SAIPH: augmentation du capital et confiance renouvelée en la Tunisie

Mohamed Khalil, Président du C.A de la SAIPH
« Nous croyons encore en la Tunisie »

Entre la Société Arabe des Industries pharmaceutiques (SAIPH) et le ministère de la Santé, une longue bataille est engagée. Et pour cause : la décision de la Direction de la pharmacie et du Médicament (DPM), rattachée au ministère, de retirer quatre autorisations de mise sur le marché (AMM) de quatre médicaments et de les accorder à un autre laboratoire tunisien qui devrait travailler sous licence du groupe pharmaceutique Servier. SAIPH a dénoncé une grave injustice.
Docteur Mohamed Khalil, président du Conseil d’administration de l’entreprise, s’est confié à Réalités Online pour faire part de la position de SAIPH. Il a, entre-autres, réaffirmé l’engagement de l’entreprise à poursuivre ses efforts d’investissements en Tunisie.
Par ailleurs, il est revenu sur l’augmentation du capital de SAIPH de 51 millions de dinars. Preuve, de la confiance renouvelée en la Tunisie malgré les difficultés qui existent. Entretien.

Lors de votre dernière conférence de presse, vous avez affirmé que le secteur des médicaments en Tunisie est menacé. Comment et pourquoi?
Nous avons organisé la conférence de presse du 9 août 2016 environ un an après nos tentatives d’entrer en contact avec le ministère de la Santé pour faire part des dépassements commis par la DPM à l’encontre de SAIPH. Cette conférence de presse que nous avons tenue a constitué notre dernier recours pour faire entendre notre voix. Pas une fois, le ministère de la Santé et la DPM n’ont reçu les représentants de la société  SAIPH pour les écouter.

Parlez-nous de vos relations avec Servier, la DPM et le ministère de la Santé.
SAIPH produit des médicaments sous licence du laboratoire Servier. Quatre médicaments plus exactement. Un contrat définissant les conditions de ce partenariat a été signé par les deux parties. Les produits de SAIPH nécessitent également une autorisation du ministère. La loi tunisienne oblige le ministre à signer ladite autorisation. Elle dure cinq ans (renouvelables). Entre le ministère, la DPM et Servier, il n’y a aucun lien. Le seul qui existe, est celui qui lie Servier à SAIPH, qui définit les procédures à suivre en cas de désaccord ou de litiges. Aucun texte dans le contrat ne stipule le recours à la DPM ou au ministère de la Santé en cas de litiges.
Ces deux dernières ne peuvent retirer les autorisations accordées à SAIPH qu’en cas de dépassement ou lorsque le médicament en question a été classé dangereux pour la santé.

Le laboratoire Servier a publié un communiqué dans lequel il a précisé que SAIPH n’a pas respecté ses engagements. Qu’avez-vous à répondre à cela ?
Nous souhaitons que la DPM et le ministère de la Santé entendent notre réponse. Les litiges existent partout. Il y a eu même des malentendus entre SAIPH et Servier il y a 13 ans. Ce dernier a transféré ses licences vers d’autres entreprises, légalement. Par la suite, le laboratoire français est revenu vers nous. Les litiges sont partout. Leur résolution doit reposer sur ce qui est stipulé par le contrat signé par les deux parties.
Je ne veux pas commenter les affirmations de Servier que vous avez évoquées, mais il faut souligner qu’elles contiennent des contre-vérités. Après la Révolution, une pénurie de médicaments n’a pas seulement touché les produits Servier sur le marché tunisien. Le phénomène a affecté 40% des médicaments disponibles en Tunisie. Par conséquent, les produits médicaux ont été importés pour combler le manque. Les autres entreprises ont suivi la même démarche durant cette période critique.
Ensuite, en mai 2014, nous avons pu trouver un terrain d’entente avec Servier qui a avoué avoir causé des pertes pour SAIPH à travers la hausse des prix des matières premières. Les prix ont donc été revus à la baisse de 25%.Avant cette date, SAIPH vendait à perte, mais c’était pour l’intérêt du citoyen. Par la suite donc, elle a été indemnisée. Pas seulement : l’entreprise a obtenu une licence pour fabriquer un autre médicament Servier. Ce dossier a été présenté, il y a deux ans, à la DPM qui était censée donner son autorisation à SAIPH. Chose qui n’a toujours pas été faite.

