Révolution fiscale globale: Comment la Tunisie pourrait-elle en tirer profit ?

La pandémie a ouvert un pan entier de transitions et de transformations dans tous les domaines des politiques publiques. Ces changements ne se sont pas limités aux domaines de la santé et aux politiques sociales, mais ont également touché d’autres domaines comme l’accélération des transitions numériques. C’est le domaine économique qui est en train de traverser une grande révolution dans la réflexion, les théories et les grands choix de politique économique.
Ces mutations et changements ne se sont pas arrêtés au niveau de la réflexion, mais ont commencé également à imprégner largement le domaine des politiques. L’un des grands changements concerne les politiques fiscales. Et si l’évènement le plus important du dernier sommet du G7 tenu récemment du 11 au 13 juin 2021 en Grande Bretagne était le retour en force des Etats-Unis après des années de déperdition avec la présidence de Donald Trump ? L’élection de Joe Biden, connu pour ses positions réalistes et son engagement pour la gouvernance globale et la coopération internationale a donné une lueur d’espoir pour l’ordre global particulièrement au moment de la crise de la Covid-19 et ses effets économiques et financiers. Les pays du G7 ont fait de la question de la relance de l’économie mondiale le centre des priorités pour sortir des effets économiques de la pandémie après que les grands pays développés eurent réussi à entamer une nouvelle ère avec l’accélération des vaccins.
Si les questions politiques ont connu un large intérêt de la part des analystes et de la presse internationale, certaines décisions historiques de ce sommet sont passées inaperçues. A ce niveau, nous voulons nous arrêter sur la décision du G7 d’instituer une taxe globale minimale de 15% pour les grandes entreprises. Il s’agit d’une décision historique dont l’objectif est de mettre fin à l’évasion fiscale qui a été à l’origine de grandes pertes de revenus, particulièrement pour les pays en développement.

Le système fiscal global et l’évasion fiscale
Nous avons vécu pendant de longues années, particulièrement depuis le début des années 1970, dans l’ombre d’un système fiscal global qui a ouvert les portes à une grande évasion fiscale au profit des grandes firmes multinationales. Ce système a largement aidé la globalisation néolibérale qui a dominé l’environnement économique à partir des années 1990. Les pays en développement, particulièrement les pays africains, étaient les grands perdants de ce système fiscal en enregistrant un manque à gagner important au niveau de leurs revenus.
La technique la plus connue pour cette évasion provient de ce que les économistes appellent pudiquement le prix de transfert. Il s’agit du prix appliqué par les grandes entreprises internationales dans les transferts internes de produits et qui leur permet de faire ressortir les bénéfices dans les pays à faible fiscalité, voire même dans les paradis fiscaux.
Mais, la responsabilité dans cette évasion n’est pas seulement du ressort des grandes entreprises multinationales mais également des pays eux-mêmes qui sont entrés dans une grande compétition à l’échelle globale pour attirer les investisseurs étrangers. Parmi les outils de cette compétition, on trouve les politiques fiscales et la guerre afin de réduire les taxes appliquées aux entreprises étrangères. Notre pays s’est engagé dans cette concurrence à travers la promulgation de la Loi d’avril 1972 qui a donné aux entreprises exportatrices des avantages sans précédent avec une fiscalité à un taux zéro pour les dix premières années. Mais, ces avantages sont devenus définitifs dans la mesure où les entreprises qui ont atteint la fin de la période créent de nouvelles entités juridiques pour continuer à bénéficier de cet avantage.
Ce système a bénéficié de l’appui de toutes les organisations internationales, particulièrement de la Banque mondiale et du FMI.
Mais, ce système fiscal global a suscité un grand nombre de critiques au cours des dernières années dans la mesure où il a été à l’origine de guerres fiscales entre pays. La dernière de ces batailles est celle qu’ont connue les pays de l’Union européenne contre l’Irlande qui a décidé de fixer un taux d’imposition de 12,5% pour inciter les entreprises étrangères installées sur le sol européen à se localiser sur son territoire.
Ce système fiscal a été également à l’origine de beaucoup de critiques de la part des organisations de la société civile. Ces organisations ont demandé la révision de ce système fiscal global afin de permettre aux pays en développement de dégager des revenus et de pouvoir financer leurs investissements sociaux.

