Presque 70% des électeurs enregistrés ont voté le 26 octobre 2014 aux élections législatives, celles qui annoncent la fin de la période transitoire. Les enjeux étaient importants et ce scrutin est à qualifier à juste titre d’historique. À leur issue, les deux partis ayant accédé au pouvoir en 2011 et s’étant alliés à Ennahdha ont essuyé une cuisante défaite. Ennahdha, majoritaire lors des élections de l’ANC, s’est retrouvé à la deuxième place après Nidaa Tounes. Qu’est-ce qui a changé dans le paysage électoral tunisien ? Quelles étaient les principales motivations, appréhensions et aspirations des votants ou des abstentionnistes ? Reportage.
A Sidi Bouzid, foyer de la Révolution en 2010, le sentiment de marginalisation continue, poussant beaucoup de jeunes à l’indifférence et au boycott des élections. Outre le manque de développement et d’infrastructures, beaucoup de diplômés sont au chômage, le niveau de vie baissant avec la crise économique sévissant depuis longtemps et qui s’est aggravée pendant les 3 dernières années. Beaucoup de nos interlocuteurs ne croient plus vraiment que les partis puissent leur apporter un changement réel.
Un tour dans les rues suffit à remarquer le manque d’implication des partis politiques. Le bureau du CPR, la veille du silence électoral, est fermé lors de notre visite. Personne n’était présent dans le bureau du Front populaire, pourtant portes grandes ouvertes. Au local de Nidaa Tounes, par contre, une vingtaine de jeunes sont rassemblés, mobilisés et pris par la fièvre de la campagne électorale, en train de peaufiner les derniers préparatifs.
Dans la rue, un homme d’un certain âge à bord d’un véhicule 4X4 hurle dans un haut-parleur des récits racontant le soutien qu’apportait le prophète Mohamed aux démunis et aux victimes d’injustice, «il s’agit d’un militant de Tayyar al-Mahabba, présidé par Hachmi Hamedi» selon Hamdi, un jeune de Sidi Bouzid.
Sur la route principale, plusieurs tentes de différents partis sont dressées à quelques dizaines de mètres les unes des autres. Sous une tente de l’Alliance démocratique, un membre du bureau exécutif nous explique que c’est un parti encore jeune rassemblant environ 300 ou 400 adhérents dans la ville de Sidi Bouzid.
Sous une autre tente, celle du mouvement destourien, des militants, surtout des jeunes, sont rassemblés pour discuter.
Quant au parti Ennahdha, il a fait une démonstration de force après la prière du vendredi. Un cortège composé de plusieurs dizaines de voitures, avec drapeaux ornés du sigle du parti, a parcouru la route principale. Dans son local, nous sommes reçus par des jeunes militants, hommes et femmes, mais les responsables n’étaient plus là, s’étant tous rendus à la mosquée.
Malgré la présence de tous les partis, pancartes et affiches accrochées, bureaux disponibles ou tentes dressées, la ville de Sidi Bouzid semble désintéressée, aucune fièvre électorale ne semble motiver les habitants ou même les militants qui, malgré leur mobilisation dans la rue, arborent un air presque figé. La vie continue nonchalamment à Sidi Bouzid, sans l’attente d’un quelconque changement, du moins dans l’immédiat.
Indifférence et abstention
Amine Hamdi, âgé de 31 ans, est originaire de Sidi Bouzid et y vit. Ayant obtenu un master d’architecture d’intérieur, il est pourtant chômeur. Il s’abstient de voter, bien que s’étant retrouvé dans les idées du Front populaire. Il sait «que les idées et les projets du Front populaire ne peuvent être réalisés, tels l’équité sociale et l’effacement de la dette nationale», d’où son refus de voter. Son ami Karim Hafsaoui, 28 ans, au chômage lui aussi malgré son master en architecture d’intérieur, travaille temporairement à l’ISIE «pour la prime» souligne-t-il et s’abstient pourtant de voter. Personne n’a pu le convaincre. «Si je vote pour quelqu’un cela va être en me basant sur une appartenance à la même famille ou à la même région, sinon je ne crois pas aller voter», avance-t-il l’ai narquois.
À El Manar, le jour du vote, un jeune serveur qui a décidé de ne pas aller voter nous explique que s’il le pouvait, il voterait Nidaa pour contrer Ennahdha, alors qu’un autre, abstentionniste convaincu, soutient qu’il ne vote pas, car il est sûr que le parti pour lequel il aurait voté, à savoir Ennahdha, gagnerait de toutes les façons sans avoir besoin de sa voix.
