Retour sur l’indépendance de la Banque centrale

Le débat sur le projet de loi de la Banque centrale a atteint une étape très avancée avec son examen en séance plénière à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une étape importante qui nous permettra de nous doter d’une nouvelle loi sur la Banque centrale tunisienne qui prend en considération l’évolution de la pensée économique mais aussi les expériences historiques en matière de fonctionnement de banques centrales dans le monde. La discussion de cette loi a été l’occasion d’un débat important non seulement au sein de l’Assemblée et notamment de sa commission des Finances mais également d’un échange public sur certaines dispositions de ce projet de loi et particulièrement la disposition relative à l’indépendance de la Banque centrale. En dépit de la diversité des points de vue et parfois de leurs divergences, nous avons assisté à un débat apaisé et de bonne facture qui montre la capacité de nos spécialistes, de nos responsables politiques et des acteurs économiques de mener des échanges constructifs sur d’importantes questions au cœur des transitions en cours.

C’est la question de l’indépendance de la Banque centrale qui a suscité les débats les plus nourris. Les arguments qui ont suscité le plus de débats pour ceux qui y sont opposés concernent : l’absence de contrôle démocratique sur une institution indépendante et la divergence entre les politiques monétaires et les politiques économiques. Il est nécessaire de prendre au sérieux ces deux préoccupations et d’y répondre, afin de rassurer les oppositions à cette évolution nécessaire du statut de la Banque centrale pour être au firmament des évolutions récentes.

Pour le premier argument, il faut souligner que l’indépendance de la Banque centrale ne signifie en aucun cas son retrait du contrôle démocratique. En effet, les expériences des grands pays démocratiques qui disposent depuis de longues années d’une banque centrale indépendante ont montré que ces institutions n’ont pas échappé au contrôle et qu’elles s’y sont soumises à chaque fois qu’il était nécessaire. Ainsi, aux Etats-Unis a-t-on vu les présidents de la puissante FED répondre aux invitations des différentes commissions du Sénat ou du Congrès pour venir expliquer ou justifier des décisions importantes de politique monétaire. L’épisode récent de la grande crise financière internationale de 2008 a montré l’importance du contrôle démocratique dans la plupart des pays développés. Ainsi, les parlementaires américains ont soumis les deux derniers présidents de la FED, Alan Greenspan et Ben Bernanke, à d’importantes sessions de questions et de hearing pour comprendre la responsabilité de cette institution dans le déclenchement de la plus importante crise financière depuis la grande déflation des années 1930. Chez nous, en Tunisie, et depuis la Révolution, le gouverneur de la Banque centrale a été régulièrement invité par la Commission des finances de l’Assemblée des représentants du peuple et parfois en séance plénière pour donner son point de vue sur les lois que son institution ou le gouvernement avaient déposées auprès du législateur. Par ailleurs, le gouverneur de la Banque centrale a été aussi invité à s’exprimer devant les élus sur d’importantes questions, notamment le blanchiment d’argent, la contrebande et bien d’autres sujets. Ces exemples montrent que l’indépendance ne signifie pas l’absence de tout contrôle démocratique.

Le second argument est lié à l’élaboration des choix de politique monétaire par la Banque centrale qui peuvent ne pas converger avec les choix de politique économique et de politique budgétaire. Cette divergence poserait, selon ceux qui sont opposés à l’indépendance de la Banque centrale, un problème sérieux dans le fonctionnement des sociétés démocratiques dans la mesure où les choix économiques mis en place par des responsables élus démocratiquement pourraient être remis en cause par les choix de politique monétaire d’une institution indépendante et technocratique. Or, les expériences des différents pays montrent que les banques centrales prennent en considération les défis économiques et cherchent à s’inscrire dans un policy mix favorable à la croissance. C’était le cas au lendemain de la grande crise financière globale de 2008 lorsque les banques centrales ont opté pour des politiques monétaires non conventionnelles pour appuyer les politiques de relance budgétaire.

On a pu également voir cette convergence et cette quête d’un policy mix favorable à la croissance dans notre pays au lendemain de la Révolution. En dépit de la hausse de l’inflation, la Banque centrale a choisi une politique monétaire non conventionnelle pour redonner confiance et soutenir la croissance. Ces exemples montrent qu’en dépit de leur indépendance, les Banques centrales cherchent à favoriser des politiques monétaires qui s’éloignent rarement des choix de politique économique.

Un dernier argument qui milite en faveur de cette évolution concerne le contexte politique de transition que nous vivons depuis 2011, marqué par une grande instabilité des institutions et des changements récurrents à leurs têtes. L’indépendance de la Banque centrale et la neutralité de ses dirigeants pourraient mettre cette institution à l’abri des soubresauts de la vie politique et assurer par conséquent la stabilité de la politique monétaire.

L’élaboration de la loi de la Banque centrale s’inscrit dans la refondation des institutions de notre démocratie naissante. Son indépendance s’inspire largement de l’évolution de la pensée économique et des expériences historiques et constitue un gage de crédibilité et de stabilité nécessaires à la relance de la croissance et du développement.

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