La consommation tabagique est soit active ou passive. Le tabagisme « actif », quand le fumeur consomme du tabac volontairement. Le tabagisme « passif », quand la personne ne fume pas, mais elle subit, de manière consciente ou inconsciente, tous les méfaits d’un environnement enfumé. Mais où classer les personnes dont le travail est « Fumeur ». Je veux parler des serveurs dans les cafés. Les cafés, toutes catégories confondues. La fumée tabagique ne fait pas la différence!
TABAGISME MORBIDITÉ ET MORTALITÉ
La consommation du tabac, qu’elle soit active ou passive est dangereuse. Dans le monde, le tabac fait plus de huit millions de décès par an, dont un peu moins de 2 millions de non-fumeurs. En Tunisie, près de 20% des décès annuels sont en rapport avec une pathologie directement liée à la consommation tabagique. Un accroissement inquiétant des pathologies graves, à l’instar des maladies cardiovasculaires, cancéreuses et autres. Une mortalité prématurée. Environ 49% des décès annuels en Tunisie se situent dans la tranche d’âges des 30-70 ans. En plus de l’handicap, l’absentéisme et leurs retentissements socio-économique et psychologique.
DOCTEUR, AIDEZ-MOI
La phrase qui revient souvent: « Docteur aidez-moi à arrêter de fumer, on dit que vous êtes la meilleure! Vous pouvez! ». À ce stade de ma carrière, cette reconnaissance honore et rassure mes efforts et ma persévérance. Mais devant certaines situations, l’honneur se dissipe, la volonté croise les bras et c’est la responsabilité qui prends les devants. Pas plus-tard que vendredi dernier.
« Oui, je peux! Et vous? » « Moi! Je ne veux plus fumer Docteur. Mes enfants ont très peur quand je tousse beaucoup! ». Je ne saurais dire où je puise mes mots et comment je compose mes arguments. Honnêtement, scientifiquement et sans fausses notes. Je refuse de décevoir ce regard qui patiente et espère. Et pour un moment, ce moment précis, je me force à être « la meilleure ». En puisant dans le plus Fort de moi-même, l’Instinct et le Dépassement!
SERVEUR DANS UN CAFÉ
Un serveur dans un café est un travail fatigant certes, mais sans danger apparent. Un gagne-pain respectable, au-delà de la fatigue physique, qui semble « gérable! ». Un serveur de café travaille plus de dix heures d’affilée. Il sert les commandes des clients, encaisse l’argent, veille à la bonne tenue du local. Mais en plus, et dans un nombre important de cafés tunisiens, il a aussi pour fonction, d’allumer la chicha (narguilé) des clients selon les commandes: « parfois plus de 14 dans une matinée, Docteur! ». Il ne se plaint pas, il réponds seulement à mes questions.
SOLUTIONS POSSIBLES
Je reçois à ma consultation d’aide au sevrage tabagique, à l’hôpital, entre autres profils de personnes tabagiques, cette catégorie professionnelle, qui à mon humble avis mérite une réflexion. A quelques nuances près, la plainte est la même et la requête est identique. Arrêter de fumer, avoir une meilleure santé, faire des économies. Mais quand s’ajoute, conserver son « job »! Et quand la personne vous dit: « Je ne sais pas faire autre chose Docteur et j’ai une famille ». C’est une situation très délicate qui me surprend et me chagrine, à chaque fois qu’elle surgit aux hasards des dossiers médicaux et des rendez-vous qu’on me soumet. Au cas par cas, j’essaye de naviguer à contre courant. J’essaye de trouver une alternative, une solution, une conduite à tenir et un programme de sevrage tabagique médicalisé, qui puisse soulager le moral et la santé de mon patient. En posant les bonnes questions et surtout en prenant le temps d’écouter et de bien déchiffrer la réponse.
En Tunisie, Il reste beaucoup à faire en matière de tabagisme dans les lieux publics. Et le café est un lieu public, un endroit convivial, de rencontres, de discussions, de défoulement après une journée de travail. Et si on pensait à haute voix à ces jeunes et moins jeunes. Ces serveurs souriants et accueillants qui passent de longues heures à pomper dans la braise, pour répondre à la commande de certains clients fumeurs, eux-mêmes soumis à la commande d’une addiction tabagique qui s’impose certes, mais que l’on peut Prévenir, … sinon Guérir.
Et comme dirait une certaine sagesse: « A l’impossible … nul n’est tenu! »
Donia GHARBI-KILANI
Médecin Tabacologue