Saïed, la presse et le décret 54

On en demande encore, de ces échanges directs et improvisés entre le président Kaïs Saïed et les journalistes tunisiens, et de surcroît hors des espaces officiels codés. Tout au long de ces trois dernières années, cela aurait pu éviter tant d’incompréhensions, de rumeurs infondées, de polémiques stériles, de campagnes de diffamation outrageuses et de divisions. La communication directe, de proximité, n’aurait certes pas effacé les divergences de vues, d’opinions et de visions, mais elle aurait arrondi les angles des oppositions et transformer les conflits en débats constructifs, ceux-là mêmes qui permettent de construire ensemble pour le bien général et d’avancer vers des niveaux supérieurs de développement.
L’un de ces rares échanges s’est déroulé lundi 5 août devant le siège de l’Isie, après que  Kaïs Saïed eut procédé au dépôt de son dossier de candidature, la veille de l’expiration du délai fixé au 6 août. On saura à l’occasion que l’opération de collecte des parrainages populaires au profit du président sortant va bon train, une opération prise en charge strictement par « des bénévoles », —que Kaïs Saïed va remercier solennellement —, dans diverses régions du pays, urbaines et rurales, et dont le premier contingent de signatures déposé le 5 août atteignait 240 mille paraphes, en attendant les nouveaux soutiens qui continuent d’affluer selon les dires du président candidat. Même s’il est connu que le candidat à sa propre succession part favori dans la course présidentielle, il n’en demeure pas moins que la transparence autour du processus électoral jusqu’au moindre de ses détails est souhaitable afin de crédibiliser l’ensemble du scrutin et garantir la légitimité de ses résultats.
L’échange a été, également, l’opportunité inespérée pour les journalistes de sonder l’avis du président « omnipotent » sur les sujets brûlants qui fâchent les Tunisiens et qui lui attirent personnellement des vagues de critiques, telles que les arrestations notamment des journalistes sur la base du décret 54. La réponse est sans appel et plutôt inquiétante car Kaïs Saïed s’en lave totalement : « Je n’ai jamais déposé de plainte contre qui que ce soit », assure-t-il. Les instructions en cours ou celles achevées, ayant abouti à des condamnations contre des propos médiatiques ou des publications sur les réseaux sociaux jugés injurieux ou diffamatoires, émanent bien de plaignants qui se sont tournés vers la justice pour demander réparation. Le président est formel, voire catégorique : « Je ne m’ingère pas dans les affaires de la justice, je ne le ferai jamais et je ne me réjouis jamais de l’emprisonnement de quiconque sur la base du décret 54, je n’œuvre pas pour l’emprisonnement des journalistes ou de toute autre personne, c’est l’instruction publique qui agit de son propre chef ». Le président sait donc mais semble ignorer les détails des « affaires ». Il affirme tout de même que ces affaires ne portent pas que sur des déclarations.
L’échange avec les médias nationaux va être aussi l’occasion pour Kaïs Saïed de rappeler la boussole de son premier mandat et qui va, semble-t-il, être également le slogan de sa campagne électorale pour un second mandat. Les Tunisiens en jugeront. Ce n’est pas moins qu’une « guerre de libération nationale » que le candidat à sa propre succession entend mener jusqu’au bout, une guerre qu’il a lancée après le 25 juillet 2021 contre les forces d’inertie qui tirent la Tunisie vers l’arrière et qu’il poursuivra « pour la liberté » des Tunisiens dans ce qu’il s’engage à instaurer : une « République nouvelle dans laquelle le citoyen vit dignement, jouit de tous ses droits dans un contexte de liberté, de justice et de dignité nationale ».
Pour Kaïs Saïed, il n’y a pas de doute, il n’y aura pas de recul en matière de libertés. « Il n’y aura pas de régression », promet-il au peuple tunisien dont il dit qu’il « est en quête de liberté depuis longtemps ».
Le programme électoral de Kaïs Saïed est ainsi brièvement esquissé, il ne reste plus qu’à attendre le démarrage de la campagne électorale le 14 septembre pour en connaître les tenants et les aboutissants.
Ce ne sera pas le cas des candidats qui ont déjà été déboutés pour n’avoir pas pu obtenir leur B3 à temps, comme Mondher Zenaïdi, Karim Gharbi alias K2Rym, Imed Daïmi et d’autres qui ont reçu des notifications des autorités compétentes du ministère de l’Intérieur dans ce sens. Faut-il regretter l’élimination de certains candidats (pas tous) ? Il faut espérer que le petit nombre de candidats qui se sont déplacés à l’Isie pour déposer un dossier de candidature incomplet réussisse à rester dans la course pour que celle-ci soit une compétition aux normes démocratiques.
On le saura le 11 août, date d’affichage de la liste définitive des candidatures validées.

 

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