Par Mohamed Ali Ben Sghaïer
Alors que Russes et Américains, respectivement principaux parrains du régime et supporters de l’opposition en Syrie, s’apprêtent à prendre part à une conférence internationale à Genève à propos du conflit syrien, l’Union européenne vient d’intervenir à travers une décision qualifiée de “hâtive et inopportune”. En fait, l’accord conclu dans la douleur entre les ministres européens des Affaires étrangères adoptant la levée de l’embargo sur les armes pour les rebelles en Syrie, a été mal perçu tant par les Russes que par certains autres pays européens qui refusent de mener une guerre par procuration en Syrie. D’ailleurs, hormis la France et la Grande-Bretagne, largement favorables à la décision, les avis ont été très partagés sur ce sujet.
Pour les alliés stratégiques du régime alaouite, cette décision, — bien que son entrée en vigueur ne soit pas immédiate — portera, certainement, un “préjudice direct” à la conférence de Genève II prévue pour les jours à venir. Après de longues négociations entre Américains et Russes afin de parvenir à une issue “pacifique” au conflit syrien à travers une conférence de paix, la décision européenne est considérée comme “un coup dur” porté à ces efforts. Amener les belligérants autour d’une table de négociations, après près de deux ans de conflit sanglant, ne semble pas être aussi facile, d’autant plus que tout le monde est persuadé qu’en dehors d’un “accord de paix” toutes les conditions demeurent favorables pour que la crise se poursuive encore longtemps.
La guerre en Syrie n’est plus une affaire “locale”, car la profondeur stratégique de la Syrie fait de ce pays une proie facile pour les différents conflits d’intérêt de toutes les puissances mondiales. Russes, Américains, Français, Anglais, Turcs, Iraniens, Chinois, Saoudiens… et autres, ont tous intérêt à ce que le vent syrien tourne en faveur de chacun d’eux.
Les Russes, principaux “protecteurs” de Bachar Al-Assad, sont très remontés contre cette décision qui risque, selon eux, de provoquer des conséquences dévastatrices. Il faut dire que les Russes sont apeurés à l’idée que l’armement de l’opposition renforce davantage la position des insurgés, notamment les djihadistes, contre le régime en place. Car la chute du Bachar Al-Assad mettrait fin à toutes les ambitions de l’ex-URSS dans la région. D’ailleurs Vladimir Poutine, l’homme fort du Kremlin, qui a toujours défendu bec et ongles le régime alaouite à travers son soutien inconditionnel en matière d’armement, notamment par l’envoi de missiles très sophistiqués, n’a épargné aucun effort pour que la révolte soit étouffée dans l’œuf. Maintenir au pouvoir le régime “assadite” demeure une question de vie ou de mort.
En revanche, les Occidentaux qui prétendent, à travers cette décision, exercer des pressions sur le régime syrien pour l’obliger à céder le pouvoir, sont sûrement conscients que la décision de lever l’embargo sur les armes à destination des rebelles, pourrait envenimer la situation. Puisque le risque de voir les armes tomber entre des mains «douteuses» est réel, et que la prolifération de ces mêmes armes, représente une source d’ennui dans la lutte contre le terrorisme. La diversité au sein de la rébellion, qui comporte entre autres des combattants du Front Ennosra, une filière d’Al-Qaïda inscrite sur la liste des entités terroristes, demeure la pierre d’achoppement devant l’unanimité des Occidentaux autour de ce sujet.
Mieux encore, certains pays européens, notamment l’Autriche, voient dans cette décision d’approvisionner en armes la Syrie, une contradiction avec les “principes de l’Europe”. Pour Michael Spindelegger, ministre autrichien des Affaires étrangères : «L’UE vient de recevoir le prix Nobel de la paix, ce n’est pas pour s’engager directement dans un conflit par le biais de livraison d’armes».
Toutefois, Français et Américains apprécient mal la montée de la violence en Syrie, puisque le conflit gagne désormais les frontières avec le Liban et Israël, deux pays alliés de Paris et de Washington. En outre, la participation annoncée du Hezbollah, bras armé de l’Iran dans la région, aux côtés des forces régulières syriennes a suscité l’ire des Occidentaux.
L’entrée en force des acteurs clefs dans ce conflit, à savoir l’Iran et le Hezbollah, a incité les Occidentaux à réagir ne serait-ce que par l’adoption d’une décision très lourde de conséquences. Cette décision européenne a été favorablement accueillie par les pays du Golfe qui n’ont jamais caché leur hostilité au régime syrien, boosté par les chiites d’Iran et du Hezbollah. Saoudiens et Qataris, les nouveaux “leaders” arabes, cherchent inlassablement à mettre fin à l’expansionnisme perse et chiite. Le clivage chiite-sunnite se développe de jour en jour dans la région. Et même la Turquie, qui semble aujourd’hui “contaminée” par le “virus” du Printemps arabe, est impliquée dans le conflit.
Toute la région est prise dans des sables mouvants. La décision d’approvisionner les Syriens en armes risque d’aggraver la situation, car ce pays est devenu un marché prometteur, voire un carrefour d’armes de toutes catégories. Cette décision pourrait vider de leur sens les accords et les négociations. Seul le “bruit des armes” serait alors audible.