Retour sur la loi antiterroriste, une urgence qui se fait toujours attendre

Samedi dernier, une manifestation a été organisée au Bardo pour protester contre le terrorisme. Les opérations terroristes ont fait de nombreuses victimes et traumatisé les Tunisiens. Pour faire face à ce fléau, les forces de sécurité n’ont pas besoin que de moyens techniques et militaires. Ils ont à maintes reprises exprimé l’urgence d’une loi antiterroriste qui encadre leur action et les protège dans l’exercice de leurs fonctions. Pendant ce temps, l’ANC traine le pas et ce retard cache des enjeux divers selon les sensibilités politiques et idéologiques.

Les rmes circulent, provenant de Libye ou d’ailleurs, les cellules terroristes se sont installées non seulement sur les hauteurs et les endroits reculés, mais aussi dans les zones urbaines surpeuplées et populaires où souvent des descentes de police mènent à la découverte d’un arsenal impressionnant d’armes, parfois même jusque dans les mosquées.

Plus que jamais la loi antiterroriste devrait être révisée et adoptée. Population, politiques, agents de la sécurité… tous appellent à son application et soulignent sa nécessité. Pourtant, elle tarde encore à être votée. Pis encore, au sein de l’ANC des députés n’en voyaient pas l’utilité, ce qui en a retardé l’adoption.

La loi antiterroriste de 2003 posait un problème au niveau du respect des Droits de l’Homme et servait davantage à museler les opposants qu’à lutter contre le terrorisme. Aujourd’hui, saurons-nous adopter à temps une loi équilibrée, entre lutte contre le terrorisme et respect des Droits de l’Homme ?

Abdessattar Ben Moussa, président de la Fédération tunisienne des Droits de l’Homme
La loi devrait aussi être préventive et plus précise 

La loi antiterroriste s’est concentrée sur les sanctions en omettant le côté préventif. Les prérogatives de la commission créée sont limitées puisqu’elle ne peut protéger les institutions, établissements scolaires, mosquées et maisons de la culture de l’enracinement des idées nourrissant le terrorisme. Néanmoins, ladite loi a essayé de trouver un équilibre entre le respect des Droits de l’Homme et la lutte antiterroriste. La loi de 2003 constituait un procès d’intentions et se tournait contre les opposants politiques, car elle contenait des termes ambiguës. Lors de l’élaboration de cette loi, l’effort a été fourni concernant la définition et le classement. L’article 13 a classé les crimes terroristes, mais en omet certains autres, par exemple, en classant “crime terroriste” les violences commises dans les aéroports, il ne classifie pas les violences pouvant être commises dans d’autres endroits relatifs au transport telles les gares ferroviaires, pourtant des actes terroristes peuvent y être commis. De même que l’article 13 dans sa version actuelle peut classer un crime de droit commun en crime terroriste. Il lui faut plus de précision. Concernant le blanchiment d’argent, il existe des procédures qu’un comité spécialisé devrait entreprendre,comme geler les biens ou les comptes selon l’article 96. Cette décision, une fois prise par le comité, n’est pas à revoir ou à réviser. Or cela nuit aux Droits de l’Homme, car toute décision devrait être apte à être revue d’autant plus que la décision de gel peut être prise non, quand la culpabilité est prouvée, mais dès que la personne est accusée. Le fait de permettre au juge d’investigation de garder l’enquête secrète et de classer des dossiers secrets sans que l’avocat de l’accusé puisse y jeter un coup d’œil, ne lui permet pas de préparer sa défense et même si le juge lève la restriction, le procureur de la République peut la maintenir.

Nadia Châabane, députée
Détails de la loi antiterroriste

Nous avons tout d’abord passé quinze jours à trois semaines dans un débat quant à la nécessité même de cette loi. Des députés de plusieurs partis, dont Ennahdha et Wafa, n’en voyaient pas l’utilité. Ce débat a ralenti la discussion et l’adoption de la loi antiterroriste, ensuite on est passé à la discussion article par article de la loi.

