Révision de la loi sur la consommation des drogues: Pas de dépénalisation en vue

Beaucoup de bruits sur la révision de la loi sur la consommation de drogues en Tunisie, entre ceux qui disent que le consommateur n’a plus de souci à se faire et ceux qui parlent de remplacer la peine de prison par des travaux d’intérêt général. La vérité est tout autre selon nos sources.  Il n’y aura pas de dépénalisation. Par contre,  pour la nouvelle version proposée,  le juge pourra atténuer les peines, qui iront de 0 à 5 ans.

C’est à ce niveau qu’on peut parler d’avancée, du moins de grand changement, car la loi sur la consommation des drogues en Tunisie est une loi exceptionnelle (comparable à la loi antiterroriste) où le juge est tenu d’appliquer une peine d’emprisonnement. Un autre grand changement est prévu dans ce projet de loi, pour la première fois, et à la demande d’experts médicaux et autres, l’individu consommateur de drogue sera considéré comme un malade et non d’emblée comme un délinquant.

Une loi exceptionnelle

Selon une étude faite par une commission multisectorielle en 2013, la loi en vigueur est une loi exceptionnelle, elle est caractérisée par la sévérité des peines, par le fait qu’elle ne se réfère pas aux règles générales des délits et crimes et par le pouvoir discrétionnaire limité  du juge.

Elle ne cadre pas avec les concepts classiques de l’incrimination pour deux raisons : alors que l’action publique se prescrit en 3 ans (droit pénal), ce délai nécessite 5 pour la loi 1992. De même si la sanction se prescrit par 5 ans pour le droit pénal, il faut  10, pour la loi de 1992.  Ça devient ainsi un délit. La 2e raison  c’est que les peines sont très sévères : le texte en vigueur, ne stipule pas le retour aux dispositions de l’article 53 du code pénal (elle ne prévoit ni sursis, ni abaissement d’un degré à un autre)

A la suite de plusieurs concertations, le « groupe de coopération en matière de lutte contre l’abus et le trafic illicite de stupéfiants : Situation et politique en matière de drogues (par Pr Hajer Aounallah-Skhiri (médecin épidémiologiste), Pr Haifa Zalila (Psychiatre), M. Taoufik Zid (pharmacien), Mme Houyéme Boukassoula (psychologue clinicienne),avec la coordination du Pr Nabil Ben Salah (médecin toxicologue) » a proposé un nouveau projet de loi de 8 chapitres et de plus de 40 articles. Ce projet prévoit notamment la suppression du caractère d’exception de l’ancienne loi 92 (possibilité de recours aux circonstances atténuantes). Il prévoit de considérer le consommateur comme un malade devant être traité, mais qui pourra tout de même être sanctionné sans le priver de son droit de bénéficier des circonstances atténuantes. Il prévoit aussi, dans le chapitre 2 concernant la « prévention et traitement des toxicomanies » l’autorisation pour tout usager de drogues, avant la découverte des faits, de demander des soins plus d’une fois. Toujours dans ce volet médical, l’hospitalisation pour cure de désintoxication avec possibilité de recours à un traitement de substitution ou la mise sous surveillance médicale de tout individu suspecté d’usage de drogues, ordonnée par le procureur, le juge d’instruction et la chambre d’accusation, après avis de la commission régionale, est prévue. Sont mentionnées également, la désintoxication ou la prise en charge médico-psychosociale prévenant la récidive, pour les enfants impliqués dans les affaires de consommation de drogues-La désintoxication pour une durée déterminée par la commission régionale. En cas de refus, le tribunal peut émettre une ordonnance d’hospitalisation d’office accompagnée du dossier médical de l’intéressé-La suspension de l’action publique vis-à-vis de tout usager de drogues qui demande volontairement les soins.

Drogues en Tunisie : l’ampleur du phénomène chez les jeunes

Le consommateur de drogues n’étant pas considéré, jusqu’à la Révolution de 2011, comme un malade nécessitant des soins, il est donc  logique de ne pas  trouver de statistiques en Tunisie concernant la santé et le traitement social des usagers de drogues et également la mortalité liée à la consommation de stupéfiants.

