Saloua Charfi, universitaire et journaliste, vient d’être élue, à l’unanimité par les membres du conseil scientifique, au poste de directrice de l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information. Auteure de nombreuses publications : « Les islamistes et la démocratie», «Femme, islam et violence», «Les droits de l’Homme dans la presse tunisienne»… Elle s’est confiée à Réalités online pour dévoiler son projet à la tête de l’IPSI.
Pouvez-vous nous relater l’Etat des lieux de l’IPSI ?
La situation n’est pas très réjouissante et ce n’est pas la faute de mes prédécesseurs. Ce qui se passe à l’IPSI reflète la situation du pays. Une absence totale de recherche scientifique digne de ce nom. Le problème réside au niveau des choix politiques relatifs au domaine des médias.
Je m’explique, les inputs déterminent les outputs. Depuis quelques années l’Etat a choisi un portrait particulier du journaliste. Ils veulent un journaliste obéissant, pas trop qualifié et apolitique. Pour réussir ce choix, on ne nous envoyait que les bacheliers les moins performants. Même avec des bons professeurs vous n’arrivez pas à faire grand-chose.
La majorité des étudiants ont une faible culture générale, un esprit critique limité et ne maitrise aucune langue, ni l’arabe, ni le français ou l’anglais… Le choix politique a fini par déterminer les caractéristiques du journaliste ainsi que celui de l’enseignant du journaliste. Car celui-ci devient à son tour un enseignant. Il s’agit bien d’un cercle vicieux.
Quel sera votre cheval de bataille à la tête de l’IPSI ?
Depuis deux ans on a décidé de procéder à un concours d’entrée pour choisir les meilleurs bacheliers. Quitte à prendre le minimum d’étudiants et avoir 50 bons journalistes que d’avoir 100 étudiants qui peuvent nuire au métier. J’espère que le ministère va accepter notre stratégie et éviter d’entrer dans un rapport de force.
Le second point qui me tient à cœur est la recherche scientifique. Même sur google on ne trouvera aucune étude. L’explication demeure dans le fait que les enseignants n’ont pas assez de temps à consacrer à la recherche. Les bonnes recherches ne sont réalisées que lors des passages de grade. Je vais devoir placer une demande auprès du ministère afin d’accorder aux professeurs un congé culturel, consacré à la recherche. Cela peut s’appliquer sur les autres établissements.
Si j’arrive à avoir des étudiants d’un bon niveau et obtenir des résultats conséquents de la recherche scientifique je dirai que j’ai réussi mon mandat.
Comment comptez-vous améliorer le niveau des étudiants de l’IPSI ?
Certainement nous n’allons pas les laisser à la dérive. Je vais m’appliquer avec mes collègues à la réflexion et l’analyse de la situation pour définir un programme bien déterminé afin d’améliorer le niveau des étudiants. Tout est permis à condition de trouver l’appui auprès des collègues, ce qui est acquis, mais surtout auprès du ministère.
Que feriez-vous pour améliorer l’équipement pédagogique nécessaire à la formation des futurs journalistes ?
C’est le problème des pays en développement ou en transition démocratique. Les solutions existent mais cela dépend de la situation générale du pays. Nous avons des projets de coopération ce qui nous permet d’avoir des dons en équipements mais ça ne résout pas le problème radicalement. C’est à l’Etat de fournir les moyens.
Nos politiciens doivent comprendre que la formation d’un journaliste est aussi importante que la formation d’un médecin. Un mauvais médecin peut tuer et un mauvais journaliste peut parfois même faire plus.
Propos recueillis par Meher Hajbi