitive que renforcer la défiance des usagers envers les banques et les établissements financiers.

Par ailleurs et, soit dit en passant, limiter le bénéfice du report de remboursement des crédits professionnels à la seule clientèle des classes 0 et 1 (c’est-à-dire, n’ayant pas d’antécédents d’impayés), serait-il adapté à cette situation de crise, alors que le souci est d’essayer, à tout prix, de préserver la viabilité de l’ensemble du tissu productif ainsi que les sources de revenu des Tunisiens ?

 

Pour des banques plus citoyennes

La responsabilité sociale ou le « Corporate social responsability », proclamée à cor et à cri, dicte en fait un véritable contrat social entre les banques et établissements financiers et la société. Il s’agit en fait de soumettre «l’intérêt marchand à l’existence d’un bien supérieur commun».

Et mis à part la contribution à l’effort de dons et autres facettes de solidarité sociale, il s’agit de mettre en pratique  un nouveau modèle économique capable de mettre en place un mécanisme de redevabilité sociale au niveau communautaire.

Pour des boites qui réalisent annuellement des bénéfices mirobolants, alors que la croissance économique piétine et que les conditions de vie moyennes ne cessent de se dégrader, les banques et les établissements financiers sont plus que jamais appelés à s’élever au rang d’entreprises citoyennes, comme étant des acteurs économiques plus enclins à faciliter la vie de leurs usagers et à apporter une meilleure contribution à la vie de la communauté.

En clair, il s’agit de favoriser des services de haute qualité, plus accessibles et plus abordables, une tarification plus modérée et plus en rapport avec le revenu d’une clientèle moins favorisée ou en difficulté, des produits plus adaptés, une transparence dans les transactions, une communication plus soutenue, une proximité plus soutenue et enfin un conseil plus conforme aux intérêts des usagers, de sorte à adapter la prestation bancaire et financière aux besoins réels de la clientèle des particuliers ou professionnels, souvent incapable de cerner les enjeux financiers, et à abaisser le niveau de risque (de surendettement ou d’incapacité de remboursement notamment) par les effets pédagogiques du conseil.

Tenir compte de la persistance de tension sur les liquidités et d’une activité économique à l’arrêt qui risque d’atténuer leurs profits, ne doit pas occulter pour les établissements bancaires et financiers la prise en compte d’une clientèle de particuliers, fortement endettée pour une bonne partie, d’usagers professionnels et d’entreprises économiques en besoin urgent de soutien conséquent.

Il est vrai que le coût démesuré des prix des services par les établissements de la place qui restent vraisemblablement hors de portée du pouvoir d’achat moyen des ménages tunisiens, et la rhétorique de dénonciation de certains abus des pratiques bancaires, ont sérieusement ébranlé l’image des institutions bancaires et financières tout au long de ces dernières années, et accentué l’exclusion bancaire.

Aussi, les établissements bancaires et financiers, notamment les organismes de leasing, sont-ils invités à prendre des initiatives empreintes d’éthique qui devraient cohabiter avec la logique de profit immédiat.

Cela revient à établir des relations banques ou établissements financiers -usagers ou clientèles plus équilibrées, loin de tout diktat ou d’opacité, empreintes d’une tarification plus adaptée et plus en rapport avec le pouvoir d’achat moyen et d’une qualité de service meilleure et surtout d’une communication plus appuyée qui, forte d’un savoir- faire et d’un savoir-être, ancrera davantage les droits et les obligations des usagers.

Ce contexte de « coronalisation » (allusion  au Covid-19) que vit notre pays, à l’instar du reste des pays de la planète, devrait contribuer à remettre au premier plan l’importance pour toute entité économique et notamment les établissements de crédit (banques et organismes de leasing en particulier) d’inscrire leurs activités dans le long terme. En clair, il s’agit d’une part, de mettre en pratique leur responsabilité sociale (qualité de gouvernance, effort d’emploi, de communication avec son environnement, de coopération avec la société civile, de développement durable, de mécénat, sponsoring et actions caritatives) et d’autre part, de redonner du sens et des principes fédérateurs à la relation entre les banques et établissements financiers et leurs usagers, en favorisant particulièrement la finance inclusive et la démocratisation de l’accès au crédit bancaire.

Cette qualité citoyenne ne peut que contribuer à réinstaurer une relation de confiance et, du coup, améliorer l’image des établissements bancaires et financiers qui ont été souvent taxés d’avoir construit une sorte de rente de situation à partir de la cherté, diversité et complexité des conditions  bancaires et financières.

La responsabilité sociétale qui n’exclut cependant pas la préoccupation de rentabilité, mais ne s’y limite pas non plus, ne peut que profiter aux établissements bancaires et financiers dont la pérennité reste toutefois corrélée à l’aisance de la situation ou à la prospérité des affaires de leurs clientèles d’entreprises et de particuliers.

Samy Chambeh

 

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