« Nous ne sommes pas contre l’Open Sky »
Depuis sa nomination en 2015 à la tête de Tunisair, Sarra Rejeb fait parler d’elle et fait couler beaucoup d’encre. Son nom a été, semble-t-il, récemment proposé au chef du gouvernement Youssef Chahed pour diriger le ministère du transport. La PDG de Tunisair poursuit pour sa mission sans regarder derrière elle. L’avenir de la Compagnie nationale se joue à l’aune des réformes et plan de sauvetage à engager.
Dans une interview accordée à Réalités Online, Sarra Rejeb revient sur plusieurs questions dont la situation financière de Tunisair, le plan de redressement, le programme d’assainissement, la vérité sur son différend avec Anis Ghedira, ministre du transport reconduit à propos du vol inaugural Tunis-Montréal, l’Open Sky, les nouveaux projets du transporteur national…Interview.
Quand est ce que le plan de redressement élaboré par la compagnie sera-t-il mis en œuvre ?
3 mois après mon arrivée à Tunisair, au mois de juillet 2015, nous avons élaboré ensemble un plan de redressement et de restructuration de l’entreprise. Ce plan qui a été transmis à l’ancien ministre du transport Mahmoud Ben Romdhane, a été étudié par le ministère. Ce dernier a exigé qu’on rectifie certains point et qu’on apporte des ajustements sur le plan dont notamment, la nécessité de faire participer les différents syndicats de l’Entreprise dans l’élaboration de ce plan. Au mois de Septembre 2015, nous avons donc retransmis le plan aux syndicats de Tunisair, et à la fédération du transport. Toutefois, jusqu’à présent, nous n’avons pas eu un retour de la part des syndicats.
Ce même plan a-t-il été approuvé par l’actuel ministre du Transport Anis Ghedira ?
Nous avons tenu à transmettre le plan de redressement à Anis Ghedira la veille de sa nomination à la tête du ministère du transport. Ce dernier, a décidé de créer une commission spécialisée comptant des représentants du ministère du transport, des finances et de la présidence du gouvernement avant de faire passer le plan au gouvernement et afin de donner plus de chance d’aboutissement à ce plan. Réunie une seule fois, cette commission a fini par nous faire revenir à la case départ en exigeant la réalisation d’une étude et d’un nouveau diagnostic. Or, à ce moment là nous avons été obligés de procéder à des changements concrets. Nous n’avons pas vraiment besoin d’un nouveau diagnostic et d’une nouvelle étude. Tout le monde connaissait bien la situation de Tunisair et il était grand temps d’avancer.
Comment ?
Nous n’allons certainement pas rester les bras croisés. Nous avons décidé de réaliser les objectifs et les engagements que nous avons fixé dans le plan de redressement et ce, sans attendre l’approbation du gouvernement. Nous avons donc créé 4 commissions spécialisées pour procéder aux ajustements nécessaires. Ces commissions sont la commission de compression de coûts (une compression évaluée à environ 30 million de dinars), la commission d’amélioration de la qualité de la flotte et du personnel, la commission d’amélioration de la gouvernance au sein de Tunisair et la commission de la qualité des services, (ponctualité, catering…).
Quels sont les résultats ? La situation s’est elle réellement améliorée ?
Nous avons certainement enregistré des améliorations au niveau de la qualité des services. A titre d’exemple, au mois de février dernier, nous avons repris les services de Catering. Ce dernier est très apprécié par la clientèle. Nous avons même eu des demandes de la part de certaines compagnies aériennes internationales dont notamment Egyptair. Une équipe de Qatar Airways est venue récemment pour auditer Tunisie Catering en vue de commencer à prester ses services.
Que pensez vous des réserves émises par rapport à la qualité des services à bord des avions de Tunisair et les problèmes tels quel les retards dans les vols et de la spoliation des bagages des passagers ?
