Réussira-t-elle là où ses prédécesseurs ont échoué ? La nouvelle Cheffe du gouvernement porte le label de l’efficacité et de la célérité au ministère de l’Équipement qu’elle a mis sur les rails de la construction et de l’édification. Sa nomination à la Kasbah est une invite à donner la même secousse au premier ministère, cible des lobbys de la corruption. En aura-t-elle les moyens, la ténacité et la perspicacité nécessaires ?
C’est dans l’opacité, désormais habituelle, qu’est tombée la nouvelle du limogeage du Chef du gouvernement, Kamel Madouri, sept mois après sa nomination à la Kasbah. Pour tout (bref) bilan, le parachèvement du projet de recrutement définitif de dizaines de milliers d’enseignants suppléants, un dossier en souffrance depuis de nombreuses années, et l’examen du projet de réforme du Code du travail en vue de supprimer et d’interdire la sous-traitance et l’emploi temporaire précaire (CDD).
Officiellement, aucune explication n’a été donnée à cette décision présidentielle totalement inattendue, hormis de récentes rumeurs de tensions entre le président de la République et le Chef du gouvernement sans aucune précision sur les motifs de ces tensions. Ce qui laisse la voie libre aux supputations et aux fake news qui alimentent les réseaux sociaux et nourrissent, par ricochet, le climat de tension général. Une chose est sûre : la décision de limogeage traduit l’insatisfaction ou la déception du Président Kaïs Saïed, seul maître à bord et aux commandes de l’Etat. En quoi Kamel Madouri a-t-il failli ? Sihem Boughdiri Nemsia ? Ahmed Hachani ? Najla Bouden ? On ne saura rien sur les détails, que des allusions du chef de l’Etat lui-même dans sa déclaration prononcée lors de la réunion du Conseil de sécurité nationale (20 mars 2025) qui ne cache pas sa colère et sa déception : « Il est temps que chacun assume la responsabilité de ses actions et de ses choix, quel que soit son poste ». Des propos à connotation menaçante qui ont été suivis de l’annonce du limogeage du Chef du gouvernement Kamel Madouri. Il est clair que Kaïs Saïed met de plus en plus la pression sur son gouvernement et ses ministres pour les pousser à aller plus vite et à se surpasser afin de parvenir à réaliser ce qui a, toujours, relevé de l’impossible. C’est là une ambition légitime et louable, mais en a-t-il les moyens humains (compétences) et financiers ?
Un Chef de gouvernement par an, en moyenne
Avec la nomination de Sarra Zaâfrani Zenzri, ancienne ministre de l’Équipement, à la Kasbah, tout compte fait, cela donne six chefs de gouvernement depuis 2019, soit, en moyenne, un nouveau patron à la Kasbah chaque année. Un record, une gageure. Que peut accomplir un Chef de gouvernement en un délai très court, parfois moins d’un an ? Certes, la conjoncture se caractérise par de grandes exigences, une grande impatience et des défis majeurs à relever, ce qui nécessite indubitablement de la célérité et de l’efficacité, mais cela exige également de la planification stratégique dans le cadre d’un consortium de réflexion et de partage des tâches entre le gouvernement et les forces vives de la nation, ces relais qui donnent de la profondeur et de la durabilité à tous les projets nationaux. Sans une large concertation sur les moyens et les méthodes de concrétiser les ambitions nationales et une large participation à leur concrétisation, Zaâfrani à la Kasbah ou Madouri ou Hachani ou Bouden, ce sera du pareil au même. Sauf si les raisons du limogeage de Kamel Madouri sont autres.
Au cours de la même réunion du Conseil de sécurité nationale, le Président Kaïs Saïed s’est attardé sur une affaire intrigante liée aux lobbys de la corruption qui, selon lui, tenteraient d’infiltrer le Palais du gouvernement, à travers leurs agents, après avoir tenté vainement de le faire du côté du Palais de Carthage. Madouri n’aurait-il pas eu connaissance de ce qui se trame dans son administration ? Ou y aurait-il contribué, sciemment ou involontairement ? Ce sont là des questions qui restent pour le moment sans réponse et, en attendant, il y a lieu de s’inquiéter sur la stabilité, la cohésion et l’harmonie au sein de l’équipe gouvernementale qui sont susceptibles d’être impactées par les limogeages successifs et les fréquents renouvellements à la tête des administrations ministérielles.
Les balises de Zaâfrani
La nouvelle Cheffe du gouvernement, la deuxième femme à occuper ce poste, moins de deux ans après le départ de Najla Bouden, la pionnière à l’échelle du monde arabe à cette haute fonction, et après deux chefs de gouvernement de passage, Ahmed Hachani et Kamel Madouri, Sarra Zaâfrani Zenzri, ingénieure de terrain, qui a fait preuve d’une grande efficacité au ministère de l’Équipement et de l’Habitat, a, immédiatement, placé les balises de son nouveau chantier gouvernemental à la Kasbah. « Les exigences sont énormes et la situation impose la célérité », lâche-t-elle lors de sa première réunion avec l’équipe ministérielle. « Il n’y a pas d’autres choix que d’être à la hauteur des attentes en accélérant l’exécution et d’y ajouter de la valeur », précise-t-elle, insistant sur la nécessité de renforcer les efforts au service de la patrie. Elle se fait ainsi l’écho des exhortations répétées du Président Kaïs Saïed qui en appelle au patriotisme et à l’engagement des responsables au sein de l’Etat, en particulier dans les institutions et l’administration publiques, pour servir le pays sans compter et avec dévouement tout en œuvrant à barrer la route aux lobbys de la corruption qui cherchent à saper l’économie nationale et la cohésion sociale.