Voter par rejet ou voter utile
De nombreuses personnes rencontrées lors de nos reportages à Sidi Bouzid ou sur le Grand Tunis ont décidé de voter pour contrer une force spécifique. Même ceux qui ne votaient pas avaient aussi leur avis sur la question et refusaient de voir tel ou tel parti au pouvoir. Plusieurs raisons sont communes à toutes les personnes rencontrées qu’elles viennent des régions intérieures ou de Tunis, issues de quartiers populaires ou huppés. La peur des menaces sur les droits et les libertés, du terrorisme, de la restauration d’un régime autoritaire ou d’une crise économique allant en s’aggravant…
Beaucoup avaient voté en 2011 pour l’un des partis de la Troïka, essentiellement Ettakattol ou Ennahdha et ils viennent voter aujourd’hui pour les sanctionner et les empêcher d’accéder au pouvoir et non pas par adhésion à un autre parti.
Hamdi est un autre jeune de Sidi Bouzid, âgé de 27 ans et ayant décroché un master en architecture d’intérieur il y a deux ans, travaille comme réceptionniste de nuit dans un hôtel. Son salaire est de 180 dinars, en y ajoutant les 150 accordés par l’État, il touche au final moins de 400 dinars par mois. Hamdi rejette Ennahdha et le Nidaa. Pourtant, en 2011, il a voté pour le parti islamiste, aujourd’hui, il regrette son choix.
«J’ai cru que les candidats d’Ennahdha étaient des «gens pieux qui craignent Dieu» et donc qui sont honnêtes et ne volent pas « et de poursuivre « Je rêve d’une société où chacun est libre de pratiquer ou non sa religion. Mes amis ont été surveillés du temps de Ben Ali, rien que pour avoir prié une ou deux fois à la mosquée. Ils n’avaient pourtant pas d’activité politique et n’étaient pas des extrémistes. Après son accession au pouvoir, j’ai découvert qu’Ennahdha avait juste fait de la propagande pour accéder au pouvoir. Il n’a rien réalisé de nos revendications. Ils prétendent (militants et responsables d’Ennahdha) qu’on les a empêchés de travailler, mais s’ils l’avaient voulu, ils auraient pu faire des choses.»
Ensuite, il explique son refus de voir Nidaa Tounes accéder au pouvoir. «Je rejette Nidaa, car son président, Béji Caîd Essebsi, a annoncé qu’il finirait l’étape précédant les élections de 2011 et quitterait la scène politique. Aujourd’hui, il a rassemblé les Rcdistes. La deuxième raison de mon refus est mon scepticisme. Qu’est-ce qu’il va donner aux jeunes, qu’est-ce qu’il va me donner ? D’autant que j’ai étudié le programme et qu’il ne m’a pas convaincu.»
Karim Hafsi, malgré son abstention, refuse aussi de voir Ennahdha gagner les élections à cause de son idéologie qui, selon lui, n’est faite que d’instrumentalisation de la religion.
Amine Hamdi s’attend quant à lui à voir Ennahdha ou Nidaa Tounes remporter les élections à Sidi Bouzid. «Cela se joue entre eux ici. Nidaa Tounes peut gagner, car les Rcdistes sont très nombreux à Sidi Bouzid, d’ailleurs c’est le gouvernorat qui en contenait le plus à l’ère de Ben Ali. Le Front populaire a aussi sa base électorale à Sidi Bouzid», nous précise-t-il.
Devant l’école primaire Habib Bourguiba, pas loin de la corniche de la Marsa, des jeunes discutent après avoir voté. Ils nous expliquent qu’ils «ont voté pour avoir une Tunisie à leur image.» Ils n’ont pas non plus voté pour s’exprimer, mais pour éliminer une autre force. Ils n’ont pas pour autant voté Nidaa et ils espèrent que «l’UPT trouve sa place dans le Parlement.»
Un homme, la quarantaine, se livre «sincèrement j’ai voté moitié utile, moitié convaincu. Motivé par l’aspiration à la sécurité et la stabilité du pays. L’avenir du pays m’importait, c’est primordial pour moi, je suis père de deux enfants, mon seul souci, c’est leur avenir. Il y a des partis que je ne veux pas voir au pouvoir. Non seulement ils ont échoué ces dernières années, mais ils ont aussi conduit le pays dans une impasse à tous les niveaux. La peur existe, car je suis persuadé qu’il y aura des surprises, comme en 2011. Personne ne s’attendait au score d’al-Aridha Chaabia, cette fois aussi il y aura des surprises…»
Croyant en sa capacité en tant que citoyen à changer les choses en Tunisie et répondant aux « conspirationnistes » qui soulignent que tel ou tel parti accèdera au pouvoir, car il est soutenu par des puissances étrangères, il argumente. «Les puissances étrangères soutiennent certainement un parti ou un autre, mais le destin des Tunisiens ne se joue pas dans des coulisses. Seulement, cela existe vu l’emplacement stratégique de la Tunisie et cela s’est renforcé après la Révolution. Voyez ce qui se passe en Libye, en Égypte, avec l’Algérie… tout le monde veut que la Tunisie soit stable.»
