Santé numérique : un rempart contre les inégalités en Tunisie ?

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C’est en grandes pompes que les travaux de la seconde session du Forum International de Réalités sur la santé numérique ont été ouverts à Hammamet, vendredi 3 février 2017, en présence de plusieurs invités de marque. Des responsables nationaux, internationaux et des professionnels de la santé ont participé à un riche débat sur le rôle de la santé numérique dans la garantie d’un accès équitable à la santé. La première journée a été marquée par la participation de Samira Meraï, ministre de la Santé.

Suite au succès de la première édition, le Forum International de Réalités sur la Santé Numérique revient en force pour une seconde édition abordant, une fois encore le thème de  la santé numérique, communément appelée l’e-santé. Un secteur prometteur, aux retombées économiques, sanitaires et sociales considérables, mais qui se heurte à de nombreux obstacles, soulevés par une assistance composée de professionnels de la santé qui déplorent, d’une manière générale, le manque de volontarisme politique.

Un secteur prometteur sur lequel il faut miser
« La Tunisie est une destination santé internationale par excellence », a déclaré Taïeb Zahar, président du Forum International de Réalités sur la Santé Numérique, pour ouvrir les travaux. L’objectif d’un tel forum est de consolider le rôle de la société civile tunisienne en matière de télémédecine et d’e-santé. « À nous de formater la santé numérique pour en faire bon usage en matière d’éthique et du respect des droits de l’Homme », a-t-il encore ajouté.
Un point de vue partagé par Aziz El Matri, Président de la Société Tunisienne de Télémédecine et e-santé, qui, de son côté, a affirmé que les nouvelles technologies permettront d’améliorer l’accès à la santé pour tous, notamment dans les zones défavorisées. « Nous plaçons nos espoirs dans ce gouvernement », a-t-il dit. Néanmoins, les politiques nationales ont été réactionnaires depuis l’indépendance, en 1956, selon Hatem Ben Salem, Directeur Général de l’Institut Tunisien des Etudes Stratégiques. « Nous avons, jusqu’à présent, joué le rôle de pompiers de service », a-t-il regretté, déplorant les politiques de réaction qui manquent de vision à moyen et long terme. Il a souligné, à cet effet, que la santé numérique constitue un secteur sur lequel il faut miser. « Porteur et prometteur », selon ses dires. « Le secteur de la santé tunisien est parfaitement compatible avec les nouvelles technologies, et notre seule possibilité d’aller de l’avant, c’est de miser sur l’innovation », a-t-il encore ajouté.

L’engagement de Tunisie Telecom et Orange Tunisie
Acteurs de poids dans le domaine technologique, Tunisie Telecom, représentée par Abdelaziz Torkhani, directeur central des stratégies, et Orange Tunisie, représentée par Hatem Masmoudi, directeur général-adjoint, étaient également présents lors de la conférence d’ouverture du Forum International de Réalités sur la santé numérique. « En tant qu’opérateur national, Tunisie Telecom se positionne comme un acteur essentiel de la santé numérique », a déclaré le directeur central des stratégies de l’opérateur national, soulignant que ce dernier dispose d’un DATA center permettant d’héberger des systèmes d’applications, certifiés ISO 27001, sans compter le Cloud – nuage de données -, destiné aux startups. « Nous voulons mettre les technologies au service de la santé numérique », a-t-il dit.
Quant à Orange Tunisie, Hatem Masmoudi a affirmé que l’opérateur accorde une grande importance au Forum International de Réalités sur la santé numérique. « Orange Tunisie a toujours œuvré pour que les nouvelles technologies soient au service de la société. Elles doivent accélérer le progrès, notamment dans le domaine de la santé », a-t-il souligné, insistant, par la suite, sur la nécessité de l’existence d’un cadre juridique et réglementaire propice au développement de ces technologies dans la santé.

L’e-santé, un moyen de lutter contre les inégalités
Par ailleurs, la ministre de la Santé, Samira Meraï, a félicité l’organisation du Forum International de Réalités sur la santé numérique. « Le Forum s’inscrit dans le cadre du dialogue engagé par le ministère pour améliorer la santé publique », a-t-elle déclaré. Les nouvelles technologies, selon la ministre, représentent un moyen efficace de lutter contre les inégalités en matière de santé. « Plus qu’un choix stratégique, miser sur la santé numérique est une obligation », a-t-elle reconnu, rappelant l’importance d’instaurer la bonne gouvernance pour réaliser les objectifs escomptés.
« Modernisation », c’est donc le mot d’ordre de l’intervention de Samira Meraï, qui a fait part des grandes priorités du ministère de la Santé. Remise à niveau des infrastructures, numérisation des structures de santé afin d’assurer la connexion entre les hôpitaux, développement de la télémédecine, généralisation du système d’archivage pour un meilleur accès aux soins pour les patients, informatisation des dossiers médicaux : tels sont, en somme, les priorités du ministère de la santé, énoncés par Samira Meraï. « Nous ne pourrons concrétiser ces priorités qu’à travers une collaboration étroite entre tous les acteurs de la santé », a-t-elle assuré.

