Révision des nominations partisanes : le chemin demeure encore long

Un mois après sa prise de fonction, est venu le moment de rendre des comptes pour le chef du gouvernement, Mehdi Jomaâ. Plusieurs problèmes à résoudre en urgence dont l’épineuse question de la révision des nominations. Qu’en est-il ?
 

Mehdi Jomâa vient de faire un grand changement au niveau du corps des gouverneurs qui a concerné18 parmi eux, sur un total de 24. Une décision qui annonce déjà la nouvelle ligne de conduite du gouvernement actuel qui s’est déjà attelé à appliquer la feuille de route, issue du Dialogue national et où la révision des nominations partisanes figure parmi ses priorités.

Ces gouverneurs sont en majorité issus de la Troïka et plus précisément d’Ennahdha. Le parti islamiste, pour des calculs électoraux, avait programmé, dés le début de son mandat, d’implanter les siens dans les rouages de l’État : gouverneurs, délégués régionaux, PDG des grandes entreprises publiques, corps diplomatique etc. De quoi miner l’administration publique et l’instrumentaliser pour des desseins politiques. Longtemps, l’opposition et la société civile ont appelé à la révision des nominations partisanes mais en vain. Entre-temps, Ennahdha ne cessait de nommer ses partisans partout, même pendant la dernière crise politique, suite à l’assassinat de Mohamed Brahmi. 

Plus de 6000 nominations

Du 29 décembre 2011 au 24 décembre 2013, 6036 ordres de nomination ont été publiés au Journal officiel (JORT), permettant de placer environ 7000 cadres, soit une moyenne de 9 nominations par jour. Rien qu’en 2013, il y a eu 4538 ordres de nomination qui ont concerné plus de 5500 postes dans des sociétés publiques, des ministères et des institutions régionales et locales représentant l’État. Selon les chiffres de l’Union tunisienne pour le service public et la neutralité de l’administration, 86% de ces nominations  concernent des sympathisants d’Ennahdha. Un chiffre alarmant qui donne une idée sur l’ampleur du phénomène, lequel a touché presque tous les secteurs publics.

Cette association, créée en avril 2011, était parmi les premières à travailler sur les nominations partisanes. Les statistiques qu’elle a établies montrent que sur les 260 délégations spéciales, 80% ont à leur tête des dirigeants appartenant à la Troïka.

La situation est d’autant plus alarmante qu’il existe des « nominations secrètes » qui n’ont pas été publiées dans le JORT, d’après ce qu’a révélé le porte-parole de l’Union tunisienne pour le service public et la neutralité de l’administration (UTSPNA), Moez Mokadem, sur Mosaïque Fm, le 19 février, recommandant au gouvernement Jomaâ de demander les relevés des salaires des employés dans chaque ministère, afin de pouvoir les discerner.

Loi sur l’amnistie générale : la porte aux débordements

La loi sur l’amnistie générale, permettant de réhabiliter les prisonniers politiques (en les plaçant dans les administrations) a encore compliqué la situation, puisqu’elle a été déviée de son objectif initial. En effet, «12.500 des bénéficiaires de la loi sur l’amnistie générale et des blessés de la Révolution ont été recrutés dans la fonction publique en 2013, selon les déclarations de Zoubeir Chehoudi, membre du Conseil de la Choura d’Ennahdha, dans une déclaration faite au journal Attounissiya (3 janvier 2014). 90% des postes de travail, ont été accordés aux partisans d’Ennahdha, selon Abdelkader Labbaoui, président de l’UTSPNA.

Le pire est que certains anciens prisonniers politiques ont été mis dans des postes pour lesquels ils n’avaient pas les qualifications requises. Nous citons à cet effet le cas d’un des leaders d’Ennahdha, Ajmi Ourimi, nommé professeur de philosophie au lycée de Ben Arous, alors qu’il n’avait pas fini ses études de philosophie et qu’il est actuellement en train de les poursuivre, d’après des sources bien informées.

Alourdissement du budget de l’État

L’administration tunisienne a, du coup, été inondée par les sympathisants de la Troïka, ce qui a eu des implications très négatives. En témoigne, les dysfonctionnements flagrants au niveau de l’institution sécuritaire, suite aux changements de ses cadres par d‘autres qui n’ont pas la compétence, ni l’expérience requises pour protéger le pays contre les dangers qui le guettent et surtout le terrorisme. On se rappelle de la mauvaise gestion sécuritaire pendant l’attaque de l’ambassade américaine et les assassinats de Chokri Belaid et de Brahmi.