Effectivement, nous avons enregistré des améliorations, mais il reste certainement beaucoup de travail à faire. La question de la ponctualité de nos vols est aujourd’hui prioritaire. Bien que toutes les compagnies du monde enregistrent des retards, nous sommes préoccupés par cette question. Nous avons donc mis en place une équipe chargée d’analyser régulièrement les retards enregistrés pour connaitre les raisons qui se cachent derrière ce problème. Il s’est avéré que ces retards sont dus généralement à plusieurs raisons dont notamment l’encombrement au niveau des formalités de police et le manque de personnel dans ces services.
En ce qui concerne la question du vol des bagages, ce phénomène ne représente aujourd’hui que 0,1%. Et nous avons mis en place plusieurs mesures pour faire face à ce problème qui porte énormément atteinte à l’image de la compagnie. A titre d’exemple, nous avons installé des caméras de surveillance et tous les responsables ont été changés. Les fautifs ont été quant a eux sanctionnés.
D’après vous, les critiques dont fait l’objet Tunisair, sont-ils objectifs ?
Nous acceptons ouvertement les critiques rationnelles à l’encontre de Tunisair. Et nous essayons à chaque fois de remédier à chaque problème posé. Mais je considère que la compagnie fait également l’objet d’une certaine campagne de dénigrement. Cette dernière se manifeste à chaque fois à travers la diffusion d’anciennes vidéos et informations datant de 2012 ou de 2013. Ce comportement ne pourra être que nocif à l’image de Tunisair.
Quoi de neuf dans le programme d’assainissement ?
Le programme d’assainissement de la compagnie concerne 1000 employés et nécessite la mobilisation de 130 MD (Indemnités et pensions de retraite). Tunisair ne dispose pas actuellement des ressources financières suffisantes pour procéder à cette opération. L’Etat doit débloquer la somme de 52 millions de dinars pour pouvoir procéder au licenciement de 400 employés
D’un autre coté, il faut signaler que le licenciement ne sera fait que sur demande de l’employé et après l’acceptation de son supérieur hiérarchique. Cette opération ne doit pas toucher aux compétences de Tunisair d’autant plus que la société connait actuellement un manque d’effectif dans certaines spécialités dont notamment les techniciens d’avions et les pilotes.
Sur le plan financier, Tunisair a-t-elle retrouvé son équilibre ?
Tunisair publie régulièrement des chiffres de trafic. Notre entreprise connait des améliorations ces derniers mois et ce en dépit de la baisse de 11% du trafic aérien dans les aéroports tunisiens. Heureusement pour nous, nous avons augmenté notre trafic général de 7,4%. En ce qui concerne le transport régulier, il a augmenté de 9% par rapport à 2015 et nous considérons cela comme une réussite dans cette conjoncture.
Êtes-vous toujours contre l’Open Sky ?
Nous n’avons jamais été contre l’Open Sky. Mais il faut dire qu’il est assez important de trouver les solutions et les mécanismes adéquats pour protéger le transporteur national contre une concurrence sauvage notamment dans cette conjoncture assez difficile.
La vente des deux avions de Ben Ali pourrait générer des ressources financières conséquentes à Tunisair. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Par décision du ministère, il a été décidé de ne pas vendre le Boeing B737-700. Ce dernier a été mis à la disposition des 3 présidents (République, gouvernement, ARP) dans le cadre d’une convention. Toutefois, seule la présidence de la République a payé les frais d’utilisation de cet appareil jusqu’à présent. En ce qui concerne l’Airbus A340- 500, qui est actuellement stationné à l’Aéroport de Bordeaux- Mérignac (France), il y a toujours des clients potentiels dont notamment des saoudiens qui sont intéressés par l’achat de cet avion dont la valeur s’élève actuellement à 95 Million de dollars.
La fermeture de l’espace aérien entre la Tunisie et la Libye a-t-elle infecté l’équilibre financier de Tunisair ?
Cette décision a touché gravement à l’équilibre de Tunisair et ce sur tous les plans. Du jour au lendemain, nous avons perdu 300 milles clients. A un moment donné, le nombre des vols programmés par Tunisair vers la Libye a dépassé les 90 vols par semaine. La moyenne était de 60 vols par semaine. Et cette ligne était l’une des rares lignes qui couvrent parfaitement ses coûts. Malheureusement la décision de fermeture ou de réouverture de cette ligne ne revient pas à Tunisair.
