Retour sur la fin de l’histoire en économie

J’avais évoqué dans des chroniques précédentes la question de la fin de l’histoire en économie. Je désignais par ce terme ce que d’autres appelaient la fin de la période de la croissance forte dans les économies développées ce qui a constitué le fondement de l’histoire économique récente depuis la fin de la seconde guerre mondiale et l’avènement des Trente Glorieuses. Désormais, ce qui était la norme dans le fonctionnement des économies développées est devenu l’exception et la croissance est désormais le grand absent de nos économies.
Plusieurs économistes de renom ont évoqué cette question. Ainsi l’ancien Secrétaire d’Etat au Trésor et chef des conseillers économiques de Bill Clinton a parlé, dès 2013, d’une stagnation séculaire. D’autres économistes dont le prix Nobel Joseph Stiglitz lui ont emboîté le pas. Plus proches de nous, ce sont les institutions multilatérales qui se sont saisi de cette thématique et Christine Lagarde, la Directrice générale du FMI, a largement évoqué la question d’une croissance médiocre.
Ainsi, un consensus semble se dégager entre les experts et les institutions multilatérales pour considérer que notre monde connaît une panne de croissance depuis le début des années 1980. Toute la question aujourd’hui est d’en saisir les causes et d’apporter les réponses à cette crise pour sortir du désenchantement et de la désillusion qui sévissent dans le monde.
Pour les origines de cette panne de croissance et si certains évoquent des causes conjoncturelles que les politiques économiques adéquates seraient en mesure de prendre en charge, la plupart des experts et des économistes défendent que des raisons structurelles sont au cœur de cette stagnation. A ce propos, plusieurs raisons sont évoquées parmi lesquelles le vieillissement de la population dans les pays développés, la crise des dettes publiques dans les pays développés et particulièrement en Europe, l’accroissement des inégalités à travers le monde et l’augmentation de l’épargne ainsi que la faiblesse des investissements dans les pays émergents.
Mais, une raison qui est de plus en plus évoquée par les économistes concerne les effets du progrès technique. Une hypothèse paradoxale dans la mesure où le progrès technique a toujours été un facteur de croissance et les innovations ont non seulement augmenté la productivité et favorisé la croissance mais ont été à l’origine de la création d’emplois dans d’autres secteurs. C’était le cas de l’électricité qui a favorisé le travail à la chaîne mais aussi, au moment de la révolution industrielle, des machines à vapeur qui ont été à l’origine du développement des activités économiques dans la plupart des pays.
Or, il semble que le progrès technique d’aujourd’hui et le développement des nouvelles technologies présentent des différences fondamentales de celles que nous avons connues par le passé. En effet, le développement de l’Internet et de toute l’économie en ligne a eu pour effet de détruire un grand nombre d’activités dans différents secteurs sans en créer d’autres. Il s’agit notamment des activités bancaires où le développement des banques en ligne a été à l’origine de la disparition d’un grand nombre d’emplois et d’agences. On peut mentionner plusieurs activités qui ont souffert de cette avancée des nouvelles technologies dans nos sociétés comme le transport, l’achat de livres, le commerce, le tourisme, qui sont à l’origine de la disparition d’un grand nombre de métiers traditionnels comme les caissières, les agents de voyage, les libraires ou de grandes surfaces spécialisées dans le matériel électronique. Pour beaucoup d’experts cette nouvelle vague de progrès technique et ses effets en termes de destruction d’emplois sont au cœur de la panne actuelle des dynamiques économiques.
Par ailleurs, et en dépit des discours écologiques sur la croissance zéro, les experts et les économistes défendent la nécessité de retrouver des chemins plus vertueux au plus vite. Mais, cette nouvelle croissance doit être plus inclusive et plus soutenable pour assurer une plus grande intégration des populations marginalisées et en même temps protéger le climat et la planète. Le retour de la croissance est nécessaire dans la mesure où il aidera à lutter contre le chômage et favorisera une reconstitution des mécanismes de solidarité sociale.
Plusieurs pistes sont évoquées par les experts et les institutions internationales pour retrouver les chemins de la croissance. Ainsi, l’Allemagne devient-elle plus indulgente à l’arrivée des immigrés pour les insérer dans le système économique et faire face ainsi au vieillissement de la population. D’autres pays comme le Japon encouragent les femmes à intégrer le marché du travail. D’autres pays mettent plus l’accent sur la recherche afin de parvenir à de nouvelles grappes d’innovation technologiques qui relancent la productivité et en même temps sont créateurs d’emplois dans de nouveaux secteurs. Ce débat sur la fin de l’histoire économique et le risque que la stagnation actuelle ait un caractère prolongé ou séculaire ne sont pas propres à l’économie globale et aux pays développés. La Tunisie passe également par une période de récession que certains experts pensent qu’elle peut se transformer en dépression. Cette situation exige des réponses urgentes qui sortent des outils traditionnels de la politique économique comme la relance budgétaire ou les politiques monétaires expansionnistes qui ont montré jusque-là leurs limites pour s’orienter vers les politiques structurelles.

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