L’élimination de 9 terroristes et l’arrestation de 4 autres ont suscité un grand soulagement chez les Tunisiens. Pourtant, les forces de l’ordre restent en état d’alerte après les évènements terroristes de Goubellat.
Au lendemain de l’annonce de la fin des opérations militaires dans le Djebel Talla, à Goubellat, les agents de la Garde nationale et les militaires demeuraient attentifs à d’éventuelles ripostes de la part des salafistes.
Dimanche matin (20 octobre) au poste de la Garde nationale de Goubellat, tout le monde était en état d’alerte, bien que les traces de fatigue, suite à trois nuits de veille successives, se vissent sur les visages. La tension se sentait dans l’air. Et pour cause, ce jour-là était prévu l’enterrement des morts parmi les terroristes, originaires de la ville même. Les forces de sécurité avaient bien raison d’être inquiètes, car la haine se lisait dans les yeux de la population qui entourait le poste. Et puis, tout à coup, trois jeunes hommes appartenant à la mouvance salafiste se sont approchés d’un agent de sécurité et l’ont agressé, en lui disant : «vous avez tué 9 des nôtres, nous allons les venger !». À l’écoute des cris, un mouvement de panique générale s’est répandu au poste de la Garde nationale et les agents ont vite pris leurs armes et sont sortis afin de secourir leur collègue. Aussitôt, il y a eu des tirs dans l’air pour disperser la foule, suivis de l’arrestation des trois salafistes. Cet incident n’a fait qu’alimenter la tension chez les policiers, traumatisés encore par ce qu’ils avaient vécu la veille et les jours précédents, durant les poursuites des terroristes et leur liquidation dans la montagne. Ils ont donc décidé de fermer tous les accès menant à la ville et d’intensifier les contrôles.
Pas loin, à quelques kilomètres de Goubellat, au poste de la Garde régionale de Medjez El Bab, l’inquiétude se sentait beaucoup moins, bien que les agents sur place aient, eux aussi, pris part à l’opération du samedi. Fatigués, mais satisfaits du travail qui avait été fait — ayant abouti à l’élimination de 9 terroristes et à l’arrestation de 4 autres —, ils étaient très touchés par l’arrivée, à 11 h, d’une petite manifestation de soutien organisée par la coordination régionale du Front populaire. Les manifestants qui portaient un grand drapeau, ont entonné l’hymne national devant le poste, ont récité la Fatiha en mémoire des agents tués par les terroristes, puis ils ont remis aux forces de sécurité, un bouquet de fleurs. Au préalable, la manifestation devait se tenir devant le poste de la Garde nationale de Goubellat, mais ce ne fut pas possible à cause de la situation sécuritaire sur place.
Un réseau diversifié
«Heureusement que nous avons pu découvrir très tôt ce réseau de terroristes et leurs munitions. Autrement, ce réseau aurait pu continuer à préparer et à stocker des explosifs dans des caches souterraines, sans que personne ne s’en aperçoive. Cela aurait été une catastrophe pour tout le gouvernorat de Béjà», affirme un haut cadre sécuritaire de la Garde nationale de Medjez el Bab. En effet et selon les déclarations de Mohmed Ali El Aroui, porte-parole du ministère de l’Intérieur, 2 tonnes d’explosifs ont été saisies ainsi que des armes et des munitions. Les quinze terroristes impliqués dans cette affaire avaient même des plans pour commettre des assassinats politiques et attaquer des endroits stratégiques dans le pays et notamment des postes sécuritaires.
Les premières informations indiquent qu’il s’agissait d’individus originaires de plusieurs endroits de Tunisie : Goubellat, la Goulette, le Kram et le sud tunisien et qu’ils appartiennent tous à Ansar Achariâa.
Ils étaient à la recherche pour fabriquer des explosifs et les stocker. Un certain Bilel, originaire de Goubellat et ancien contrebandier converti au salafisme, s’est chargé de leur trouver un endroit. Cet endroit devait être éloigné de la ville et des regards pour ne pas éveiller les doutes. On lui a parlé d’une maison de campagne à louer, à quelques kilomètres de Goubellat, à Dour Ismail. Il a donc demandé à un certain Ibrahim, un parent à lui qui connaissait le propriétaire, d’être l’intermédiaire dans l’opération.
Effectivement, la maison a été louée pour 110 dinars à Bilel (qui a péri lors de l’assaut militaire) sauf que ce dernier a falsifié le contrat de location, en donnant le numéro de carte d’identité de son parent «Ibrahim». Le propriétaire s’en est aperçu deux jours plus tard et a exigé que le contrat soit refait. Résultat de l’affaire : il existe deux contrats pour la location d’un seul local.