Les crises et la fin du consensus sur le système fiscal global
Les critiques des organisations de la société civile ont été à l’origine d’une grande mobilisation sociale pour opérer des changements importants du régime fiscal, renforcer les revenus des pays et leur permettre d’effectuer les investissements et les interventions sociales nécessaires. Cette mobilisation va conduire les pays à s’intéresser à cette question mais sans véritablement opérer de grands changements à leurs politiques fiscales qui continuaient à jouer un rôle essentiel dans le fonctionnement de la globalisation néolibérale.
Mais, le changement des politiques des gouvernements va intervenir suite à la grande crise financière de 2008 qui va connaître une augmentation sans précédent de leurs dépenses et de leurs besoins financiers pour sauver le système bancaire et relancer l’économie. A partir de cette date, la lutte contre l’évasion fiscale va devenir une des priorités de la communauté internationale, plus particulièrement du G7 et du G20.
Ce changement majeur dans les politiques fiscales des pays sera à l’origine de la lutte de la part de la communauté internationale contre les paradis fiscaux. Ensuite, l’intérêt du G7 va porter sur la fiscalité globale des grandes entreprises multinationales qui contribuent largement à cette évasion fiscale. La communauté internationale a chargé l’OCDE de préparer des propositions concrètes dans ce domaine.
L’OCDE a aussi préparé une série de recommandations à l’intention du G7 et du G20 avec la proposition d’instaurer un impôt minimal de 15% sur les grandes entreprises multinationales. Mais, cette proposition a connu d’importantes oppositions de la part de grands pays dont les Etats-Unis pendant l’administration Trump.
Mais, l’élection de Joe Biden et l’arrivée de l’économiste Jannet Yellen à la tête du Trésor américain ont été à l’origine d’un changement majeur de la position américaine. Ce changement politique a facilité l’adoption de l’impôt minimal de 15% sur les grandes sociétés multinationales.
Certaines critiques ont été adressées par les organisations de la société civile qui avaient indiqué que cette taxe minimale était faible et proposent de la faire passer à 25%. Mais, en dépit de ces critiques, cette décision du G7 est un pas majeur et renforce la lutte contre l’évasion fiscale entamée depuis plusieurs années. Cette décision mettra fin à la concurrence fiscale entre les pays à travers le monde.

Quels bénéfices pour notre pays de cette révolution fiscale ?
Notre pays traverse une crise économique et financière sans précédent depuis plusieurs années, et que la pandémie a accentuée. Cette crise constitue un danger important pour notre économie qui risque de connaître le scénario libanais.
Les évolutions dans les politiques fiscales globales constituent un développement important qui devraient aider nos choix de politiques fiscales dans l’avenir. Nous avons entamé depuis quelques années un processus de convergence de la fiscalité sur les entreprises locales et les entreprises offshore en sortant des avantages fiscaux accordés par la Loi d’avril 1972. Or, l’instauration de ce principe d’impôt minimal mettra les pays sur un pied d’égalité.
Ces évolutions sur les questions fiscales globales doivent nous inviter à examiner de manière plus sérieuse nos choix dans ce domaine. Et, si nous avons donné la priorité au cours des dernières années à la législation et aux lois dans le domaine de la lutte contre l’évasion fiscale, aujourd’hui nous devons changer notre fusil d’épaule en accordant plus d’importance à l’administration fiscale pour moderniser ses procédures afin de renforcer son efficacité et d’aider le Trésor à faire face à l’évasion fiscale.
Les crises politiques et économiques sont en train d’entamer des mutations et des changements dans les réflexions et les politiques économiques. Notre pays doit s’engager dans ces réformes et dans les politiques novatrices entamées au niveau international et nous devons sortir des politiques conservatrices et traditionnelles comme l’ont fait la plupart des pays.

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