Résistance à la délinquance

Le 27 août, Alia Rihani, résidente à hay Ettadhamen et maintes fois interviewée auparavant, me rapporte son dialogue avec l’un de ses voisins, Houcème, âgé d’à peine 12 ans. Elle commence par le féliciter : -« Ya3tik essaha ma5alithomch Yehlkouk ». Ne pas laisser les autres l’abîmer voulait signifier son refus de participer au trafic de la drogue, au vol des portables ou à l’arrache des sacs à main, spécialités chères aux gamins du coin. Ces menus ou grands larcins entraînent loin du droit chemin et occasionnent les disputes à l’arme blanche dont j’ai déjà parlé. Sensible à l’éloge, Houcème dit à son amie : « Je fais tout. Aucun travail n’est méprisable. Je préfère les chantiers du bâtiment où je gagne mieux. Si le marchand de légumes a besoin d’un employé, j’y vais. S’il faut ramasser ou emmener les ordures, je suis prêt. Cela me permet d’acheter le nécessaire cuisiné par ma mère et de ramasser l’argent pour m’inscrire à des études ». Mon informatrice ajoute : « Il y parviendra ». Ghannouchi recherche l’oiseau rare, eh bien, le voilà ! Houcème ne chôme presque jamais, à la différence de ses copains 7itistes. Les employeurs occasionnels apprécient le profil personnel de ce jeune disposé à l’acceptation d’emplois précaires et à durée limitée. Fréquent, l’appel à ses contributions fait boule de neige et il ne manque jamais d’argent, vu ce perpétuel manège.
Fier, il prête mais n’empreinte guère.
L’ambiant délinquant ne cesse de l’attirer, mais sans parvenir à le capturer. Sa résistance aux attraits de la délinquance préserve ses chances. Ses envieux ne manquent pas, mais leur accoutumance à d’autres façons de vivre les empêche de suivre l’appel venu de son modèle. Comment interpréter ces faits dits par Alia Rihani ? « Déterminismes sociaux et liberté humaine », écrit Georges Gurvitch, le théoricien de l’école sociologique française. Incitations, sollicitations et injonctions de l’entourage social peuvent influencer l’individu singulier, mais celui-ci ne leur cède guère, à la manière dont la pierre, jetée en l’air, obéit aux lois de la pesanteur. Houcème entend le chant des sirènes sans, pour autant, céder aux tentations.
La drogue, brandie par ses compagnons du quartier, rapporte, mais peu lui importe. Il préfère gagner de l’argent sans risquer la prison, ni malmener sa bonne santé. Dans ces conditions particulières, le sens donné au mot « déterminisme » diffère.
Anthropologues et géologues l’emploient sans la même connotation. L’exemple illustré par Houcème trouve un écho, typique, dans le champ politique. Là et ici, l’énonciation gurvitchienne dit : « La société propose et l’individu dispose ». De nos jours, la ruée vers l’avoir et le pouvoir nourrit le discrédit. Répétitive, rébarbative, dissuasive, l’invective électoraliste ennuie les franges élargies de la population indignées par l’avalanche des accusations déployées sans pudeur à l’heure des plaideurs. Pourtant, les personnes de qualité ne manquent pas et leur profil au-dessus de tout soupçon remet en question la systématisation de la stigmatisation.

Parmi eux, figure l’avocate Leila Jerijni d’Afek Tounes et tête de liste pour Tounes 1. Le 16 août, elle participait à la commémoration du 63e anniversaire de la promulgation du Code de statut personnel organisée par la LTDH, l’AFTURD, l’ATFD, l’Association euro-méditerranéenne pour les droits et la Ligue des électrices tunisiennes. A l’image de Bochra Belhaj Hmida, les femmes et les hommes réunis partagent le même avis. Pas un seul misogyne hargneux, du genre islamo-takfiriste, ne dépare l’assistance par sa présence. Muni de ce préjugé, à juste titre favorable, j’ai posé une série de questions à Madame Leïla Jerijni et l’une des réponses m’a surpris par sa pertinence : « Le démagogue se proclame apte à résoudre tous les problèmes. Une fois élu, ses promesses de campagne se laissent emporter par le vent. Le démocrate essaye de réformer les réglementations qui empêchent une libération des énergies collectives et c’est à tous, ensemble, d’agir. Aucune fatalité ne résiste à la substitution du “nous” au “je” ». La responsabilisation de tous et de chacun lègue à la poubelle de l’histoire la recherche de l’oiseau rare.
Voici peu, l’amalgame et la généralisation de la stigmatisation portèrent un tort énorme à des profils d’une haute compétence et au-dessus de tout soupçon.
Quand le juge d’instruction convoqua Afif Chelbi, l’homme, irréprochable, recourt à une tentative de suicide. Car il fut indigné, horripilé, par son assimilation aux mafieux et aux truands du président dégagé sans autre forme de procès.
Auparavant, lorsqu’il fut sollicité pour occuper un ministère, il hésita et demanda l’avis de Khédija Ben Zakkour, son admirable épouse. Elle lui dit : « Vas-y, tu ne vas pas travailler pour Ben Ali, tu vas servir ton pays ». J’en parle en pleine connaissance de cause, puisqu’il s’agit de vieux amis. A l’heure où prospère la folie des grandeurs, madame Leïla Jerijni me paraît, elle aussi, appartenir à ce genre de personnalités motivées par le souci d’œuvrer pour la Tunisie.
En les écoutant, sans concession, me revenait le mot de Farhat Hached : « Ouhibouka y cha3b ». Dans un champ politique réduit à un pugilat où règnent les coups bas, la magouille hargneuse et l’irrégularité, certains paraphèrent un pacte avec l’intégrité. Dans les deux cas, la résistance à la délinquance et le culte voué au bien public, la personne de qualité peut se démarquer d’un milieu délétère et nimbé de vulgarité.
Assassine de la citoyenneté entourée de ses remparts, la ruralisation de la ville n’est guère étrangère à l’ambiant agressif et mortifère. Le charme discret de la bourgeoisie est bel et bien fini. Hétérogènes, deux mondes sociaux, l’un minoritaire, dit beldi, l’autre majoritaire, appelé jabri, occupent l’actuel Grand Tunis et déploient le problème sous-jacent à tous les problèmes culturels, éducatifs, sanitaires, sécuritaires, syndicaux, économiques et politiques. Bonne chance et, surtout, bon courage à madame Leïla Jerjini. Son esprit moderniste et réformiste renoue avec l’épopée bourguibiste, sans cesse diabolisée par les sinistres takfiristes.

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