La course à la Présidentielle va se faire, a priori, à trois sauf désistement(s)-surprise(s) de dernière minute. Zouhaier Maghzaoui et Ayachi Zammel, deux chefs de parti politique et anciens députés, sont passés par le premier filtre de l’Isie, avec Kaïs Saïed et sont provisoirement retenus.
En définitive, tous ceux qui ont assuré que le président sortant voulait concourir tout seul le 6 octobre prochain et que l’Isie ferait le nécessaire pour cela, ont fait du bruit pour rien. Quant au risque de désistement, il est minime. Les candidats provisoirement retenus sont bien partis pour rester dans la course.
Zouhair Maghzaoui estime que cette élection présidentielle est « une chance pour changer la Tunisie vers le meilleur». Le Secrétaire général du parti Achaâb, ancien membre du Mouvement du peuple (gauche) fondé par Mohamed Brahmi assassiné le 25 juillet 2013, est l’un des premiers et des plus importants soutiens du processus du 25 juillet 2021, y compris le coup de force, avant de battre en brèche pour prendre position contre l’usage abusif du décret 54 qui menace les libertés et les arrestations dans les rangs des élites. Il n’est ni dans l’opposition ni dans le camp des partisans irréductibles. Maghzaoui est entre deux. Il est considéré comme « un opposant de l’intérieur, surtout critique du manque de résultats socio-économiques » et du bilan présidentiel. « Il n’a aucune chance car les gens préfèrent toujours l’original à la copie », pensent certains analystes.
Nationaliste de gauche, partisan du panarabisme, anti-Ennahdha, c’est un candidat valable et ses chances pour passer le premier tour sont réelles au cas où il irait au bout de la course.
Ayachi Zammel, chimiste de formation, entrepreneur de profession, s’est engagé tardivement dans la politique. Encarté dans le parti de Youssef Chahed, Tahya Tounes, une ex-croissance de Nidaa Tounes, il fait une première expérience parlementaire en 2019. Il quitte le bloc Tahya Tounes en juin 2020 pour rejoindre le bloc Réforme nationale composé de divers transfuges (migrants d’un bloc à un autre). En juillet 2022, il crée son propre parti « Azimoun » (Déterminés, ndlr), une petite formation sans réel poids politique, mais Ayachi Zammel ne mâche pas ses mots. Viscéralement opposé au coup de force du 25 juillet 2021 qui a gelé l’ARP et mis un coup d’arrêt à son mandat parlementaire, Zammel critique un « pouvoir individuel et absolu », comprendre celui de Kaïs Saïed, et la Constitution de 2022 qui, estime-t-il, « exclut les fondements de l’Etat civil, les équilibres des pouvoirs, les droits de l’Homme, les libertés et les droits économiques, sociaux et environnementaux ». Une opposition radicale affichée avant l’adoption de la nouvelle Loi fondamentale par référendum le 25 juillet 2022. Il se fera plus discret après.
Aujourd’hui, Ayachi Zammel croit en ses chances de griller toutes les étapes et d’arriver à la magistrature suprême et pour ce faire, il brandit comme slogan de campagne « Tournons la page », une invitation aux Tunisiens à le rejoindre pour mettre un terme au processus du 25 juillet et priver Kaïs Saïed d’un second mandat présidentiel. Il a peu de chances d’être suivi et d’arriver au second tour.
Le troisième candidat, on ne le présente plus. Le scrutin devrait être une simple formalité pour lui. Le faible nombre de concurrents joue en sa faveur d’autant que les candidats retenus sont connus, ils font partie de la classe politique que les Tunisiens ont eu le temps et la latitude de honnir tout au long de la décennie 2011-2021, une décennie de tiraillements politiques, de querelles pour le partage des pouvoirs et des fonctions, de terrorisme, d’instabilité, etc. Les Tunisiens les ont testés, ils ne voulaient plus d’eux. A moins que la facture de la reddition des comptes, voulue par les Tunisiens et appliquée par Kaïs Saïed, soit devenue trop salée et trop lourde au point de faire, désormais, peur même aux plus enthousiastes des supporters du coup de force du 25 juillet 2021. Ajouter à cela, le décret 54 et son impact sur le moral collectif. Les multiples arrestations et affaires en jugement pour diffamation, y compris dans les rangs des journalistes, ont fait tomber les barrières de sécurité qui permettaient aux hommes et aux femmes des médias de faire leur travail en toute confiance et dans la sérénité, convaincus que la presse est l’art et le devoir d’informer et non un crime. Ce climat de peur, de déception et de frustration ne restera pas sans conséquence. Des partisans de Kaïs Saïed souhaitent le changement, une plus grande flexibilité dans les affaires liées à la liberté d’expression et l’amendement du décret 54.
Tous ces mécontents vont contribuer à renforcer les rangs des oppositions et à affaiblir les chances de Kaïs Saïed de gagner l’élection présidentielle dès le premier tour. Même le second tour risque d’être compromis dès lors qu’il y aurait un deuxième candidat. Le président sortant reste, certes, favori mais tout peut arriver en politique. Des arrangements contre-nature entre courants politiques opposés, voire ennemis, peuvent faire des miracles. Les élections législatives françaises de juin-juillet derniers sont un parfait exemple qui peut être reproduit en Tunisie, en octobre prochain, pour donner toute sa chance au candidat qui sera face à Kaïs Saïed au second tour pour rafler la mise et au final, tourner la page du 25 juillet 2021.
Le président sortant a encore du temps devant lui avant le scrutin présidentiel pour remettre certaines pendules à l’heure, panser les plaies et rassurer les Tunisiens pour les cinq prochaines années. Il faut le faire maintenant, non pas après le 6 octobre 2024. Avec la menace abstentionniste qui pèse sur l’élection présidentielle, il s’agit d’œuvrer pour que les bureaux de vote soient remplis le jour du scrutin par des électeurs enthousiastes emportés par la fibre patriotique et non des bureaux désertés ou attirant des votants contraints, peut-être au pire.
En attendant, chacun des deux autres candidats est appelé à préparer un programme électoral sérieux et applicable et à ne pas trop compter sur un vote-sanction pour être propulsé à Carthage.
Il est important de noter que le processus de validation des candidatures se poursuit.
L’ISIE a jusqu’au 26 août pour statuer définitivement sur la liste des candidats éligibles à l’élection présidentielle du 6 octobre 2024. Des recours ont été introduits auprès du Tribunal administratif par ceux dont les dossiers ont été rejetés pour faire valoir leur droit à concurrencer les candidats retenus.
La balle est dans le camp du Tribunal administratif. Désormais, il revient au juge administratif, en tant que garant de la légalité, de doter le processus de l’élection présidentielle de la couverture légale nécessaire.
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