Quelle était la réaction du ministère de la Santé et de l’autorité de Tutelle par rapport à cette affaire ?
Le tribunal en charge de l’affaire était partial : écoutant une partie et ignorant l’autre. L’autorité de Tutelle a donc décidé de livrer un verdict favorable à la partie écoutée, de manière illégale, contraire aux accords en vigueur à l’échelle internationale. Lorsque des dossiers de médicaments, déjà fabriqués par SAIPH, sont présentés par d’autres fabricants, cela est considéré comme un dépassement. On ne peut autoriser la mise en circulation d’un médicament déjà commercialisé sur le marché. Un produit ne peut être produit par deux fabricants sous la même licence. Un seul fabricant doit être détenteur de la licence. Cela permet de déterminer les responsabilités et de simplifier la traçabilité. Aucun Etat ne permet à deux entreprises de fabriquer le même médicament sous la même licence.
Le fait d’autoriser un laboratoire étranger à vendre la même licence à deux fabricants locaux constitue une provocation. On risque d’appliquer la loi du « qui paye le plus pour que je lui accorde la licence ».
Suite à ces dépassements, nous avons sollicité le ministère de la Santé pour lui expliquer que la procédure était contraire au guide d’enregistrement en vigueur en Tunisie. « Lorsqu’un laboratoire étranger souhaite mettre fin à un contrat, il effectue un transfert de licences vers un autre fabricant, après l’obtention de l’accord de son ancien partenaire ». Il ne s’agit en aucun cas d’accorder de nouvelles licences. La procédure est valable dans tous les pays.
Or, ce qui est frappant, c’est que le guide d’enregistrement, qui nous a servi de référence, a été modifié juste après.

Comment expliquer ce fait ?
Après sa modification, le guide d’enregistrement s’est transformé en une menace pesant sur l’industrie pharmaceutique. On ne doit pas accorder autant de prérogatives à un laboratoire étranger, lui permettant de retirer, de manière irresponsable, des licences auprès des fabricants locaux. L’industrie pharmaceutique est ainsi exposée à de grandes menaces : pas seulement SAIPH, mais toutes les autres entreprises. Ces dernières ne disposeront plus de garanties quant à la durée du contrat signé avec les laboratoires étrangers.
Ce qui s’est passé peut même représenter un danger pour la sécurité sanitaire. De fait, cela ne fera qu’affaiblir la production locale de médicaments. C’est cette même production locale qui a permis de faire baisser les prix des produits médicaux. Si les fabricants locaux n’existaient pas, les laboratoires internationaux n’auraient plus à diminuer leur prix. Grâce à eux, le bénéfice est double. Tout d’abord, c’est une garantie de la sécurité médicale en Tunisie : disponibilité de médicaments accessibles en termes de prix. C’est aussi une manière d’apporter de la devise à la Tunisie. Sans compter les emplois créés. La qualité de nos produits est comparable à celles des laboratoires étrangers et nous en sommes fiers. Nous projetons même d’investir à l’étranger.
En résumé, le guide d’enregistrement constitue une menace pour ces fabricants locaux de médicaments.

Pensez-vous que ces modifications dans le guide d’enregistrement traduisent une certaine hostilité ?
Ce qui s’est passé est une erreur. Nous n’accusons personne, mais nous avons fait valoir que c’était contraire aux règles, que ce soit en Tunisie ou ailleurs. Nous avons été choqués, en somme : au lieu de s’en servir pour rectifier le tir, le guide d’enregistrement a été modifié.

Ces problématiques risquent-elles d’affecter la confiance que vous accordez au marché tunisien, notamment sur le plan de l’investissement ?
L’investissement est régi par plusieurs facteurs qu’il faut étudier, à savoir la stabilité du pays, le cadre juridique et le concept de l’Etat de droit. Il est vital de pouvoir collaborer avec des institutions et non des personnes. De notre côté, nous sommes fiers d’investir en Tunisie. SAIPH existe depuis 25 ans. Ses quatre usines couvrent une surface de plus de 20.000 m². La Tunisie a énormément contribué dans l’essor de l’industrie pharmaceutique dans le monde arabe. Elle abrite sur son sol de nombreuses compétences. Tant de facteurs qui devraient inciter à investir. Seulement, il ne faut pas céder aux pressions des laboratoires étrangers. Cela ne fera qu’affaiblir la volonté d’investir dans le pays. Nous croyons encore en la Tunisie. Nous croyons aussi en ce que le nouveau gouvernement arrivera à bien gérer les affaires auxquelles il va faire face. SAIPH veut devenir un poids considérable en Tunisie et en Afrique du Nord.
Nous n’avons jamais formulé de réclamations particulières : les nôtres s’inscrivent dans le cadre de la loi. Nous ne faisons que réclamer notre dû. Il faut préserver la sécurité médicale, car en cas de crise, on risque de plonger dans l’instabilité.

L’annonce de l’augmentation du capital de SAIPH traduit-elle l’espoir que vous placez encore en la Tunisie ?
Nous tenons à SAIPH et à tous ceux qui l’ont soutenue. Nous tenons aux 600 employés que nous avons engagés. Dernièrement, nous avons injecté 27 millions de dinars pour augmenter le capital de la société. Sur l’année, nous avons atteint les 51 millions de dinars d’augmentation de capital. Sans compter les 30 millions de dinars investis pour agrandir nos sites, dans l’objectif d’augmenter notre capacité de production.

Que doit faire l’Etat pour permettre à la Tunisie d’exceller dans le domaine pharmaceutique ?
Il est vital de respecter les lois et les règles régissant l’industrie pharmaceutique. C’est la DPM qui régule le secteur aujourd’hui. Celle-ci doit respecter lesdites lois et réglementations. Les compétences, quant à elles, existent.

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