Les croyants glanent l’art de vivre ensemble au fil du Coran, de la Torah et du Nouveau Testament. Celui-ci dit : « La sagesse d’en haut est premièrement pure, ensuite pacifique, modérée, conciliante, pleine de miséricorde et de bons fruits, exempte de duplicité, d’hypocrisie ».
D’autres puisent leur bonne éducation chez Diogène, Épicure, Spinoza, Nietzsche, Kant, Schopenhauer, Socrate et Platon. Mais ce beau monde inscrit par pertes et profits une autre source d’inspiration. Ce troisième larron, outre la philosophie et la religion, capture l’expérience des générations. Plongeons, sans façon, au fond de ce monde social passionnant et sans prétention. Au moment où, au volant, je passe devant un taxi, le conducteur me lance, à travers la portière : « Allahya3tik issabr wakt issaâ ». Je n’oublierai jamais ce mot nimbé de signification adressée à chacun des humains. En effet, à l’orée de l’ultime départ, l’homme, étalé sur un lit dérisoire, attend sa délivrance notoire. Il affronte la douleur, la souffrance et surtout l’ennui, plus que tout.
Vers sa quatre-vingt dixième année, un proche parent, lassé au dernier moment de sa vie, me dit : « Itwalit la7kaya ». Il en avait marre et voulait décamper sans tarder. Taraudée par ce même éprouvé mais avec son cancer parvenu à sa phase de métastase, la mère de Jospin préféra l’euthanasie au drame inouï. Cela n’est guère partout permis. Le chauffeur de Khlifa Chater, Dhaou Akermi, me dit : « Ce sont des ignorants. Nous ne pouvons retirer une vie donnée puis reprise par Dieu Seul ».
Quand j’annonçai le décès d’Ali Bousnina, mon interlocuteur me dit : « Irta7 ». J’y reviendrai. Baudelaire, aussi, parle de sommeil et d’oubli : « Dans une terre grasse et pleine d’escargots / Je veux creuser moi-même une fosse profonde / Où je puisse à loisir étaler mes vieux os / Et dormir dans l’oubli comme un requin dans l’onde ».
Sacrés ou profanes, ces divers cas de figure charrient la même procédure. L’imagination traite la peur du néant par des représentations. Ainsi, la sagesse d’en haut serait pacifique mais, dans ces conditions, d’où proviennent les guerres de religion, fussent-elles catholiques ou islamiques ? Et que faire si l’euthanasie séduit l’intelligence et le courage réunis ? Quant au sommeil et à l’oubli baudelairiens, ils relèvent du bavardage, « discours sans vie » selon Heidegger. De même, l’enfer et le paradis procurent la même consolation car ils prémunissent contre l’instant où il n’y aurait plus rien à penser. L’imaginaire sert à colmater l’insoutenable vacuité. Rien n’est plus malaisé à penser que le rien.
Alors, le phantasme étale du baume sur l’optique de la peur-panique. De là provient l’invention d’une fonction, celle de coach et de sa recommandation : Congédier les pensées « négatives » et convier les représentations « positives ».
D’autres métiers, aussi drôles, inspirent ce dit par Albert Cossery : « Passeur de rue ! Un nouveau métier encore plus téméraire que celui de voleur… L’homme qui avait inventé cette étonnante fonction pour subsister mériterait son admiration et son amitié éternelle… Ce découvreur d’emplois inusités jusqu’alors parmi les chômeurs endurcis de la capitale submergée avait sans conteste, droit à une médaille ». La sagesse populaire hante la rue et les cafés où prêter l’oreille capte, au vol, des merveilles. Au restaurant, le self-service oppose deux arrivés, l’un derrière l’autre, face à des récipients remplis de fruits secs moulus. Le premier fourre la cuillère au fond de sa bouche puis la dépose là où il ne faut pas.
L’autre lui dit : « Moi aussi je vais en prendre, vous ne devez pas remettre la cuillère là, une fois mise dans votre bouche ». Le risque de contamination a partie liée avec un manque d’éducation. De même, éternuer à la face d’autrui lui expédie un billet pour la pharmacie.
Dans ces conditions, les quartiers marginalisés où la densité populaire agglutine les personnes rapprochées favorisent la contagion. Les inégalités en matière de santé ont à voir avec la pauvreté.
Revenons à la sagesse populaire sans l’avoir quittée. Aucune cloison étanche ne sépare la philosophie, la rue et la religion. Ce 26 décembre Amanallah, le fils de Nabil, récite, à 6 ans, une longue sourate coranique en vue d’une compétition. Sa famille l’encourage à remporter le premier prix après avoir eu le second. Voici donc mise en relation la croyance avec la concurrence à la fois profane et sacrée. L’ouvrage parcouru, le taximan entendu et, au restaurant, la discorde aperçue brossent l’ensemble où chaque subjectivité peaufine son idée. Donc plusieurs participent à l’écriture monopolisée, à tort, par un esprit retors au cas où il occulterait les sources exploitées. Isolé de l’humanité tel cet enfant de l’Aveyron allaité par une louve, nul ne saurait inventer un roman policier, fut-il un chef-d’œuvre ou un parfait navet. Foucault propose aux auteurs d’inscrire sur la première page de couverture l’expression « Qu’importe qui l’a écrit » au lieu des nom et prénom. Min ayna laka hatha ?