« Sabbaba », « Qawada » ET « Qaffafa » , on est mouchard quand on ne peut être soldat

 


Lorsque Salem est né, le diable a dû se dire « oh ! Une concurrence coriace en perspective… » Car ce chaouch qui travaille dans une administration comptant plusieurs centaines de fonctionnaires est une plaie pour tous ses collègues. Véritable espion professionnel, il écoute aux portes, regarde dans les dossiers confidentiels qu’on lui demande de porter d’un bureau à l’autre, ouvre le courrier et le referme, note l’heure d’arrivée des retardataires… Une véritable machine à espionner !

Mais à quoi cela sert-il, diriez-vous ? C’est simple : à tout répéter aux chefs de services, aux directeurs, à certains collègues susceptibles de monter en grade. Bref, à toute personne qui pourrait l’aider à monter un peu dans la hiérarchie administrative, à obtenir des avantages auxquels il n’a pas droit, à intégrer ses enfants dans des postes même si leur niveau laisse à  désirer…  

En fait, la « Sabba » est devenue un sport national qui s’est développé de façon exponentielle depuis quelque temps. Il s’agit d’un fayotage pratiqué avec ferveur par ceux que l’on appelle communément les « Sabbaba » ou encore les « Qaffefa ». C’est une forme de servilité, de bassesse destinée à nuire aux autres et à se faire remarquer par son chef hiérarchique ou toute autre personne détentrice d’une quelconque autorité.

Un ancien chef de service nous a rapporté cette anecdote à peine croyable : « j’étais dans mon bureau lorsque ce chaouch est venu m’annoncer que pendant que je dormais sur mes deux oreilles,  il se passait des choses choquantes pour la morale dans mon service… Il me raconte alors qu’une des secrétaires s’enfermait tous les jours, entre midi et deux heures, dans son bureau en compagnie d’un autre fonctionnaire et qu’ils entretiennent probablement des relations sexuelles illicites… »

Peu porté sur ce genre de rumeurs, ce responsable demande au chaouch s’il les a vus faire des choses, si la secrétaire se plaignait de cette situation et en quoi tout cela dérangeait le chaouch fayot… Une réaction saine et posée, mais qui n’a pas fait plaisir au « Sabbab », qui est parti raconter partout que ce chef était complice et qu’il devait, lui aussi, participer à une supposée orgie…

En fait, la secrétaire prenait son déjeuner au bureau avec un parent par alliance, qui était un exemple de correction et de droiture. Le manque de moyens poussait ces deux collègues à partager un modeste repas rapporté de chez eux. Cette histoire révèle le mal que peuvent faire ce genre de personnages douteux. Imaginez le tort que cette histoire aurait fait si le chef de service avait réagi comme le souhaitait le chaouch. Le scandale aurait touché les deux familles et les aurait certainement détruites.

Mais il n’y a pas que les chaouchs qui jouent aux carpettes ! Certains cadres s’y essayent aussi plus souvent qu’on ne le croit. Il semble inéluctable que dans un groupe de personnes, il y ait toujours une poignée de fayots que l’on peut facilement reconnaître à leur attitude servile et à leur zèle douteux. Ils vous agacent à force de jouer les volontaires pour masquer leur désir de se faire bien voir, une attitude que l’on appelle aussi la lèche, comme ces chiens qui vous lèchent la main, mais qui sont capables de vous mordre si vous contrariez leurs projets.

Cela commence dans les salles de classe quand ils répondent avec trop d’empressement à la question du professeur, avant même qu’elle ne soit posée. Plus tard, dans un groupe de travail, c’est celui qui va se mettre en avant, qui va se la jouer le héros, petit chef, alors qu’il est souvent incompétent, son but étant juste de se faire bien voir par le professeur qui représente l’autorité future.

