Le spectre du coup d’Etat a plané sur nos têtes il y a de cela quelques jours. Imaginons l’assassinat du président de la République au moyen d’une enveloppe empoisonnée ! Un scénario digne d’un film d’espionnage et qui, dans le cas d’espèce, aurait inévitablement débouché sur une guerre civile. Par chance, il n’en fut rien. Mais, attention ! Ce n’est pas comme s’il ne s’était rien passé. Et je me garderais bien de traiter le président de la République, et/ou sa cheffe de cabinet, de « menteur ». Ce serait trop facile et surtout très grave dans la mesure où cela constituerait un « mensonge d’Etat » et pourrait porter préjudice à l’institution de la présidence de la République. Quelle « belle » image donnerait-on de notre pays à nos amis et à ceux qui le sont moins ! Par ailleurs, il faut rendre à Kaïs ce qui lui revient. Monsieur le président a prouvé, plus d’une année après son élection, que c’est un personnage rigide, à la parole franche et acerbe, il ne craint pas la confrontation, imperméable aux critiques et ne change pas d’avis ni de cap. Ne l’a-t-on pas surnommé Robocop ? Pourquoi commencerait-il à mentir maintenant? En a-t-il réellement besoin ? Pour bloquer un remaniement ministériel qui aurait obtenu la confiance de l’ARP alors qu’il s’y opposait ? Pour punir le Chef du gouvernement qui lui a tourné le dos après avoir profité de sa bénédiction ? Pour afficher son inimitié envers ceux qu’il considère comme des corrompus ? La belle affaire ! Ce gouvernement n’est pas pire que ceux qui l’ont précédé ou ceux qui vont lui succéder. La situation générale du pays est si chaotique qu’aucun gouvernement n’est en mesure de réaliser quoi que ce soit sans une classe politique soudée face aux défis économiques et sociaux. Et vu l’état exécrable des relations entre les partis politiques et leurs blocs parlementaires, il y a fort à parier que ce gouvernement remanié ne survivra pas plus longtemps que son prédécesseur. Alors, le président n’a qu’à patienter !
Par contre, l’histoire de l’enveloppe vide est loin d’être anodine, même si elle s’est avérée non empoisonnée. Si bien qu’il conviendrait de l’aborder avec moins d’arrogance et de simplisme. Car à défaut d’être un mensonge (ce qui n’a pas pu être prouvé), elle pourrait être une fausse alerte ou carrément une mise en garde, en ce sens que le président n’est pas inaccessible pour ceux qui veulent l’atteindre. C’est, en tout cas, là une piste que les services spéciaux ont certainement retenue et examinée lors de l’enquête car, s’agissant de la vie du président qui relève de la sécurité nationale, aucune thèse ne doit être écartée. D’autant que cette piste est envisageable pour une deuxième raison : la rumeur était née dans la presse algérienne après qu’un communiqué énigmatique de la présidence à Alger eut annoncé que Tebboune s’était «enquis de la santé du chef de l’Etat tunisien après des informations sur une tentative d’empoisonnement», alors qu’à ce moment-là, à Tunis, on n’avait encore rien révélé au public. L’affaire a, ensuite, fuité sur les réseaux sociaux avant d’être reprise par les médias, en l’occurrence par un chroniqueur d’une chaîne TV privée. La question qui se pose avec insistance est : qu’est-ce qui aurait empêché le chef de l’Etat de diffuser une information aussi grave par les canaux officiels de la présidence, sachant que son impact aurait été encore plus fort et surtout plus crédible ?
Cette affaire est donc aussi incroyable qu’inquiétante. Et il y a lieu de soupçonner et de craindre une troisième thèse, celle qui préconise que le président de la République et la cheffe de son cabinet ont été piégés par une mise en scène machiavélique. Le président Kaïs Saïed a, mainte fois, mis en garde les Tunisiens contre des complots fomentés dans des chambres noires et dont il serait la cible. Rappelons-nous, en août dernier, une affaire similaire avait éclaté, faisant état d’une tentative d’empoisonnement du président de la République impliquant le boulanger du palais de Carthage. Cette information a été révélée par un journal tunisien et non par le service de communication de la présidence de la République.
Pourquoi donc cette tendance à taire ce genre d’incidents et à laisser l’information circuler à travers des canaux non officiels ?
La communication tardive sur la nouvelle tentative d’empoisonnement du chef de l’Etat, surtout les contradictions qui l’ont marquée, et en l’absence de pièces à conviction, a provoqué une réelle panique et renforcé les supputations les plus hasardeuses. Plus encore, elle a offert l’opportunité aux détracteurs de Saïed de s’en donner à cœur joie pour le discréditer aux yeux de l’opinion publique.
Cela a suscité également plein d’interrogations dans la mesure où le courrier suspect, s’il en est, est parvenu à la présidence le jour où Kaïs Saïed avait prononcé un discours très virulent à l’encontre du Chef du gouvernement, dévoilant publiquement ses dissensions et différends avec Mechichi et son rejet du remaniement.
Cette affaire d’empoisonnement présumée est-elle liée à ce contexte politique délétère ? La réponse semble avoir disparu dans une déchiqueteuse.
Sauf que, il ne fait plus de doute que cette nouvelle affaire prouve que le président Kaïs Saïed n’est pas à l’abri d’un coup monté. Ses attaques virulentes et ses menaces de dévoiler les comploteurs dérangent et peuvent lui attirer de sérieux ennuis. Que le président ait des adversaires influents, cela n’est un secret pour personne. Il n’y a qu’à entendre les critiques et les menaces proférées à son encontre sous l’hémicycle de l’ARP par certains députés de Qalb Tounes et d’Al Karama pour s’en rendre compte. C’est le propre de toute démocratie, diront certains ! C’est la règle du jeu. Mais une démocratie solide qui ne se laisse pas intimider par les lobbys et les réseaux ne doit en aucune manière tomber dans le bourbier de l’anarchie. Les clignotants de notre jeune expérience démocratique sont tous au rouge. La violence exercée par certains députés sur leurs collègues au sein du Parlement en est le pire des exemples.
Jouer avec la réputation de la présidence de la République au vu et au su des dirigeants du monde entier, c’est aussi une forme de violence politique et d’anarchie.
On peut critiquer un chef d’Etat, on ne l’insulte pas, quand on respecte la République.