Devant la même école, une femme de la quarantaine nous exprime sa fierté de pouvoir voter, «chose qu’on n’a pas faite depuis des décennies, bien qu’il s’agisse aujourd’hui de mon deuxième vote, on a toujours la peur au ventre. J’ai peur de perdre ma liberté en tant que femme tout d’abord, vous comprenez ce que je veux dire, inutile de mettre le point sur les “i”. J’ai peur pour mes enfants, je veux un avenir meilleur pour eux. Mes filles ont été élevées libres, je ne veux pas que leur situation régresse. Vote utile ou convaincu ou les deux ? J’ai voté selon ma conviction, sans prendre en compte le programme économique. Il y a un parti bien déterminé que je ne veux plus voir sur la scène politique et j’ai voté contre ce parti !»
À la Marsa et toujours pour contrer la montée d’Ennahdha, mais aussi pour sanctionner le parti pour qui il a voté en 2011, un artisan ayant la cinquantaine s’exclame «je vote Bajbouj !», ne vous prenez pas la tête, tous les Marsois votent Bajbouj. Jai voté Ennahdha en 2011 et c’était une erreur de jugement. En ce qui concerne Ennahdha et Ettakattol, les Marsois ont changé d’avis. Nidaa n’a rien à m’offrir comme citoyen, tous les partis sont d’ailleurs pareils, mais «Bajbouj» a acquis de l’expérience et quand on a mon âge, la seule chose qui compte est la sécurité ainsi que l’avenir de mes enfants, non les conditions économiques.»
À la Marsa, ce jour-là, les voitures passaient en klaxonnant, les passagers, essentiellement de la gente féminine, brandissaient le drapeau tunisien et les cafés sur la corniche grouillaient de monde malgré l’heure matinale, les gens ayant voté y discutaient politique et élections. À El Manar, la même ambiance régnait et, même dans les quartiers populaires, certains cafés avaient accroché le drapeau tunisien le long de leur façade.
À l’école primaire du quartier du 5 décembre, quartier populaire de la Marsa, revenaient les mêmes arguments de vote de sanction ou pour empêcher certaines forces d’accéder au pouvoir. Le changement de décor entre la Marsa ville et sa banlieue n’a pas été suivi par un changement d’humeur. «Je voulais faire un choix modéré, je ne veux voir ni Ennahdha, ni Nidaa Tounes, au pouvoir. Je veux un parti qui laisserait le peuple libre de ses pratiques, un parti qui ne réduise pas les libertés des gens, ni ne soit trop libertin. J’ai choisi une personnalité militante et jeune, car j’ai peur de l’extrémisme et qu’au nom des libertés on accorde des amnisties générales sans qu’elles ne soient étudiées», nous témoigne une jeune femme de trente ans. Et elle s’explique, «c’est pour cela que j’ai choisi le Courant démocratique. J’aspire à la sortie de la crise, à la démocratie, à l’équité sociale, quand tu instaures la démocratie et l’équité sociale, la sécurité s’en suit. Dans le passé, je n’avais pas peur pour les droits des femmes, mais aujourd’hui c’est le cas, depuis que je les ai vues (des femmes) sortir manifester pour l’application de la charia. Quelle charia veulent-elles appliquer? Elles en sont conscientes ?»
Quant à son refus de voir Ennahdha au pouvoir, elle souligne ses raisons tout en parlant, comme l’a fait Hamdi à Sidi Bouzid, de la ressemblance entre le fonctionnement des «Chooba» du RCD et celui d’Ennahdha. «Je ne veux pas qu’Ennahdha accède de nouveau au pouvoir, entre Ennahdha et le Nidaa, ce deuxième serait le moindre mal et me fait moins peur que le premier (…) Ils œuvrent depuis longtemps pour gagner les élections, même avant la campagne électorale. Ils font de l’associatif pour cela, distribuent les dons selon des critères religieux et vestimentaires. Si la femme est voilée ou que l’homme est barbu, qu’ils prient, ils y ont droit. C’est exactement comme faisait le RCD. La même procédure et la même mentalité sévit aujourd’hui dans les quartiers populaires.»
