Par Hajer Ajroudi
Comment les trois candidats en lice ont-ils forgé leurs traits ?
Sur vingt-six candidats à la présidentielle trois semblent avoir le plus de chance d’arriver au second tour. Il s’agit de MM. Beji Caid Essebsi (Nida Tounes), Moncef Marzouki (CPR) et Hamma Hammami (Front populaire.)
Ce n’est pas par hasard que ces trois candidats sont en lice. Ils sont soutenus par de vieux partis ou des tendances politiques qui sont rôdés aux batailles de terrain : le Destour, parti libérateur, la gauche, les syndicalistes, les nationalistes arabes et les islamistes. Il s’agit bel et bien d’une bataille idéologique et historique. Nos trois candidats ont aussi pour point commun d’avoir pioché dans le vivier de l’imaginaire collectif du Tunisien moyen qui constitue la majorité de la population tunisienne. Imaginaire collectif du passé, (l’épopée de l’Indépendance) du présent (la Révolution) et du futur (les aspirations.)
En forçant un peu le trait, on peut dire que le Tunisien moyen est politiquement bourguibiste, culturellement musulman et arabe et que socialement il est khobzizte (soit le parti du pain), il a aussi une mentalité d’assisté que les candidats désignent par l’euphémisme «socialisme». Le Tunisien moyen n’aime pas l’aventure et l’instabilité. C’est un bon vivant qui aime se lover dans le lit douillet de la certitude.
Beji Caid Essebsi a ainsi fait main basse sur le terroir bourguibien. La stabilité, traduite par la continuité que l’on retrouve sur son fanion électoral représenté par les couleurs tunisiennes classiques qui se réfèrent au parti Destour et à la lutte contre l’occupant ; et l’expression presque figée «vive la Tunisie» qui rappelle le slogan tant scandé «vive Bourguiba». Cette sémantique et cette sémiotique ne sont pas usurpées par Béji. Elles appartiennent bel et bien à sa propre histoire. C’est pour cela qu’il est crédible contrairement à certains candidats qui se sont affublés de ces atours en guise de déguisement qui n’a pas trompé les fans de Bourguiba. BCE possède un autre atout qui est la similitude physique avec Bourguiba : âge, calvitie, couleur des yeux, accentuée par le même type de lunettes, l’élégance, la prestance et le charisme, expressions veillottes comme celle «je ne partage pas le pouvoir» et expressions de notre bonne vieille religion. C’est rassurant pour une certaine frange de la population qui ne supporte plus la tornade qui lui donne le vertige depuis 2011.
Marzouki a, pour sa part, choisi de puiser dans le tiroir culturel : l’islam et l’arabité. Son slogan électoral, «nous gagnerons ou nous gagnerons», est certes éculé et rappelle les slogans baathistes des années 60 et 70, mais il emporte encore l’adhésion d’une frange importante de la population qui a la nostalgie des moments forts imaginés de «la nation arabe». Ajoutez à cela le clin d’œil de Marzouki aux islamistes qui le lui rendent bien d’ailleurs et vous comprendrez le flot de soutiens hétéroclites dont il bénéficie. Et si Béji promet de constituer un rempart contre l’islamisme politique, Marzouki promet de constituer un rempart contre les régimes qui veulent la peau des islamistes. Marzouki n’aime pas la cravate et ça lui va politiquement. L’absence de cette corde occidentale autour du cou rassure certains «occidentalophobes.»
Hamma Hammami, le plus jeune et le plus beau des trois candidats avait une tare. Il était jusqu’à peu de temps marxiste-léniniste pur et dur. Mais marketing politique oblige, il a choisi de laisser pour un moment, ou peut-être pour toujours, les oripeaux qui rappellent trop l’image du «bolchévique le couteau entre les dents». Désormais Hamma porte cravate, costume et lunettes de belle facture. Il met l’accent sur son accent du centre-ouest, région ouvrière et syndicaliste. Il parle de zawali et non plus de prolétaire. On est donc loin de la défunte froide et lointaine URSS et on est ancré dans le bled progressiste et authentique puisque Hamma n’est pas athée comme tout marxiste typique, mais respectueux de sa culture religieuse, tout en se revendiquant du socialisme, euphémisme pour assistance.
La boucle du Tunisien moyen est ainsi bouclée. Reste à découvrir quel est le tiroir le plus peuplé ou populeux de cette frange sociale. Nous le saurons sous peu.