J’ai reçu récemment un décret ministériel portant sur cette question. On a demandé à Tunisair, à l’issue d’un conseil ministériel, de donner son point de vue quant à l’éventuelle réouverture de cette ligne. Et nous considérons ce pas comme étant un très bon signe. Cette décision devrait être une priorité étant donné qu’elle représente une solution par excellence pour « sauver » Tunisair.
Face à la perte d’un assez important marché, Tunisair, a-t-elle pensé à s’ouvrir davantage sur le continent africain et à chercher de nouvelles destinations?
Dans le plan de redressement de Tunisiar, nous avons consacré une partie sur la nouvelle stratégie commerciale de la compagnie. Cette nouvelle stratégie consolide les marchés ordinaires mais cherche également à trouver d’autres horizons et à ouvrir d’autres lignes. Nous nous sommes dirigés essentiellement vers les pays de l’Afrique de l’Ouest étant donné que cette région représente un potentiel de trafic assez intéressant qui pourrait apporter des ressources importantes à Tunisair. Toutefois, il est à noter que la compagnie aérienne ne peut pas réussir parfaitement dans ces pays sans qu’elle soit accompagnée et soutenue par les banques et les agences d’assurance tunisiennes, comme c’est le cas pour tous les transporteurs tels que la RAM (Royal Air Maroc). A titre d’exemple, nous avons envisagé d’ouvrir une nouvelle ligne vers le Soudan au mois d’avril dernier. Toutefois, nous n’avons pas pu réaliser ce défi à cause de l’absence d’une convention entre les deux banques centrales tunisienne et soudanaise. En effet, dans ce cas là, nous ne pouvons pas rapatrier nos excédents de recettes sachant que Tunisair en tant qu’entreprise publique ne peut pas se permettre de rapatrier son argent en noir (espèces) à l’instar de certaines compagnies aériennes africaines. Il est grand temps que l’Etat envisage la mise en place de toute une stratégie de politique africaine pour s’ouvrir davantage notamment sur les pays de l’Afrique subsaharienne.
Tunisair avait inauguré au mois de juillet dernier une nouvelle ligne africaine reliant Tunis-à Niamey au Niger, cette ligne est-elle vraiment rentable?
Tunisair a gagné le défi en inaugurant cette nouvelle ligne qui représente un nouveau marché et une opportunité importante notamment pour le tourisme médical. Cette ligne, que nous avons lancée avec beaucoup de craintes, marche aujourd’hui à merveille. En effet, cette ligne représente 26% du marché africain. Au début, Tunisair a programmé 2 vols par semaines. Un mois après, on demande même l’augmentation des fréquences sur cette ligne.
Qu’en est-il de la Ligne Tunis Montréal ?
Tunisair est aujourd’hui très satisfaite de cette nouvelle ligne qui a généré des gains dés le vol inaugural. Quelques semaines après son lancement, cette ligne réalise déjà un taux d’occupation atteignant les 90% et nous considérons cela comme une vraie réussite.
Le lancement de cette ligne a coïncidé avec la haute saison, qu’en sera-t-il pendant la baisse saison ?
Franchement, nous avons des craintes par rapport à ça. Mais nous essayerons de ne pas chuter pendant la basse saison. Récemment nous avons entamé une série de négociations avec un tour opérateur canadien dont le propriétaire est un homme d’affaires tunisien. Nous cherchons à conclure un partenariat en vue de maintenir l’équilibre de cette ligne assez importante. Ce pas, aura des répercussions positives sur Tunisair pendant la basse saison, soit d’Octobre à Mars, ainsi que sur le tourisme tunisien en général.
Le vol inaugural de cette ligne est toujours objet de polémique. On dit que ce vol était derrière la perturbation de vos relations avec le ministre du Transport qui a ouvert une enquête à votre encontre pour gaspillage d’argent public. Qu’en pensez-vous ?