Et comme si, les nominations déjà faites par Ennahdha ne suffisaient pas, ses ministres ont procédé à d’autres, avant leur départ, achevant de miner l’administration, faute de pouvoir rester au pouvoir. En témoigne, les nominations de la dernière heure, ordonnées par l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, Moncef Ben Salem, au CERES (Centre d’études et de recherches économiques et sociales) où il a mis en place, 20 chercheurs d’appartenance nahdhaouie, d’après les dernières révélations du Secrétaire général de la Fédération générale de l’Enseignement supérieur (affiliée à l’UGTT), Houcine Bou Jarra  au journal Al Maghreb du 25 février 2014.

Résultat, aujourd’hui, est que le gouvernement Jomâa aura du mal à les réviser toutes, surtout dans une période courte, précédant les élections (une année maximum).

Ces nominations ont, non seulement, envahi l’administration, mais elles ont provoqué  l’augmentation de la masse salariale qui « bouffe 60% du budget de l’État », comme l’a annoncé Jomâa. Du coup, le gouvernement ne pourrait plus créer, cette année, des postes de travail dans le secteur public.

2237 nominations relatives aux élections, à revoir

Reste maintenant la question de la révision de ces nominations, le chef du gouvernement, a commencé par remercier 7 conseillers sur un total de 9 et à mettre fin à la mission de 10 chefs de cabinet dans plusieurs ministères. Il s’est attaqué aussi  au corps des gouverneurs et très prochainement, il visera celui des délégués régionaux (264) et des « omad » (plus de 1200). Une tâche qui ne sera pas aisée, surtout qu’il y a très peu de candidats pour ces postes, d’après ses propres déclarations.

Mais il y a une question qui se pose : va-t-on réviser toutes les nominations partisanes, faites depuis plus de 2 ans ? Certainement pas, le gouvernement devrait revoir les plus urgentes parmi elles, soit celles liées directement aux élections. Abdelkader Labbaoui les estime à 2237 nominations qui touchent les secteurs de la sécurité, de la diplomatie, des collectivités locales et les grandes sociétés publiques.

Et que faire pour les remplacer ?

Commission nationale pour la révision des nominations

Il est nécessaire de définir des critères bien clairs pour le recrutement, pour ne pas retomber dans le même problème d’auparavant. Moez Mokadem, porte-parole de l’Union tunisienne pour le service public et la neutralité de l’administration, estime que le gouvernement ne sera pas capable tout seul de résoudre cette épineuse question. « C’est pour cela, nous proposons la création d’une commission nationale pour la révision des nominations qui englobera des représentants de la société civile, des médias, de la justice, de l’ANC, du quartet parrainant le dialogue et du gouvernement  bien évidemment ». Il s’agit d’une commission indépendante qui permettra d’élaborer une grille d’évaluation pour les nominations à revoir et celles à mettre en place. L’Union compte promouvoir cette idée auprès des différentes parties et œuvrer à sa concrétisation.

En attendant, M. Jomaâ et son équipe continuent leur lourde tâche. Après les gouverneurs, le gouvernement procédera à des révisions au niveau de l’institution sécuritaire. 14 hauts cadres seront concernés, suite à des négociations ayant eu lieu avec les syndicats des forces de sécurité, lesquels ont présenté une liste. « Nous réclamons le départ d’un certain nombre de cadre du ministère de l’Intérieur. L’autorité de tutelle est d’accord avec nos propositions» affirme Nabil Yaakoubi, secrétaire adjoint du syndicat national des forces de l’ordre.

Bref, un vaste chantier a été mis en place. Résoudre cette question,  montrera la capacité de Mehdi Jomâa à tenir ses promesses par rapport à la feuille de route mais aussi, à créer un environnement sain pour la tenue d’élections démocratiques et transparentes.

Hanène Zbiss

 

Les nouveaux gouverneurs nommés :

– Abdellatif Missaoui gouverneur à Ben Arous

–  Mohamed Ridha Saâdi gouverneur à la Manouba

–  Kamel Salmani gouverneur à Béja

–  Tahar Matmati gouverneur au Kef

–   Noureddine Ghannouchi gouverneur à Siliana

–  Atef Boughatas gouverneur à Kasserine

–  Mustapha Ben Moussa gouverneur à Gafsa

–  Mohamed Mansouri gouverneur à Tozeur

–  Amara Thelijani gouverneur à Kébili

–  Saber Mednini gouverneur à Tataouine

–  Mehdi Chelbi gouverneur à Sfax

–  Mohsen Mansouri gouverneur à Kairouan

–  Taïeb Nefzi gouverneur à Monastir

–  Abdelmalak Sellami gouverneur à Sousse

–  Habib Chaouat gouverneur à Médenine

–   Hichem Akrimi gouverneur à Zaghouan

–  Mohamed Akermi Hamdi gouverneur à Nabeul

 

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