La loi antiterroriste de 2003 comportait deux volets : le blanchiment d’argent et la lutte antiterroriste. Nous avons aujourd’hui gardé la même configuration. Il n’y a pas de différence entre la loi de 2003 et celle d’aujourd’hui en ce qui concerne le blanchiment d’argent. Le volet de la lutte antiterroriste comporte en revanche des améliorations indéniables. La loi, sous cet angle, obéit aux standards internationaux. Le texte se rapporte aux inculpations, à la définition du crime terroriste et aux procédures à suivre. Il y a eu une divergence au sein de l’ANC se rapportant à la définition du crime. Certains ont soutenu la nécessité de définir le crime terroriste et d’autres ont estimé que les crimes terroristes évoluent tout le temps et ne se limitent plus aux actes de violence. Il existe par exemple l’empoisonnement et d’autres méthodes d’attaques terroristes. Ainsi, le crime se définit selon l’acte en étant ramené aux auteurs. Il existe une différence entre une bande qui commet des violences pour vol et d’autres pour semer la terreur ou défendre une idéologie (…).

Outre les inculpations, procédures et définitions, le texte comporte un volet relatif à la protection des témoins, le traitement des témoignages, la réglementation des confrontations  et aux procédures d’infiltration et des écoutes téléphoniques. Jusqu’ici la procédure n’était pas transparente concernant ce dernier point. Aujourd’hui elle devrait passer par la magistrature pour plus de transparence et elle n’est permise qu’avec une permission du parquet. La protection des témoins et des personnes dénonçant de potentiels actes est assurée par la loi afin de faciliter la lutte antiterroriste.

La loi stipule aussi une coordination interministérielle pour plus d’efficacité. Des experts de plusieurs ministères constituent un comité pour un mandat de trois ans et étudient ensemble les différents problèmes renforçant ainsi l’efficience du dispositif. Le comité sera chapeauté par un juge. Le comité interministériel devrait élaborer un plan stratégique et coordonner avec plusieurs autres composantes : société civile, institutions de télécommunications, médias, etc. Les journalistes ont également un rôle à jouer dans la lutte antiterroriste.

L’article 33 de la loi est relatif au rôle de l’avocat de l’accusé. Il n’est concerné par le secret professionnel que par rapport à son client, autrement il doit signaler toute information prévenant d’un acte terroriste qu’il découvre et les informations ne violant pas le secret professionnel concernant son client.

Le juge n’a pas le droit de classer des dossiers secrets empêchant ainsi l’avocat de les consulter. Ce dernier a un droit de regard, mais il doit consulter les dossiers sur place sans les emporter.

Actuellement, nous étudions la question de l’apologie du crime dans l’article 28. Sans toucher à la liberté d’expression, on devrait sanctionner tout appel au meurtre ou incitation à la haine et aux violences. On ne peut pas permettre l’appel au meurtre.

On ne peut combattre le terrorisme sans stratégie de présomption. Ce dernier point reste à améliorer ainsi que les procédures à suivre dans le respect des Droits de l’Homme. Il y a des retouches à faire sur l’ensemble de la loi, mais elle est d’un bon niveau. Les délais de garde à vue sont entrain d’être étudiés, on va vers de longues périodes de garde à vue : un mois, voire plus.

La peine capitale dans la loi terroriste a été remplacée par la peine à perpétuité pour permettre les extraditions, sinon des pays peuvent nous refuser l’extradition de terroristes sur leur sol. La Tunisie a signé 14 conventions sur les questions du terrorisme et il faut maintenant mettre en cohésion les textes de la loi actuelle et les conventions signées.

Il existe dans la loi élaborée une réduction des peines quant aux personnes appartenant à des cellules terroristes, mais n’ayant participé à aucun acte et dénonçant un éventuel crime terroriste avant qu’il ne soit commis. La création d’un pôle judiciaire spécialisé est très avantageuse dans la lutte antiterroriste.

Hajer Ajroudi

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