Je n’ai aucun conflit personnel avec le ministre du transport. J’entretiens avec lui de bonnes relations professionnelles. Anis Ghedira était au courant de tous les détails du vol inaugural de la ligne Tunis-Montréal. Et d’ailleurs, l’inauguration de chaque ligne doit être approuvée au préalable par le ministère du Transport. Le ministre a dû annulé sa participation à ce vol à la dernière minute étant donné qu’il avait des empêchements, d’autres cadres relevant du ministère ont pris part à ce vol. En ce qui concerne l’ouverture d’une enquête, cette information n’a aucun fondement. Aucune enquête n’a été ouverte à mon encontre. Nous avons tenu à clarifier les choses et nous avons rendu public tous les chiffres, en détails, sur les coûts précités et supportés par Tunisair pendant cet événement.
A un moment donné, votre nom a été proposé au Chef du gouvernement désigné Youssef Chahed pour succéder à Anis Ghedira dans son gouvernement, qu’en pensez-vous ?
C’est toujours valorisant d’entendre des gens penser à vous pour occuper de hauts postes de l’Etat. Cette nouvelle m’a fait certainement plaisir et j’aurais beaucoup aimé occuper un tel poste afin de rendre service à mon pays mais je savais dès le début que cela n’allait pas aboutir étant donné que le Chef du gouvernement subissait plusieurs pressions notamment de la part des partis qui voulaient qu’on leur accorde le plus grand nombre possible de portefeuilles ministériels. Etant indépendante, je n’avais pas le poids politique nécessaire qui pourrait me soutenir pour décrocher un tel poste.
Après cette proposition, vous ne comptez pas entamer une expérience politique ?
(En souriant) Peut être un jour, je ne sais pas encore.
Avec l’arrivée du nouveau gouvernement, on parle aujourd’hui de la nécessité d’envisager une réforme structurale dans certaines institutions publiques et on évoque également l’éventuelle privatisation de certaines firmes dont Tunisair. Quels sont les dessous de cette affaire ?
Aucun programme de privatisation de la compagnie n’est actuellement à l’ordre du jour. Nous avons récemment exigé une recapitalisation de Tunisair. Actuellement le capital de Tunisiair est estimé à 106 million de dinars. Cette somme ne permet même pas d’acquérir un seul avion. Ce chiffre représente une anomalie qui doit être réparée dans les plus brefs délais. Il est donc grand temps d’envisager une revalorisation du capital et de dresser un bilan réel de l’Entreprise et ce, en ayant recours soit à un apport financier de l’Etat soit à la conversion des dettes de l’OACA en capital.
Quel message au nouveau gouvernement et au ministre du transport dans cette conjoncture ?
Selon moi, quand il s’agit d’une situation exceptionnelle, on ne peut pas la remédier en ayant recours à des moyens habituels. Il faut mettre en place des moyens exceptionnels pour pouvoir surmonter la crise et ce, sur tous les plans, juridique, réglementaire etc. Il faut dire que les procédures entravent souvent les démarches de réformes dans les différentes entreprises tunisiennes. Il faut penser à élaborer un texte juridique d’une validité provisoire pour permettre de faciliter certaines procédures.
Tunisair n’envisage t-elle aujourd’hui de mettre en place une nouvelle stratégie de communication afin de se rapprocher davantage de sa clientèle et de la société en générale ?
Tunisair est aujourd’hui présente dans la plupart des événements culturels en tant que sponsor officiel. Le volet communicationnel et relationnel est très important pour l’entreprise et nous travaillons actuellement afin d’améliorer ce volet.
Tunisair a perdu récemment un élément très important qui est l’ancien chef de bureau de la communication Farouk Ben Zina, nous vous présentons nos sincères condoléances en cette triste et douloureuse circonstance.
Nous sommes très tristes d’avoir perdu un cadre aussi compétent et loyal comme Farouk Ben Zina. Franchement, c’est une grande perte pour la compagnie aujourd’hui.
Propos recueillis par Hajer Ben Hassen