Saïed réélu avec 90,69% des voix : Et maintenant ?

Tunisia's President Kais Saied is pictured at the Tunis-Carthage International Airport, as he receives his Algerian counterpart visiting the Tunisian capital, on December 15, 2021. (Photo by FETHI BELAID / AFP)

Le soir du 6 octobre, les Tunisiens attendaient impatiemment de connaître le taux de participation au scrutin présidentiel, ils ont, finalement, tout eu. Le sondage réalisé par Sigma Conseil donnait la tendance générale des résultats à la sortie des urnes avec en prime, une victoire magistrale dès le premier tour du Président sortant, Kaïs Saïed, très loin devant ses deux adversaires. Il n’aura pas fallu davantage – les résultats officiels de l’Isie – pour que les partisans du candidat réélu laissent exploser leur joie dans l’emblématique avenue Habib Bourguiba et dans la quasi-totalité des villes tunisiennes. Le lendemain, l’Isie confirme les tendances : Kaïs Saïed est plébiscité à 90,69% très loin devant ses deux concurrents, Ayachi Zammel (7,35%) et Zouhaïer Maghzaoui (1,97%). En choisissant la continuité, les électeurs tunisiens ont opté pour la stabilité et maintenu le statu quo. La page n’a, donc, pas été tournée comme le prônait le candidat Ayachi Zammel, en détention, condamné à 12 ans de prison pour falsification de parrainages. Quant à l’opportunité de bâtir une Tunisie meilleure, que promettait le candidat Zouhaïer Maghzaoui, troisième au classement, elle reste de rigueur, indépendamment du président élu.

 Après les doutes, les bras de fer, les polémiques, les marches de protestations, les slogans anti-Kaïs Saïed, les appels simultanés au vote massif et au boycott du scrutin et les accusations de falsification du processus électoral, près de trois millions d’électeurs tunisiens ont choisi de ne pas changer de président de la République et de couper la route du Palais de Carthage à des revenants. Près du tiers de l’électorat (28,8%) s’est donc déplacé ce 6 octobre pour élire le nouveau président de la République et la majorité écrasante des suffrages exprimés a reconduit Kaïs Saïed pour un deuxième mandat à la tête de l’Exécutif.
En vertu des normes internationales, le taux de participation est « respectable » en comparaison des 11% enregistrés lors des précédentes élections législatives de 2022-2023. L’introduction de la nouvelle formule du « vote libre » dans tous les bureaux de vote sans y être, nécessairement, inscrit a contribué à améliorer le taux de participation, surtout à l’étranger où la participation de la diaspora est passée du simple au double (environ de 5% à 10% en moyenne).

Les électeurs boudent encore les partis politiques
Il n’en demeure pas moins que le rapport des Tunisiens avec les élections, c’est une vieille histoire qui se réitère à chaque échéance : il y en a qui ne votent pas (autour de 30%), ce bloc silencieux ne bouge pas d’un iota, et il y a les autres dont la plus grande proportion a consommé la rupture avec les partis politiques depuis 2014, avec le vote-sanction contre le mouvement islamiste Ennahdha et la résorption progressive du réservoir électoral au cours de la décennie noire. La désillusion grandissante des Tunisiens tout au long de cette décennie 2011-2021 par rapport aux partis politiques, alors très nombreux et défaillants en termes de sécurité et de développement socio-économique, a eu raison de l’essence même de tout projet démocratique censé être basé sur la vie des partis.
La Présidentielle de 2019 va ancrer ce rejet des « boutiques » politiques par les Tunisiens qui vont élire, voire même plébisciter avec plus de 72% des voix, un candidat indépendant, peu connu, sans passé politique, Kaïs Saïed. En 2024, ils remettent cela malgré les batailles politico-juridiques menées pendant la période électorale par les fronts de l’opposition contre l’Isie pour des soupçons de manipulations frauduleuses de la loi électorale, notamment afin d’écarter les adversaires politiques de Kaïs Saïed et les accusations dirigées contre l’Exécutif de monter des procès de toutes pièces pour les mettre en prison. Tout cela n’a pas suffi pour inverser la tendance, le « Projet » de Kaïs Saïed pour la Tunisie a été validé une deuxième fois par les électeurs et il aura cinq nouvelles années pour le parachever. Cet état de fait a été rendu possible également par les auteurs des appels au boycott du scrutin présidentiel. En se tenant en retrait d’un évènement aussi décisif pour le prochain quinquennat, l’opposition se prive de l’opportunité d’agir, de marquer de son empreinte une étape importante dans l’histoire de la Tunisie et d’influer sur les résultats, au moins en réduisant l’écart entre le premier et le deuxième candidat et en donnant, ainsi, à ce dernier une chance, non improbable, de participer à un second tour du scrutin et peut-être d’en sortir vainqueur. Le fort taux d’abstention à cette élection qui avoisine les 70% indique qu’il y avait des voix à prospecter.

