Sauver la loutre

Par Alix Martin

Au moment où tous les visiteurs ne pensent qu’à profiter des plages et des bois de la région de Rtiba, bordant l’Oued El Abid, dans le Cap Bon, nous souhaitons attirer leur attention – leur compassion – pour les – dernières peut-être – loutres de Tunisie. Elles risquent de disparaître dans l’indifférence générale.

 

Un environnement favorable

Les alentours de l’embouchure de l’Oued El Abid sont un paradis pour les amateurs de Nature. Imaginez, de part et d’autre de l’estuaire, des kilomètres de plage de sable fin, bordés de dunes plus ou moins récentes et progressivement colonisées par la végétation parmi laquelle on note plus d’une quinzaine d’espèces végétales considérées comme plantes médicinales, comestibles ou utilitaires telles que le palmier nain utilisé en sparterie ou l’asparagus employé par les fleuristes de Tunis pour garnir les bouquets.

A l’Ouest d’un dernier bras d’Oued, contenant toujours de l’eau plus ou moins saumâtre puisque les grosses vagues peuvent l’alimenter, s’étendent des prairies et des champs cultivés. L’Est de l’Oued est bordé de dunes consolidées boisées ou plantées d’oliviers principalement.

Au Sud, de l’autre côté de la route menant à El Haouaria, les oliviers occupent le bas des pentes, boisées ou couvertes de maquis, du Jebel Sidi Abderrahmen qui culmine à 637 mètres. Cachée par les oliviers et des reboisements récents d’eucalyptus, une magnifique ferme coloniale résiste encore au vandalisme. Le « douar » des ouvriers agricoles est devenu un village auquel s’est jouit un élevage de chèvres.

On peut observer dans cette région une trentaine d’espèces d’oiseaux, sédentaires : le chardonneret ou le tout petit héron Blongios, migrateurs, de passage : la grive, la bécasse et le rossignol, nicheurs : la tourterelle des bois ou les hirondelles. A tous les plaisirs de la plage en été, s’ajoutent les randonnées et les pique-niques, les chasses ainsi que les parties de pêche en mer ou dans l’oued toute l’année. Les daurades, les loups, les marbrés et les mulets abondent. Les oursins sont à fleur d’eau !

Un développement économique

Imaginons que la grande ferme coloniale restaurée soit transformée en gîte rural qui hébergerait les pêcheurs, les chasseurs et les randonneurs, au moins, sans compter les citadins, amateurs de calme champêtre, venant de Tunis, situé à une cinquantaine de kilomètres. Du personnel hôtelier, des guides de chasse et de « rando » ainsi que des rabatteurs pour la traque des sangliers auraient du travail.

Les plantes médicinales pourraient être cueillies et vendues. Les espèces aromatiques fourniraient matière à distillation et à bouquets séchés.

La population locale constatant que les « plantes » fournissent des revenus, dans un premier temps, prendrait soin de l’environnement et peut être, dans un deuxième temps, en replanterait pour augmenter ces revenus.

Chasseurs, pêcheurs, producteurs de lait, de fromage et de chevreaux auraient pour clients immédiats les « touristes » logés à la ferme.

Les nombreux apiculteurs locaux viendraient se joindre à eux. Les éleveurs de volailles qui ne visent actuellement qu’à satisfaire leurs besoins personnels pourraient être formés à la production de mini-animaux : coquelets, pintadeaux, cannetons, cailles d’élevage qui n’existent pas encore sur le marché local.

La culture d’autres essences végétales pourrait démarrer et se développer : les figuiers, les noyers, les fruits rouges et les cerisiers. Des expériences ont été réussies localement avec les deux dernières espèces.

Plus motivés, les éleveurs de chèvres pourraient être invités à améliorer leur cheptel, en particulier par l’introduction d’espèces mixtes, à viande et à lait : type « Chèvres du Rove » françaises ou « Boer » d’Afrique du Sud dont l’élevage avait très bien réussi autour de Sedjenane.

