Requiem pour le palais Raffo à l’Ariana

Your browser does not support the audio element.

 

Par Aïssa Baccouche

Comme les duchesses déchues de l’ancien empire qui se dessaisissaient de leurs oripeaux, l’Ariana, qui selon l’une des légendes se rapportant à sa formation, serait l’Ariane de la mythologie grecque qui s’enfuyant avec Thésée roi d’Athènes est abandonnée sur l’île de Naxos, se déleste lentement mais sûrement de ses atours : Le palais Zaouche est en ruines, le palais Baccouche craquelle, le palais Ben Ayed que j’avais, en qualité de maire, réquisitionné en 1983 pour y élire le siège de la commune, en attente depuis lors de réhabilitation, les belles demeures des Mestiri, des Caïed Essebssi, des Schamama et de Couvopolos à l’encan.

En ce temps de délitement des lieux de mémoire, ce n’est nullement le palais Raffo qui va faire exception.

Lui aussi est frappé par le mal de l’époque. Il subit la loi du genre : une mort lente mais inéluctable.

Ce palais d’environ 1200 mètres carrés fut un véritable joyau de l’architecture italianisante du 19ème siècle.

Son premier propriétaire est d’origine génoise. Dans son livre, édité en 2022 chez Script « les femmes de la maison hussaynite », Leila Temime Blili a longuement parlé de la « Saga des Raffo » – pp. 74 et suivantes – Felice Raffo fut un effet enlevé en 1771 en mer puis introduit comme esclave d’Aly Bey (1712 – 1782). Il devint plus tard son horloger. Il se marina au Bardo avec « une femme libre » Marie – Anne Terrasson – Le couple aura onze enfants dont trois survivraient notamment une fille Elena qui se mariera après s’être convertie sous le nom de Khaddouja à l’Islam – avec Mustapha Bey (1787 – 1837) ; son frère, Guiseppe, deviendra plus tard le ministre de son neveu Ahmed Bey (1806 – 1855). Son fils Felice né en 1824 fera lui aussi partie de la cour beylicale. Il aura lui aussi un fils dénommé comme son grand père Guiseppe. Il épousera Farida Wood la fille du fameux consul britannique Richard Wood.

Le patriarche Guiseppe 1er mourra le 2 Octobre 1862 à Paris et sera, conformément à son testament, inhuminé à l’église de Tunis.

Le palais de l’Ariana a été édifié par le petit fils sur une parcelle de dix hectares qui était dédiée par Mhamed Bey (1811 – 1859) à son père Félice en date du 10 décembre 1857 et qui lui est revenue par le truchement d’une donation de sa mère Elisabeth Mylis en date du 7 décembre 1884.

A la mort de Guiseppe le 12 novembre 1901 la propriété est revenue à son épouse la « contesse » Ferida et à ses enfants. Le 11 février 1918, tous ces héritiers cédèrent leurs parts à une fondation italienne en charge des orphelins.

Le 8 décembre 1944, l’Etat tunisien exproprie cette demeure qui fait partie désormais de l’espace du lycée Kheireddine à la Nouvelle Ariana.

Délaissé, délabré et dégarni, le palais Raffo est désormais logé à la case peu reluisante des I.M.R. On ne peut guère s’aventurer à franchir son portail comme nous l’avions fait tant de fois en compagnie de nombreux ministres de la culture qui, telle une antienne galvaudée, nous assuraient de leur détermination à sauver ce « chef d’œuvre en péril ».

Mais avec le temps comme nous le rappelait Léo Ferré tout s’en va.

Exit la proposition qui j’avais émise il y a belle lurette d’aménager dans ce palais un musée des trois religions abrahamiques puisque l’Ariana était jusqu’aux années 1960 une cité œcuménique.

Exit aussi la redécouverte du tunnel de 1000 mètres de long qui reliait les deux palais Raffo et Baccouche et qui passe sous le lycée pilote Frej Chedly.

Décidément, le village natal de Mahrez Ibn Kahlef (953 – 1022) le saint patron de Tunis, appartient davantage aux disparus qu’aux survivants

 

 

Related posts

Amine Ben Amor victime d’un braquage !

Coupures d’eau inopinées: Plus de 200 signalements enregistrés en avril 2025

Le marché automobile en amélioration au cours des trois premiers mois de l’année