À quelques pas d’elle, deux jeunes filles qui vont voter nous expliquent que les conditions sécuritaires et économiques motivent leur choix ainsi que la peur pour les droits des femmes. En 2011, elles ont voté Ettakattol et aujourd’hui, elles votent pour «Bajbouj». Leur grande peur est celle du terrorisme et leur aspiration profonde va à la sécurité et au redressement de l’économie. Elles appréhendent la montée d’Ennahdha et ne veulent pas que ce parti remporte les élections.
Tout comme elles, un homme d’un âge mûr avait voté pour Ettakattol en 2011, aujourd’hui, il veut voter utilement. Il témoigne de sa peur du terrorisme et de ses craintes pour l’avenir de la Tunisie. «Ennahdha n’a pas tenu ses promesses. Il a promis du travail et autres avantages aux gens pour qu’ils votent pour lui en 2011 et il les a ensuite laissés tomber. Beaucoup sont déçus d’Ennahdha», affirme-t-il.
Son ami de même parle de la nécessité d’améliorer le niveau de vie qui baisse et veiller à la sécurité. En 2011, il a voté Ennahdha et refait le même choix en 2014. Les partis d’opposition n’ayant pas laissé Ennahdha travailler selon lui.
À la sortie du bureau de vote, toujours dans le quartier du 5 décembre, un jeune homme a l’air triste, la trentaine et chômeur, il a fini de voter. Sur son visage se lit un profond désespoir. «J’ai voté Ennahdha en 2011, car on m’a promis du travail, mais on m’a ensuite laissé tomber. Je refuse de voir Ennahdha et Nidaa au pouvoir. J’ai alors voté pour un parti qui puisse m’offrir une chance de travailler.»
Dans la Cité Ettadhamoun reviennent presque les mêmes témoignages. Une femme, la quarantaine, ayant juste fini de voter avec sa fille nous lance, un grand sourire au visage et beaucoup d’optimisme, «je suis venue pour la Tunisie, pour que mes enfants vivent dans la sécurité, pour que le niveau de vie s’améliore et pour un gouvernement œuvrant dans l’intérêt du peuple. Je ne veux pas qu’Ennahdha accède au pouvoir et j’ai voté Nidaa Tounes, je ne sais pas pourquoi, mais par pressentiment. Je sens qu’il peut contrer Ennahdha et l’empêcher d’accéder au pouvoir.» Cette dame avait aussi peur pour les droits des femmes. Pour elle, si Ennahdha n’a pas encore vraiment touché aux droits de la femme c’était parce que la période était transitoire et temporaire, mais cela changera s’il accède au pouvoir.
Une autre femme du même âge, croisée à quelques pas du centre commercial, souligne qu’elle était membre du RCD et qu’elle veut que les destouriens reviennent au pouvoir. «Ils sont la base de l’État» argumente-t-elle. Venant motivée par la défense du niveau de vie, la lutte contre de chômage, elle veut voir Nidaa au pouvoir. Même si elle ne veut pas voir Ennahdha, pour qui elle a voté en 2011, accéder de nouveau au pouvoir, elle n’a pas pour autant peur pour les droits et les libertés de la femme «qui sont acquis depuis l’ère de Bourguiba et personne ne peut les lui prendre». Par contre, elle a peur de la réaction d’Ennahdha et craint qu’il ne sème le trouble si jamais il n’accédait pas au pouvoir. En 2011, quand elle a voté Ennahdha, c’était par croyance, pensant «que Rached Ghannouchi resterait en dehors de la scène politique, mais il s’est impliqué» nous explique-t-elle en racontant l’histoire de l’Imam du Kram qui a été brûlé au vitriol par le passé. «Je n’ai pas oublié et je l’oublierai jamais», conclut-elle.
Un jeune votant pour la première fois, la trentaine, habiatant cité Ettadhamoun, a choisi Nidaa Tounes pour contrer Ennahdha «pendant l’ère de la Troïka, ils n’ont rien fait pour contrer la montée du terrorisme et la cherté de la vie». Il connait beaucoup de personnes dans son entourage qui opteront entre trois partis : Ennahdha, Nidaa ou le Front populaire.
Un homme au chômage, la cinquantaine, nous interpelle. «Ils sont tous pareils, les promesses ne seront pas tenues, mais je vote quand même pour mes enfants, peut-être qu’ils auront un meilleur avenir». Il raconte avoir voté Ennahdha en 2011, puis en avoir été déçu. Et il estime qu’«Ennahdha a le même fonctionnement que le RCD, les mêmes comportements et ne tient pas ses promesses. Ils m’ont promis, ainsi qu’à tous les chômeurs, une carte d’adhésion gratuitement, ils n’ont même pas voulu me la donner après les élections, car je n’ai pas payé les cinq dinars. Je ne veux pas qu’Ennahdha accède au pouvoir». Il avait voté l’Union patriotique libre, dont le président, Slim Riahi, est jeune, actif et a fait fortune intelligemment, selon lui.