Un label pourrait être créé pour les produits locaux : l’huile, le miel, la viande, le fromage : « La vallée de la Loutre », par exemple. La proximité de sites touristiques tels que Kerkouane, El Haouaria, Korbous, Soliman, Sidi Daoud, etc. … attirerait des visiteurs toute l’année. La « chasse photographique » pourrait se faire en toutes saisons.

 

Sauver la loutre

Dans cette zone où la biodiversité est très importante et les biotopes très variés, pourquoi laisser disparaître la loutre : lutra lutra, vestige, sans doute, d’une époque où le climat de l’Afrique du Nord était plus humide ? Ce carnivore très discret, aux mœurs plutôt crépusculaires, voire nocturnes, farouche et silencieux est très difficile à observer. On devine sa présence aux « coulées » dégagées à travers la végétation touffue des berges, par lesquelles il entre et sort de l’eau. Il les marque, comme certains petits promontoires, de quelques crottes caractéristiques. De 1 mètre de long environ, elle pèse entre 6 et 12 kilogrammes. Elle a une fourrure du gris foncé au brun, d’autant plus foncée qu’elle est mouillée. Très dense, elle l’isole de l’eau. C’est un animal curieux : ses petites oreilles se ferment hermétiquement en plongée et ses yeux, grâce à une courbure « réglable » du cristallin voient mieux sous l’eau. Ses pattes sont palmées. Des poils : les vibrisses disposées autour du nez et au niveau des sourcils, sont très sensibles et lui permettent de détecter les proies ou les obstacles, de nuit dans des eaux troubles ! Elle peut vivre 5 à 6 ans et commence à se reproduire à 3 ans pour les femelles mais à 2 ans pour le mâle, très « polygame ». Les « portées » sont de 2 à 3 petits.

Cet animal très discret est un excellent « marqueur » de la qualité de l’environnement. Il est très sensible à la pollution de l’eau. Aussi la construction d’un barrage sur l’Oued El Abid à 3 kilomètres en amont du site, en le privant d’eau douce, fera augmenter la salinité de l’eau, transformera de façon importante le biotope, et risque d’entraîner la disparition définitive de la loutre dans le Cap Bon, voire en Tunisie.

En collaboration avec le projet international appelé « Met Wet Coast » qui gère les zones humides de la région dont l’Oued El Abid, on pourrait imaginer réunir des scientifiques qui immédiatement étudieraient la loutre de l’Oued El Abid : ce qui n’a jamais été fait. Ils contrôleraient la salinité et la pollution de l’eau, leur impact sur la flore et la faune locale, en particulier celle dont la loutre se nourrit. Ils pourraient alerter les responsables de la gestion du barrage et, comme ils feraient partie d’un projet économique local, ils pourraient obtenir un lâcher d’eau douce au même titre que les agriculteurs pour irriguer leurs terres.

Les résultats de ces études pourraient être extrapolés et réutilisés pour sauver les dernières loutres, vivant peut-être encore, dans l’extrême Nord-Ouest tunisien. Elles aussi, courent le grand risque de disparaître dans l’ignorance et l’indifférence générale, alors qu’il suffirait de peu de choses pour les sauver.

Dans cette zone, d’autres animaux pourraient bénéficier d’une certaine protection : les derniers porcs-épics, les cailles trop chassées, les passereaux menacés, la genette et la mangouste qui se raréfient.

Des visites guidées pourraient être proposées à des groupes d’adultes mais surtout à des élèves dans le cadre d’un enseignement « environnemental ». 

Il semble bien que la conservation des espèces végétales autochtones pionnières soit importante pour fixer les dunes et protéger les champs agricoles en amont.

Le maintien de l’écosystème formé par l’Oued El Abid et ses alentours est primordial pour des milliers d’oiseaux. Les migrateurs, surtout les passereaux, y trouvent un lieu d’accueil riche en niches écologiques favorables à leur repos, leur protection, leur alimentation et leur nidification.

Dans un cadre très agréable, de belles plages de sable, de forêts parfumées, de maquis constellés de fleurs et de champs cultivés, le site de l’Oued El Abid peut plaire à des visiteurs aussi nombreux que curieux.

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