Conscient du phénomène et de son importance sur la santé et le devenir de notre jeunesse,  le ministère de la Santé a porté une attention particulière au problème de toxicomanie et à l’estimation de la prévalence de la consommation de drogues en milieu scolaire. Deux enquêtes  ont été menées, la première au niveau d’un lycée de la région de Tunis en janvier 2013 et la seconde, nationale, en novembre 2013, par un groupe d’experts tunisiens  et européens MedSPAD (Mediterranean School Survey Project on Alcohol and other Drugs). L’enquête a concerné 5000 élèves aussi bien des secteurs public et privé.

Les résultats montrent que 86% de nos adolescents connaissent toutes les drogues), 86% parmi eux connaissent le cannabis, 74,1% les psychotropes (médicaments) 63,6 la cocaine et 6% ont entendu parler de l’ecstasy.  44,8% de nos élèves affirment avoir lu sur les drogues, 15,8 avoir vu quelqu’un l’utiliser et 1,1 a reconnu l’utiliser.

Où se procurent-ils la drogue ? Selon les résultats de l’enquête, les élèves disent que dans 53,7% des cas on en trouve loin des lycées, pour 40,9% à proximité de l’établissement scolaire, 20,8% dans les salles de sport et les maisons de jeunes et 14,8 affirment qu’on peut se procurer la drogue à l’intérieur de l’établissement scolaire. Leurs fournisseurs de drogues sont : des élèves pour 31,4 % des cas, des étrangers à l’établissement scolaire et des employés de l’établissement dans 4,8% des cas.

Quant à l’attitude des lycéens face à la consommation de drogues, 6,9% étaient pour une consommation irrégulière et 4% pour une consommation régulière. 79,9% des lycéens interrogés affirmaient être au courant des sanctions pénales face à l’usage des drogues.

Toujours selon cette enquête 10,8% élèves avaient révélé avoir des amis qui  consommaient du cannabis, 8,1 des psychotropes, 4,8 de la cocaïne et 1,1% de l’ecstasy. Selon cette étude, l’âge de début de consommation de drogues était compris entre 15 et 19 ans chez 58,2% des cas.

D’un autre côté, selon une étude transversale réalisée en 2013 par questionnaire anonyme auto-administré, auprès d’un échantillon représentatif des lycéens en 3e année secondaire du gouvernorat de Tunis (797 élèves 14, 17,3% ont déclaré avoir consommé au moins une fois une drogue illicite (24,1% chez les garçons, 11,3% chez les filles). Cette prévalence est réduite à 3,2% pour la consommation actuelle (6,2% chez les garçons, 0,7% chez les filles); deux tiers de ces consommateurs récents avaient l’habitude d’en consommer de temps en temps ou de manière continue.

Selon une autre étude, réalisée en 2013, menée auprès d’un échantillon représentatif d’étudiants de l’université Tunis El Manar et faisant partie d’une étude internationale, la prévalence de l’usage de drogues chez les étudiants était de 6%. Elle était plus élevée chez le sexe masculin : 14,2 %, alors que chez les filles elle est de 1,8 %

Tous ces chiffres aussi rébarbatifs qu’ils puissent paraître, sont le signe d’alarme sur une situation urgente de la consommation de la drogue chez les jeunes tunisiens. Les garçons sont plus touchés que les filles, la première consommation débute au lycée à l’âge de 15-16 ans, il est très facile de se procurer de la drogue devant ou même dans les lycées. 

La drogue est disponible en Tunisie en très grande quantité, et sur tout le territoire de la République. Selon  nos sources, en 2013 les forces de sécurité ont saisi 1015 kg d’hachich. Les saisies de drogues les plus importantes ont été faites dans les gouvernorats de Tunis, Kebili et Tozeur. Il y aurait environ 11000 consommateurs de drogues injectables  et 350 000 consommateurs de cannabis, mais ce ne sont que des estimations, la réalité pourrait être supérieure.

Pour la première fois, la loi (projet de loi) va s’intéresser à la prévention et au traitement. Le traitement sera pris en charge par les ministère de la Santé, et des Affaires sociales, la prévention  impliquera ces ministères et celui de l’Eduction.

Et la société civile dans tout ça ?  Pour l’instant elle est muette, le tabou concernant le phénomène (consommation de drogues chez les jeunes tunisiens) est-il encore si immuable ?

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