Parmi tous nos interlocuteurs de la Cité Ettadhamoun, deux femmes seulement ont voté Ennahdha, renouvelant ainsi le même vote qu’elles avaient fait en 2011. L’une d’entre elles explique son choix. «Ils craignent Dieu, ce n’est pas le cas des autres, il y a même un politicien qui a promis de permettre la consommation du cannabis !»
À El Manar, les mêmes choix reviennent également. Un jeune ayant voté Nidaa nous explique que dans sa famille ils sont six à donner comme mot d’ordre de voter pour le parti présidé par Béji Caïd Essebsi, une vraie réunion de famille avait eu lieu. En 2011, par contre, il a voté Ettakattol, toujours pour voter utile, comme il le fait cette année.
Certaines réactions ont été surprenantes. Tel un passant qui, nous voyant discuter avec deux jeunes, nous lance sans même ralentir ses pas «Dieu, faites que notre fardeau soit allégé !» «Lequel ?»,l’interroge-t-on, «Ennahdha !» rétorqua-t-il.
Cité Ezzouhour, le président du bureau nous a déclaré que sur 1.171 enregistrés, 565 ont voté jusqu’à midi.
Il y a eu un problème concernant les gens qui voulaient voter alors qu’ils n’étaient pas enregistrés.
Outre tous ces votes «sanction» ou «utiles», on trouve aussi des votes ayant été exprimés par fidélité ou hommage. Tel l’exemple d’Ahmed, votant à l’Aouina. Il était déterminé à voter pour le Nidaa, mais il a changé d’avis devant l’urne en ayant eu une pensée pour Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, il a alors choisi d’accorder sa voix au Front populaire.
Peur et aspiration, démocratie et liberté
En faisant le tour des bureaux de vote, c’est le sentiment de peur qui revient très souvent dans la bouche des personnes sollicitées. La peur des femmes pour leurs droits et libertés, la peur du terrorisme et celle concernant l’avenir.
Une jeune fille de la Marsa a souligné que sa peur pour les droits des femmes ne venait pas seulement du parti Ennahdha. Elle explique «quand j’entends Béji Caïd Essebsi dire «ce n’est qu’une femme», je ne peux qu’avoir peur. J’ai peur de la montée d’Ennahdha pour que le pays ne s’effondre pas de nouveau et j’ai aussi peur de la montée du Nidaa en entendant Béji Caîd Essebsi dire cela. Qu’est-ce que cela veut dire ?»
Mais les votes exprimés le 26 octobre dernier n’étaient pas seulement motivés par la peur. Un jeune nous déclare «Je me suis retrouvé à Afek, ce n’est pas un choix définitif, mais ce parti m’est le plus proche. Il compte des cadres politiques jeunes et leur leader, Yassine Ibrahim, est encore jeune, actif. Les premiers jours, je me suis aussi penché sur Slim Riahi, il est jeune, mais il manque d’expérience politique.»
À Sidi Bouzid, un jeune de vingt ans, dit qu’en votant il a l’espoir de participer à la construction d’une Tunisie moderne, une Tunisie «à mon image.»
Conditions socioéconomiques
Le modernisme, la démocratie, la liberté ont certainement motivé beaucoup de votes, mais l’amélioration des conditions socioéconomiques a aussi été parmi les motivations importantes. À Sidi Bouzi, Hamdi l’a évoqué, «le problème, c’est la création de l’emploi, il y a beaucoup de diplômés à Sidi Bouzid, on voudrait un environnement propice aux services. Ici les diplômés savent que la fonction publique n’est pas ouverte à tous et n’a pas la capacité d’embaucher tout le monde, donc au moins, il faudrait leur faciliter la réalisation d’un projet. J’ai moi-même l’idée d’un projet, mais il y a beaucoup de bureaucratie, de paperasses, on exige l’autofinancement. Afek Tounes a promis de faciliter les procédures, il a promis qu’on pourra même retirer l’extrait de naissance depuis Internet. Il y a un proverbe chinois qui dit «ne me donne pas un poisson, apprends moi à en pêcher», c’est ce que je veux et c’est qu’a promis Afek Tounes, nous faciliter les choses».
De part et d’autre, la peur a mobilisé les électeurs mais l’espoir d’un avenir meilleur et d’une sortie de crise n’ont pas été moins mobilisateurs.
Hajer Ajroudi