Digitaliser la santé
Le Forum International de Réalités sur la santé numérique a donc été le lieu de rencontre entre les décideurs et les professionnels de la santé. La deuxième séance, consacrée aux interventions de professionnels venus partager leurs expériences, a constitué l’occasion de rappeler l’importance de la digitalisation de la santé. Une idée soutenue par Ridha Sarraj, Pharmacien officinal, qui n’a eu de cesse de rappeler qu’un patient, aujourd’hui, est plus que jamais connecté et bien informé en matière de santé. D’où l’importance de l’e-santé, à travers laquelle il sera possible de développer l’e-pharmacie, à titre d’exemple, et de personnaliser les services médicaux.
Slim Ben Salah, responsable au sein du Conseil National de l’Ordre des Médecins de Tunisie, a évoqué les principaux points forts de la télémédecine, notamment sa capacité à combler les distances géographiques et à instaurer un moyen de communication efficace entre praticiens et patients.
L’expérience algérienne en matière de santé numérique a, d’autre part, également été évoquée par Souhil Tliba, universitaire à la faculté de médecine de Bejaïja en Algérie. Malgré le vaste territoire et le poids démographique considérable du pays, l’e-santé a pu réduire les inégalités en matière de santé. De fait, 80% du territoire est désertique. Pour pouvoir couvrir les habitants qui y vivent en matière de santé, la télémédecine a constitué un rempart efficace. Souhil Tliba a, par la suite, salué l’engagement politique du gouvernement algérien qui a misé sur l’e-santé, cristallisé par la création de l’Agence Nationale algérienne de Documentation de la Santé.
Franck Simon Blehiri, responsable au sein du ministère ivoirien de la Santé, Ousmane Ly, du ministère malien de la santé ou encore Mbayange Ndiaye Niang, du ministère sénégalais de la santé : tous ont souligné le rôle fondamental joué par l’e-santé dans la réduction des inégalités d’accès aux soins dans leurs pays respectifs.

La sécurité des données personnelles : une souveraineté nationale
Mais malgré ce beau portrait dressé pour le domaine, de nombreuses questions doivent être posées, à commencer par la sécurité des données personnelles, évoquée par le juriste Chawki Gueddes, responsable au sein de l’Instance Nationale de protection des données personnelles.
Les données de santé sont très précieuses, selon lui et il est impératif de les protéger. « La loi de 2014 qui interdit le traitement des données de santé. Les médecins sont exempts de cette interdiction. Or, pour pouvoir le faire, une autorisation est requise de la part du patient lui-même, mais aussi de la part de l’Instance. De 2008 à 2015, avant mon arrivée à l’Instance, aucune demande d’autorisation n’a été reçue. Autrement dit, nous n’avons aucune culture de la protection des données », a-t-il déploré.
Le juriste s’est, par ailleurs, interrogé sur le niveau de sécurité des DATA center, dans lesquels sont stockés les informations personnelles sur les patients. « Le risque d’intrusion est réel et tout piratage peut avoir des conséquences grave sur la santé du patient. Il est, par conséquent, vital d’héberger les DATA center en Tunisie, car cela relève de la souveraineté nationale. En aucun cas, on ne devrait laisser intervenir une partie étrangère », a expliqué Chawki Gueddes.

Pas de santé numérique sans les pouvoirs publics
D’autres problématiques ont été soulevées par les intervenants, à l’instar de la dimension éthique de l’introduction des nouvelles technologies dans la santé. Franck Lievens, secrétaire général de la Société International de Télémédecine, s’est interrogé sur la question du remplacement de l’homme par la machine. « Nous devons être maître des nouvelles technologies et les maîtriser », a-t-il affirmé, évoquant la télémédecine et l’emploi de robots pour les opérations chirurgicales.
Sur le plan économique, il est clair que l’e-santé offre de nombreuses opportunités et des solutions compétitives pour la réduction des coûts des soins. Néanmoins, certains professionnels ont déploré le manque de pérennité des projets de santé numérique. « Miser sur l’investissement est insuffisant, car il faut assurer le financement du fonctionnement du projet en question », a déclaré, dans ce cadre, Pierre Simon, ancien président de l’Association Française de Télémédecine. Et ce phénomène, selon lui, traduit le manque de volontarisme politique.« Tout est question d’intentions. Il faut trouver une manière de conjuguer l’intérêt de trois acteurs : le politique, l’opérateur économique et le médecin », a, de son côté, renchérit Souhil Tliba de la Faculté de médecine de Bejaïa en Algérie.
Comme nous l’avions vu avec l’exemple des pays de l’Afrique subsaharienne, l’e-santé a su trouver sa place dans le secteur de la santé et les c’est la population qui y gagne, malgré le peu de moyens matériels dont disposent des pays comme le Mali ou le Sénégal. Mais alors, pourquoi pas en Tunisie ? La réponse a été évoquée par les intervenants, en cette première journée du Forum International de Réalités sur la santé publique : l’immobilisme des pouvoirs publics qui n’ont pas encore réalisé les opportunités de l’e-santé. L’intervention de Samira Meraï, ministre de la santé, constitue un signal positif, mais encore faut-il que les paroles soient transformées en action.

MFK

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