Rêves et désillusions

Six ans après les événements du 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, qui ont été les catalyseurs de la seule révolution aboutie dans la région, un sentiment diffus domine où s’entremêlent fierté,  attachement pour  la liberté et la démocratie mais également désenchantement, déception, peur et absence de visibilité. Pour cette raison évidente, à chaque célébration, on continue d’entonner  le même refrain et à faire le même constat. Tout le monde, ou presque, répète à satiété que les objectifs de la Révolution, de la liberté et de la dignité sont encore hors d’atteinte, s’agissant notamment du développement des régions intérieures, de l’amélioration des conditions de vie des catégories les plus vulnérables et de l’emploi des jeunes.
Le profond malaise qui persiste, le désenchantement aussi, témoignent d’un pays en panne de projet et de vision. Loin d’avancer sur la voie du renforcement des libertés, des réformes et du développement inclusif, on a l’impression que  la Tunisie continue à  faire du surplace tant les résistances au changement sont grandes et les sources de blocage sont fortes. Bien plus, au fur et à mesure que le temps passe, l’on constate, non sans une certaine résignation, que la dérive observée ne fait que nous éloigner, chaque jour un peu plus, des objectifs qui ont été le feu follet du déclenchement de la Révolution. La faute incombe à une classe politique  qui a jeté tout son dévolu  sur l’accaparation du pouvoir, à une élite impuissante et décalée et à des organisations sociales promptes à entretenir les tensions  et les surenchères qu’à participer activement à trouver  des solutions et à définir des modèles  alternatifs .
Les partis politiques, loin de présenter des perspectives et de jouer pleinement leur rôle en matière d’encadrement de la population et d’orientation du débat public sur les questions qui interpellent et mobilisent, concentrent tous leurs efforts vers la course au pouvoir et le monopole des centres de décision. En perte de vitesse et de confiance, les acteurs politiques s’enlisent de plus en plus dans des dissensions et luttes qui les ont affaiblies rendant caduc leur appui au gouvernement, lorsqu’ils font partie de la coalition au pouvoir ou leur poids quand ils se réclament de l’opposition.
Avec un paysage politique en profonde recomposition où seule  Ennahdha parait tirer son épingle du jeu, les forces politiques de la droite, socio-démocrates ou de la gauche, ne semblent pas trouver le fil conducteur qui leur permet d’influencer le cours des événements et d’orienter le pays vers tout ce qui aide  cette jeune démocratie fragile à se renforcer et à l’esprit de citoyenneté de s’affirmer. La grande déconfiture de certains  partis politiques a été derrière l’affaiblissement extrême du rôle de l’Etat,  qui se trouve sans appuis pour mener une guerre efficace contre un terrorisme rampant, une corruption endémique et une nonchalance assassine dans les différents services administratifs publics où l’efficacité et la rigueur ont pratiquement disparu. Un Etat affaibli et  incapable de restaurer l’ordre, d’appliquer la loi dans toute sa rigueur, de mener à bon port  des réformes essentielles pour remettre le pays à flot et de repenser un modèle de développement qui a atteint ses limites.
Dans le dérapage que connaît  le pays depuis six ans, il faut dire que  les organisations nationales et de la société civile n’ont pas fait mieux. Que de rendez-vous ratés sur la voie de la mise en place des institutions constitutionnelles par le seul fait  de calculs politiciens, de surenchères stériles, de résistance au changement  et du refus systématique du compromis.
Si maintenant le pays fait face à une crise de finances publiques sans précédent, à des difficultés économiques graves, que nos entreprises les plus importantes sont au bord du gouffre, les perspectives ne font que se noircir devant une jeunesse gagnée par le désespoir, le pouvoir d’achat des Tunisiens ne fait que s’éroder, les régions exclues du développement depuis l’indépendance ne voient pas encore des signes de changement , la colère et la désillusion ne font que s’accentuer et des pans entiers de l’économie sont en panne, c’est parce que le laxisme a continué à se  prévaloir. Une sortie de myopie a gagné nos  hommes politiques, notre intelligentsia et nos acteurs sociaux les empêchant de prendre en considération les intérêts du pays et de se consacrer à les servir. C’est à ce niveau que   résident  les causes profondes de la panne qui bloque le processus initié le 17 décembre 2010 et qui s’interpose contre la réalisation d’un rêve qui a titillé de milliers de jeunes  qui ne réclament que  la liberté et la dignité.

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