Interrogé à ce sujet, un psychologue explique ce comportement en ces termes : « les fayots sont des personnes qui manquent de personnalité ou de caractère. Ils ont besoin de se mettre en valeur. A ne pas confondre avec les éléments dynamiques d’un groupe, ni avec les bons élèves… » Et il souligne : « Dans toutes les sociétés, les rumeurs les plus diverses circulent de bouche à oreille. Certaines sont vraies et d’autres farfelues, médisantes ou malveillantes, véhiculées par ce type d’individus. Toute leur vie, ils manqueront de confiance en eux-mêmes avec son corollaire, le besoin de reconnaissance. »

Notre psy a également tenu à souligner que « le commérage est un support pour entrer en relation avec les autres. Parler d’un tiers, c’est raconter, sans se raconter, parce qu’on aime susciter l’intérêt de l’autre. Donc, dire du mal permet de faire du spectaculaire pour avoir le sentiment d’être plus intéressant que l’autre. »

En fait, le commérage n’est que le reflet de la bêtise humaine, de la jalousie morbide et de l’irrespect de son prochain. Cet état d’esprit touche malheureusement un nombre incalculable de personnes dans tous les pays. Et en fin de compte, comme le souligne un fonctionnaire qui en a vu d’autres : « le plus à blâmer dans ces histoires de fayotage, c’est celui qui écoute, qui prête l’oreille à pareilles balivernes et autres insanités, pas celui qui rapporte… »

Un sociologue assure de son côté qu’il y a « beaucoup de fayots qui sont des moralisateurs, qui donnent des leçons de morale à tout le monde. Ils sont souvent très conservateurs, avec une ambition maladive, mais pas le niveau nécessaire pour y parvenir. C’est à se demander si leur seul but dans la vie n’est pas de se mettre en avant, par peur de passer inaperçus. »

En tous cas, ce que l’on constate, c’est que le fayot est dépourvu de sincérité et de convictions, un parasite qui tire la couverture à lui. L’une des espèces les plus désagréables sont les « Sabbaba » à grande gueule, ceux qi crient très fort, qui transforment la vie des autres en enfer. Ils sont souvent haïs par leurs collègues, qui s’en méfient comme de la peste et ne manquent pas une occasion de le faire savoir aux novices qu’ils prennent sous leur aile.

On constate que les principaux sujets de commérages portent sur des thèmes plutôt sinistres, négatifs. Ils insistent sur les histoires d’arnaques, les relations extra conjugales, les histoires louches de malversations supposées… Le but du jeu, c’est de ne pas garder l’information secrète, de la révéler pour faire du mal et en profiter pour se faire bien voir par les chefs.

Face à un « Sabbab » ou « Qaffef », on remarque souvent des regards inquiets de ses collègues. Parfois, le commérage peut affecter une personne fragile autant physiquement que mentalement. C’est à ce moment que le jeu commence à devenir dangereux. Alors, il est essentiel de ne pas laisser tomber les personnes fragiles, les victimes de ces personnages.

Le plus inquiétant, c’est que le phénomène prend des proportions nouvelles avec la cyber « sabba » et l’utilisation d’Internet et du téléphone portable. Que de dénonciations calomnieuses effectuées, grâce à ces moyens ultra-rapides et si efficaces, car instantanés et ne laissant pas le temps de faire la part des choses.

Alors certains, plus sages que les autres, ont choisi de vivre comme cette statuette, où l’on voit trois singes : un qui se cache les yeux pour ne rien voir, un second qui se cache la bouche pour ne rien dire et un troisième qui se cache les oreilles pour ne rien entendre. Parfois, pour garder sa dignité, il vaut mieux suivre leur exemple et ne penser qu’à sa famille et à ses loisirs, loin de cette ambiance empoisonnée.

Mais le problème c’est que tôt ou tard, on risque d’être la victime de ces personnages maléfiques. Alors il vaut mieux les affronter et les dénoncer pour réduire leurs funestes projets. Cela peut nous créer des problèmes, mais ils seront certainement moins graves que ceux que ces personnages projettent d’engendrer…

 

Yasser Maârouf

 

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