RGPH 2024 : Des données cruciales qui tardent à venir

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Par Mohamed Ben Naceur

 Alors que le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) 2024 a mobilisé plus de 89 millions de dinars, le report inexpliqué de ses résultats suscite de vives interrogations dans les milieux académiques, politiques et économiques.
C’est un silence assourdissant. Annoncée pour fin mars, la publication des résultats du RGPH 2024, orchestré par l’Institut national de la statistique (INS), a été annulée à la dernière minute sans aucun communiqué officiel. Une conférence de presse prévue le 26 mars a été brusquement déprogrammée. Depuis, l’attente se transforme en frustration, alimentée par des rumeurs de résultats jugés « sensibles » ou potentiellement déstabilisateurs.

 Des données attendues comme un tournant
Réalisé tous les dix ans, le RGPH constitue une boussole incontournable pour le pilotage des politiques publiques. Il sert de base à la planification territoriale, à la répartition des ressources, à l’élaboration des politiques de santé, d’éducation, de logement ou encore de mobilité. C’est également un outil essentiel pour la recherche, les projections démographiques et les évaluations économiques. D’où l’incompréhension face à l’absence de transparence autour de sa publication.

 Une transition démographique accélérée
La Tunisie connaît une transition démographique rapide aux conséquences profondes. La natalité s’effondre, avec un indice de fécondité tombé à 1,7 enfant par femme en 2022, bien en dessous du seuil de renouvellement des générations (2,1). Le nombre annuel de naissances a chuté de 35% entre 2014 et 2022. Cette évolution s’accompagne d’un vieillissement accéléré de la population, avec désormais 10% de Tunisiens âgés de plus de 60 ans — le taux le plus élevé d’Afrique. Ces tendances, si elles se confirment dans le RGPH, posent des défis majeurs : pression croissante sur les systèmes de santé et de retraite, tensions sur le marché du travail malgré un chômage élevé (16,1% en 2024), et risques de pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs. Si ces tendances se confirment, la Tunisie pourrait connaître une décroissance démographique d’ici à 2050, semblable à celle observée au Japon ou en Italie. Les résultats tant attendus du RGPH 2024, dont la publication tarde, devraient fournir des informations cruciales pour adapter les politiques publiques à ces bouleversements structurels. Sans réformes ambitieuses concernant les retraites, les politiques familiales et la gestion des migrations, le pays s’expose à une crise socioéconomique durable.

 Immigration : des chiffres qui dérangent ?
La question migratoire, et en particulier la présence de ressortissants subsahariens, est au cœur des débats. Le RGPH 2024 est censé offrir, pour la première fois depuis une décennie, un état des lieux précis de la population étrangère vivant sur le sol tunisien. Une donnée d’autant plus cruciale qu’elle est aujourd’hui absente des débats, remplacée par les spéculations et les discours à charge. En révélant l’ampleur réelle des flux migratoires, le recensement pourrait apaiser les tensions. À condition toutefois que les données soient diffusées de manière transparente et contextualisée.

 Une économie sous haute tension
Sur le plan économique, la Tunisie reste engluée dans une stagnation préoccupante. La baisse du recours aux chèques, l’un des indicateurs avancés de l’activité économique, confirme un essoufflement de la dynamique entrepreneuriale. Les réformes sur le travail temporaire soulèvent des inquiétudes quant à l’avenir de l’emploi et à la viabilité des PME.
Les finances publiques, elles, demeurent sous pression. En l’absence de ressources extérieures, l’État s’appuie massivement sur le financement intérieur. Résultat : une explosion de la masse monétaire – durant les deux premiers mois de l’année – sans effet stimulant sur l’économie réelle. Le déficit extérieur continue de peser sur la balance des paiements, tandis que les engagements de court terme de la Banque centrale dépassent ses réserves en devises.
En conclusion, et dans ce climat d’incertitude, le RGPH aurait pu – aurait dû – offrir un point d’ancrage, une base factuelle pour un débat éclairé sur les priorités nationales. Au lieu de cela, son absence plonge encore davantage le pays dans le flou. Entre vieillissement accéléré de la population, tensions économiques, dérives budgétaires et crispations sociales, la Tunisie semble naviguer à vue. Le RGPH 2024, s’il venait à être publié, pourrait enfin permettre de poser un diagnostic lucide et d’ouvrir la voie à une stratégie de redressement ambitieuse. Encore faut-il qu’il voie le jour.

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