Tunis était dimanche et lundi dernier (3 et 4 mars 2019) la capitale des Ministres de l’Intérieur et de la Justice arabes. Dans sa 36ème session, cette réunion avait été marquée par la présence de personnalités notoires, particulièrement le Secrétaire général de la ligue arabe. Ce conseil périodique certes, vient dans un contexte régional arabe très mouvementé. L’ordre du jour soulève le projet d’un plan provisoire pour la stratégie arabe de lutte contre l’usage illicite de stupéfiants et de substances psychotropes et un projet de plan provisoire pour la stratégie arabe de lutte contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et en particulier la conjugaison des efforts et échanges d’informations et de renseignements pour faire face aux défis terroristes.
Par ailleurs, des représentants des institutions internationales telles que l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol), de l’Organisation internationale de la protection civile, de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime outre le projet CT Mena (contre le terrorisme dans la région du Moyen-Orient et Afrique du nord) étaient présents à cette réunion.
Cette réunion et en dépit des annonces d’un planning fortement chargé, avait surtout mis en devant le souci sécuritaire et la lutte contre le terrorisme.
Contexte arabe troublé
C’est sans doute trois questions centrales qui hantent l’esprit des chefs d’Etat arabes et les ministres de l’intérieur et de la justice des pays arabes. Il y a d’abord les dernières évolutions de la situation militaire en Libye et les opérations de l’Armée Nationale Libyenne dans le Sud. Puis la fin de la guerre en Syrie et le devenir des terroristes chassés ou emprisonnés dans ce pays. Puis l’acuité particulière des mouvements sociaux en Algérie avec l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour briguer un cinquième mandat.
Mais ces problèmes doivent être étudiés en profondeur afin de préparer le terrain pour la prochaine réunion de la Ligue Arabe qui se tiendra à Tunis à la fin de ce mois de mars.
La Libye
Après la réunion de deux principaux acteurs en Libye Faïez Essaraj et le Maréchal Khalifa Haftar aux Emirats Arabes Unies (Abu Dhabi), l’ONU a annoncé, le 28 février, un nouvel accord entre les pouvoirs rivaux en Libye sur des élections. Cet accord, qui reste toujours platonique, ne sera certainement pas concrétisé étant donné la situation militaire et l’étendue des différends entre les différents acteurs aussi bien politiques que militaires. Aucun calendrier n’a été dressé, ce qui démontre encore une fois ce marathon de débats sans fin pour l’épineuse question des élections.
Sur le plan politique deux pouvoirs rivaux se partagent la Libye. Sur le terrain Khalifa Haftar se montre de plus en plus efficace. Depuis le 18 janvier dernier, de grandes opérations militaires ratissent le sud libyen. Le Gisement de « Charara » (300.000 baril/jour) a été récupéré. Les quatre grandes villes du sud libyen sont désormais sous la coupe de l’ANL. C’est à ce titre que Khalifa Haftar ne voit pas comment il doit faire des concessions politiques alors qu’il se considère l’homme fort du terrain. Fayez al-Sarraj est très affaibli, il préside certes mais ne gouverne pas et ce en dépit du soutien de l’ONU et de la communauté internationale
Cette donne militaire, et les préparatifs qui se font jour vers un assaut final sur Tripoli, fait craindre les pays voisins comme l’Algérie et la Tunisie d’une escalade de violence et tout ce qui en découlera sur le plan humain.
L’Algérie
La déclaration du chef de l’Etat algérien de se présenter pour un cinquième mandat avait poussé un grand nombre d’Algériens à descendre dans les rues pour manifester leurs mécontentement. Quasiment paralysé, les Algériens revendiquent, par voie pacifique une transition du pouvoir, et un renouvellement politique au sommet de l’Etat par des élections démocratiques.
Les nouvelles venant d’Algérie ne rassurent pas pour autant les capitales arabes, qui craignent par-dessus tout un débordement populaire tel qu’il s’est produit en 2011 en Tunisie, en Egypte et au Yémen. Avec un espace cinq fois plus grand que la France et une population avoisinant les 40 millions, l’Algérie qui s’est gardée jusqu’à présent de réformer ses structures politiques risque de succomber dans des manifestations populaires généralisées et la crainte combien justifiée d’interventions étrangères.
Fin de la guerre en Syrie
C’est sans doute la question la plus épineuse qui a été traitée en catimini lors de ce sommet. Le glas de la fin de la guerre en Syrie vient de sonner : que faire de ces milliers de terroristes ? Comment les ministres de l’intérieur et de la justice des pays arabes vont traiter ce dossier alors que bon nombre d’entre-eux a rompu ses relations diplomatiques avec le régime syrien en place sorti vainqueur ?
Ainsi on comprend la présence d’Interpol et de nombreux représentants d’institutions internationales et surtout le Secrétaire Général de la Ligue arabe. Va-t-on inviter la Syrie dans le prochain sommet de la Ligue Arabe qui se déroulera à Tunis ? Logiquement oui, et c’est bien pour s’enquérir sur ces dossiers combien sensibles de ces terroristes arabes et étrangers également. Le régime syrien tient de nombreux éléments sur ce dossier, et par pur pragmatisme il faudrait renouer les relations avec ce pays.
Le sommet de toutes les tensions
En effet, le contexte arabe de ce sommet s’est annoncé dans un climat très tendu, les questions sécuritaires avaient pris le dessus, et les choix sont réduits pour plusieurs pays arabes. Car si pour la Libye et l’Algérie l’expectative est de mise, pour la Syrie et le retour des terroristes c’est question d’une brûlante actualité à laquelle il faudrait envisager une réponse immédiate.
Ce sommet des ministres de l’Intérieur et de la Justice arabe, est certainement déterminant pour mettre le point sur deux réponses fondamentales.
- Adopter une ligne de conduite envers la situation politique et militaire en Libye et ses retombées sur le voisinage, particulièrement tunisien et algérien ;
- Trancher sur un revirement total envers le régime syrien dans une option de coopération sur la question des combattants arabes et étrangers détenus en Syrie et leur devenir.
Nous pensons que la plupart des décisions fondamentales font clairement transparaître au cours de la prochaine réunion de la Ligue Arabe à Tunis, et nous n’avons eu lundi qu’une annonce purement protocolaire et de convenance.
Fayçal Cherif