Les balises de Zaâfrani sont donc placées : « accroître le niveau de préparation, accélérer les réformes législatives et la mise en œuvre des réformes économiques, stimuler le développement, améliorer les services publics, répondre aux revendications sociales, améliorer les conditions de vie des catégories vulnérables ». Mais encore, « aligner les mesures financières et fiscales prévues dans la loi de Finances 2025 sur la vision de l’Etat et ses orientations ». Ce qui n’a pas pu être pris en compte lors de l’élaboration du projet de LF 2025, notamment pour ce qui concerne la révolution introduite dans la philosophie du travail et son corollaire, le marché de l’emploi.
La feuille de route de Zaâfrani est en parfaite harmonie avec les recommandations de Kaïs Saïed, l’unique référent des Tunisiens en matière de satisfaction des attentes nationales. La question qui se pose maintenant : contrairement à ses prédécesseurs, Zaâfrani aura-t-elle les moyens et le staff de ministres capables de satisfaire toutes les exigences du Président Kaïs Saïed qui cherche à augmenter la cadence des réalisations qu’il a promises aux Tunisiens ?
Il faut admettre que les indicateurs nationaux commencent à bouger, lentement mais sûrement, dans le bon sens, mais on est loin des réelles attentes et des grandes promesses.
Les priorités de Zenzri
Pour sa première sortie à la tête du gouvernement, Sarra Zaâfrani Zenzri, consciente de la lourde responsabilité qui lui incombe à un moment où le pays fait face à d’importants défis économiques et sociaux, a, avec force détermination, fixé les priorités devant permettre de relever ces défis et de renforcer la capacité d’action de l’Etat. On relèvera notamment :
- l’accélération de la préparation des réformes législatives,
- la mise en œuvre rapide des chantiers économiques,
- l’amélioration des services publics,
- le soutien aux catégories sociales vulnérables
- l’harmonisation des politiques fiscales et l’accélération des projets publics.
Autre objectif fixé au gouvernement, celui d’assurer une réponse concrète aux attentes populaires, à travers une gouvernance efficace, une vision cohérente et des mécanismes d’exécution agiles.
Il doit être au service du peuple et de la souveraineté nationale et faire preuve d’une meilleure cohésion. L’équipe ministérielle doit, selon la nouvelle Cheffe du gouvernement, s’illustrer par l’efficacité dans la réalisation, la réactivité face aux urgences et la capacité à incarner un changement de méthode et de mentalité, rompant avec les pratiques passées.
Les ministres doivent se prévaloir de dévouement, de rigueur et d’engagement.
Six chefs de gouvernement depuis 2019
La nouvelle locataire du Palais de la Kasbah est la seconde femme à être promue à cette haute charge, et la quatrième à occuper ce poste depuis le 25 juillet 2021 après Najla Bouden (du 11 octobre 2021 au 1er août 2023), Ahmed Hachani (du 1er août 2023 au 7 août 2024) et Kamel Madouri (du 7 août 2024 au 20 mars 2025).
Depuis l’accession de Kaïs Saïed à la magistrature suprême en octobre 2019, six (6) chefs de gouvernement se sont succédé à ce poste. En effet, aux quatre précédemment nommés, il faut ajouter Elyès Fakhfakh (de février à septembre 2020), puis Hichem Mechichi (de septembre 2020 à juillet 2021).
Qui est Sarra Zaâfrani ?
Compétence et intégrité
Âgée de 62 ans, elle est la deuxième femme à diriger un gouvernement en Tunisie, après Najla Bouden, et incarne une nouvelle étape dans la promotion des femmes aux plus hautes fonctions de l’État.
Diplômée en génie civil de l’École nationale d’ingénieurs de Tunis (ENIT), Sarra Zaâfrani Zenzri a également obtenu un diplôme de spécialisation en génie géotechnique de l’Université de Hanovre en Allemagne. Pour renforcer ses compétences en administration publique, elle a suivi des formations à l’Institut de Défense nationale et à l’École nationale d’administration (ENA).
À l’automne 2019, elle a complété un cycle de formation en politiques publiques, renforçant son expertise en gestion étatique.
Entrée dans la fonction publique en 1989, elle intègre le ministère de l’Équipement, de l’Habitat et de l’Infrastructure en tant qu’ingénieure à la direction des Ponts et Chaussées.
En 1992, elle est promue cheffe du service des ouvrages spéciaux, où elle supervise de grands projets d’infrastructure. Elle atteint le grade d’ingénieur général en 2010.
En janvier 2014, elle prend la direction générale de l’unité de gestion par objectifs, chargée du suivi des projets autoroutiers et de la libération des emprises foncières urbaines.
En octobre 2021, elle entre au gouvernement Najla Bouden en tant que ministre de l’Équipement et de l’Habitat. Elle s’y distingue par son efficacité dans le suivi des grands chantiers nationaux.
Désignée Cheffe du gouvernement en mars 2025, Sarra Zaâfrani Zenzri incarne le profil technocratique. Sans affiliation partisane connue, elle est perçue comme une fonctionnaire efficace et intègre, dotée d’une maîtrise des rouages administratifs. Polyglotte, elle parle arabe, français, anglais et allemand, un atout pour représenter la Tunisie sur la scène internationale. Elle incarne le profil technocratique en ces temps où la Tunisie est confrontée à de graves difficultés économiques et financières, avec une croissance poussive de 0,4% en 2024, un taux de chômage de 16% et une dette équivalente à environ 80% de son produit intérieur brut (PIB).
Sa nomination conforte la démarche du président visant à confier les rênes du pouvoir à des personnalités expérimentées et neutres politiquement.