 En attendant de partir, les jeunes ont tourné le dos
Appeler au boycott puis ne pas reconnaître les résultats est un aveu d’échec de mauvais perdant et un bafouement des règles de la démocratie. Quelle était la véritable raison de ce boycott ? Etait-elle l’espoir de faire baisser le taux de participation afin de délégitimer l’élection de Kaïs Saïed, parti favori dès le départ ? Ou, est-ce l’absence réelle d’une base électorale à même de faire le contrepoids face aux partisans de Kaïs Saïed ? Quant aux accusations de falsification du scrutin par l’Isie, il faudra en fournir des preuves irréfutables. Comme prévu donc, les deux candidats des oppositions, Ayachi Zammel et Zouhaïer Maghzaoui ont, en première réaction, contesté la victoire de Kaïs Saïed que le sondage à la sortie des urnes réalisé par Sigma Conseil donnait pour vainqueur avec plus de 89% des voix. Dans une fuite en avant, l’équipe de Ayachi Zammel, soutenu par l’ancienne majorité (Ennahdha et partis alliés), va jusqu’à « décréter » unilatéralement un second tour entre Kaïs Saïed et Ayachi Zammel, en détention, condamné à 12 ans de prison pour falsification de parrainages. La réponse viendra de l’Isie qui n’exclut pas la possibilité d’annuler les voix de Zammel (un peu plus de 197.551 voix), dès lors que les jugements judiciaires seront définitifs. Zouhaïer Maghzaoui (52.903 voix), souverainiste de gauche, troisième au classement, n’est pas en reste et au soir du 6 octobre, il annonce ne pas reconnaître les résultats du sondage sortis des urnes.
Avec la réélection de Kaïs Saïed pour un second mandat de cinq ans à la présidence de la République, la Tunisie n’est pas près de sortir du tourbillon infernal des tensions et n’est pas au bout de ses polémiques. Au soir du 6 octobre, Kaïs Saïed a renouvelé sa détermination à poursuivre sa guerre contre la corruption et à assainir le pays des traîtres et des corrompus.
Les défis du second mandat sont à la hauteur des attentes des Tunisiens qui prennent leurs maux sociaux et économiques en patience depuis le 25 juillet 2021. Et le plébiscite est un contrat social avec les électeurs engageant le président réélu avec une majorité très confortable, à le concrétiser.
L’action gouvernementale est appelée à être plus dynamique, à la hauteur des défis et le nouveau président, à écouter mieux et davantage les doléances de ses concitoyens, en l’occurrence les 18-35 ans dont 6% seulement ont voté ce 6 octobre. Un recul significatif pour cette population jeune et dynamique qui avait voté en masse pour Kaïs Saïed en 2019. Cette tranche d’âge est le présent et l’avenir de la Tunisie, l’écouter et répondre favorablement à ses attentes spécifiques et ses besoins urgents est un impératif pour renforcer les capacités de relance de l’économie et du développement durable de la Tunisie et fera front au dangereux fléau de la fuite des compétences, en solitaires ou en famille, vers des pays étrangers qui menace, à plus ou moins long terme, la société et l’Etat d’effondrement. La Tunisie, comme tous les autres pays, est contrainte de faire évoluer son modèle de développement et de procéder aux mutations qui s’imposent dans un ordre mondial ouvert et dominé par les nouvelles technologies de plus en plus pointues et sophistiquées. C’est dans sa jeunesse que la Tunisie doit investir pendant les années à venir et c’est cette jeunesse qu’elle doit garder sur son sol en y mettant tous les moyens législatifs, financiers, sociaux, culturels et politiques avec en tête de liste la liberté, l’ouverture et l’épanouissement scolaire et professionnel.
Les urnes ont parlé. Les chiffres doivent être consciencieusement lus et interprétés. Les défis à relever sont multiples mais trois sont urgents : rétablir les libertés et réviser le décret 54, libérer totalement l’initiative privée et ouvrir les horizons aux jeunes, multiplier et diversifier les partenaires économiques étrangers. Il s’agit d’ouvrir la réflexion à toutes les compétences tunisiennes pour sortir d’une situation financière inquiétante héritée de la décennie 2011-2021 et inhérente à la rupture avec le FMI.
En dépit de ce contexte défavorable, la Tunisie a pu réaliser de petites avancées –Fitch Ratings a relevé la note souveraine de la Tunisie de CCC- à CCC+) en ne comptant que sur ses propres moyens et sur ses amis fidèles et nouveaux, dont la Chine et la Russie. Il faudra à présent y aller avec plus d’agressivité et d’entrain.
Kaïs Saïed est réélu, les tensions vont se poursuivre et l’ambition de bâtir une Tunisie meilleure reste totale. Il revient à tous les Tunisiens d’œuvrer ensemble pour mettre en place la plateforme de lancement d’une telle ambition. Pour ce faire, il urge de mettre un terme aux guéguerres interminables pour l’accession au pouvoir. Les partis d’opposition gagneraient à faire leur mea culpa et à se rapprocher davantage de la Tunisie profonde. Kaïs Saïed gagnerait, à son tour, à être le président de tous les Tunisiens, en particulier ceux qui ont voté contre lui et ceux qui ne croient pas dans les élections. Et il y a beaucoup à faire.

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