Officiellement, les nouveaux locataires du lieu sont un couple : Bilel et sa femme, qui voulait pratiquer l’agriculture, en plus d’une activité pastorale. Mais en réalité la maison ne cessait d’accueillir plusieurs individus, venant de l’extérieur de la ville. Les voisins avaient noté un mouvement anormal, à savoir l’arrivée régulière d’un camion immatriculé en Libye, ce qui a éveillé leurs soupçons. Pourtant, le groupe de terroristes a tout fait pour ne pas semer le doute. Tous les jours l’un d’eux emmenait les moutons en pâturage. Une femme venait, selon les voisins, leur préparer du pain (tabouna) sur place. Et pour parer à toute surprise, Bilel avait demandé au propriétaire, A.H., de le prévenir avant de venir. Jamila, la femme de ce dernier, affirme que son mari n’était pas au courant de ce qui se passait dans la maison et n’avait aucune relation avec les terroristes. A.H. est actuellement détenu.
Des affrontements sanglants
Toutefois, une alerte a fini par être donnée au poste de la Garde nationale à Goubellat sur la présence du groupe. Le chef de poste est donc allé en visite d’inspection, accompagné de deux autres agents. «C’était une visite de routine, qui rentre dans le cadre de notre travail sécuritaire ordinaire», assure un haut cadre sécuritaire de la Garde nationale à Goubellat, avant d’ajouter : «Depuis la découverte d’armes et de munitions dans plusieurs maisons, un peu partout en Tunisie, nous allons systématiquement inspecter n’importe quel local loué.»
Quand le chef de poste, feu Mahmoud Ferchichi (54 ans) s’est présenté devant la maison en demandant d’entrer pour l’inspecter, un des terroristes lui a demandé d’attendre, sous prétexte que sa femme devait se couvrir la tête, avant de sortir de nouveau et d’ouvrir le feu sur lui et sur un autre agent, morts tous les deux sur le coup. Le troisième agent a pu s’échapper, mais il a été touché au coude par une balle. Courant vers la première maison qu’il a trouvée sur son chemin, il a été secouru par une vieille femme. «Il est venu me demander d’arrêter son hémorragie. N’ayant pas de bandage, j’ai utilisé mon foulard. Il pleurait et je pleurais aussi et la seule chose à laquelle je pensais à ce moment c’était de le sauver», déclare Khalti Ftima, émue. Elle l’a donc livré à son fils qui l’a transporté à l’hôpital de Medjez El Bab. Quant aux terroristes, ils ont décidé de prendre la fuite vers le Djebel Talla, à 800 m de la maison en transportant avec eux quelques armes et munitions. «Un quart d’heure après, un citoyen nous a avisés de leur départ et de leur nombre (10 terroristes). Nous nous sommes mobilisés sur-le-champ et nous avons encerclé la montagne. Ensuite, nous avons reçu des renforts de l’armée», affirme la même source sécuritaire de la Garde nationale de Goubellat. Aussitôt les forces armées, ont commencé les bombardements par avion, avant le début des tirs. Vers la fin de la matinée du samedi 19, l’assaut était fini. En nous rendant sur place le lendemain, nous avons pu constater les traces des affrontements de la veille : les balles et les bombes de gaz utilisées, les trous provoqués par les bombardements, les arbres calcinés, sans oublier les vêtements des terroristes maculés par le sang ainsi que leurs chaussures. Un vrai champ de bataille ! Les neuf corps des terroristes ont été enveloppés et envoyés à l’hôpital Charles Nicolle à Tunis pour autopsie. Et la zone, classée militairement fermée, a été ouverte de nouveau.
Des caches souterraines et un laboratoire de fabrication d’explosifs
C’est là que la population a pu découvrir ce qui se passait réellement dans la fameuse maison. En effet, les terroristes avaient creusé un tunnel dans le garage, d’une profondeur de 10 mètres, pour stocker les explosifs qu’ils fabriquaient dans un laboratoire improvisé, dans la cour de la demeure. Ils ont installé une grande tablette formée de plusieurs carreaux de faïence qu’ils utilisaient comme plate-forme afin de mélanger l’ammonitrate, le soufre et d’autres matières. Mais ce n’était pas le seul endroit qui leur servait pour cacher les explosifs. Les militaires ont dévoilé l’existence de deux autres dépôts dans deux fermes séparées.
Les terroristes avaient bien l’intention de préparer des caches un peu partout en vue de les utiliser simultanément, afin de créer un état de psychose dans le pays et de paralyser les forces de sécurité. L’incident malheureux de l’assassinat des deux agents de la Garde nationale a permis de dévoiler, à temps, le plan diabolique du groupe de Goubellat, lié à d’autres réseaux et cellules dormantes qui existent un peu partout dans le pays.
Mais la bataille contre le terrorisme se poursuit…
Hanène Zbiss