Jeudi 8 juin, la France est sous le choc. Un demandeur d’asile, un Syrien de confession chrétienne, commet l’irréparable : il attaque et blesse avec un couteau des enfants en bas âge et des adultes dans une aire de jeux. La France est sens dessus dessous, l’extrême droite aux abois, des appels à la vengeance contre les étrangers sont lancés, rapporte le journal Libération le 12 juin, et le maire de la ville d’Annecy, lieu de l’attaque, porte plainte pour intimidations provoquées par des « harceleurs anonymes », note encore le journal.
L’histoire de ce trentenaire syrien, mis en examen par les autorités françaises pour tentative d’assassinat, peut être celle de n’importe quel demandeur d’asile, ici ou là-bas, tant la situation des demandeurs d’asile et autres migrants est chaotique et pleine de souffrances dès le pays d’origine. Une telle histoire est susceptible d’être vécue n’importe où, n’importe quand, en raison de l’explosion du nombre de ces damnés de la terre qui vont dans les quatre coins du monde frapper à toutes les portes à la recherche de la paix et du pain bénit.
La Tunisie n’est pas à l’abri de tels risques. Pendant des années, elle a été un pays de transit, mais depuis plusieurs mois, avec le durcissement des contrôles aux frontières européennes et le renforcement des opérations de refoulement des clandestins, elle est devenue une base arrière, une plateforme où les migrants clandestins, essentiellement subsahariens, arrivant par vagues, s’installent et attendent patiemment l’occasion idoine pour prendre la mer. Entre-temps, ils se débrouillent comme ils peuvent pour se faire une place parmi des autochtones en prise avec une crise économique et sociale aiguë de plusieurs années et des tensions politiques internes et externes qui menacent la stabilité du pays.
La cohabitation se passe mal, les violences font leur apparition d’une partie comme de l’autre, les appels aux autorités pour réagir et mettre de l’ordre se font de plus en plus insistants. Alerté des dangers qui menacent le pays et particulièrement la ville de Sfax, Kaïs Saïed intervient, prend la parole et déclenche un tollé international. L’erreur est dans la Com et pas dans le principe de prendre le taureau par les cornes. Il s’agit de traiter le problème de l’immigration clandestine dans sa globalité et sa profondeur économique, culturelle, géographique et politique. Or la Tunisie, seule et sans moyens, ne le peut pas. Mais ce ne sera nullement une raison pour que les pays de la rive nord méditerranéenne mettent le paquet financier et sécuritaire pour se prémunir des flux migratoires aux dépens de la Tunisie, ce petit pays qu’il paraît aisé d’ignorer ou d’utiliser à des fins non avouées.
Force est de noter que Kaïs Saïed ne s’est pas laissé intimider et a bien fait comprendre à nos partenaires européens que la Tunisie, pays souverain, respecte les conventions internationales et les droits humains, si bien que le règlement de cette question épineuse de l’immigration clandestine devra être fait dans les règles et les normes, dans le strict respect de la dignité humaine, et qu’il ne se fera pas sans la Tunisie, sans que les intérêts de la Tunisie ne soient pris en compte.
On se souvient encore de la tragédie de Zarzis, à la fin de septembre 2022, et la détresse de toute une ville découvrant le mystère du cimetière, « Jardin d’Afrique », réservé à l’enterrement des naufragés inconnus. Et le désarroi de Sfax où la morgue du CHU déborde de cadavres de migrants morts noyés dans une série de naufrages. Ces drames sont inadmissibles et les Tunisiens refusent de devoir les subir par respect à la vie humaine, et par refus de l’immigration illégale qui entraîne le désordre et la mal-vie, autant pour les migrants que pour les habitants locaux. Il ne s’agit pas là de faire fuir les migrants mais de barrer la route à tout ce qui peut nuire à une migration régulière légale, organisée, qui garantit les droits des migrants et préserve ceux des locaux, ou l’empêcher.
La lutte conjointe contre la migration irrégulière proposée le 11 juin par l’UE à la Tunisie par la voix de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, en visite en Tunisie, accompagnée de la Cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, et du premier ministre des Pays-Bas, Mark Rutte, semble sérieuse et déterminée à atteindre ses objectifs. L’optimisme est permis eu égard aux annonces financières de 1,6 milliard d’euros, faites par Von der Leyen, au Mémorandum d’entente qu’elle propose à la signature avec la Tunisie en vue de moderniser les échanges et les relations entre les deux parties, ainsi que l’ambiance amicale et détendue qui a prévalu autour de la première visite de Giorgia Meloni, puis de son retour après cinq jours avec les deux responsables européens sus-cités.
Les prochains jours ne devraient pas tarder de le confirmer puisque l’UE compte dépêcher son commissaire chargé de la politique européenne de voisinage, Olivier Varhelyi, ce 16 juin, pour suivre l’application de la feuille de route avec les ministres tunisiens, dont celui des Affaires étrangères, avant la tenue du Conseil européen prévu à la fin de ce mois de juin et qui devrait avaliser l’accord après l’approbation des deux parties.
L’Europe se mobilise donc pour sauver la Tunisie mais certainement pas pour le rare sourire de Kaïs Saïed. Il s’agit de plus grave et de plus urgent, à savoir désamorcer la crise migratoire qui menace plus que jamais l’Europe au moment où les partis d’extrême droite et les courants radicaux se font de plus en plus influents et violents.
Si la Tunisie a une occasion de profiter de la realpolitik européenne, c’est tant mieux ! Il restera la grande question des refoulements des migrants non désirés qu’il faudra traiter avec beaucoup de sagesse et de vigilance.
Ce qui s’est passé à Annecy peut se répéter chez nous.