Une librairie « Passion du libr’ere » située à Ennasr risque de fermer ses portes, un élan de solidarité culturel et spontané s’est créé sur Facebook, nous avons pu rencontrer Mouna et Mohammed Aziz, deux des organisateurs d’un de ces évènements culturellement solidaires.
Bonjour, qui êtes-vous ?
Nous sommes un collectif qui essaye de sauver la librairie « Passion du libr’ere », c’est une action citoyenne spontanée qui s’est formée suite à l’annonce de la fermeture de la librairie.
Vous nous présentez cette action ?
Cette action vise à collecter des fonds afin de permettre à la librairie de survivre. Nous organisons des événements à la librairie (lecture théâtrale, projection de courts-métrages, atelier de caricatures…) et des évènements en dehors de la librairie grâce à des espaces solidaires avec cette action (un concert musical samedi 31 janvier à la villa 78, une exposition vente le Dimanche 1er Février et un concert musical à l’Agora le 3 février).
Quels sont les bénéfices attendus ?
Les bénéfices attendus nous permettront de pallier aux difficultés financières de la librairie, de la faire connaître auprès du public et de lui permettre de survivre. A long terme nous pensons à une stratégie avec des solutions durables.
N’est-il pas utopique de parler de livres “papier” à l’heure des liseuses et autres smartphones ?
L’un n’empêche pas l’autre, et rien ne vaut la sensation de toucher le papier et de sentir l’odeur d’un livre. La librairie n’est pas seulement un endroit où l’on vend des livres, c’est un espace d’échange, de débat et de création, grâce aux différentes activités que l’on y organise sur toute l’année, c’est aussi l’un des rares espaces culturels du quartier, un quartier hautement symbolique, où on ne voit que des cafés, des fast-foods et des commerces de vêtements. Est-ce cela, tout ce qu’on a à offrir à la jeunesse de ce quartier ?
Pourquoi les Tunisiens ne lisent pas selon vous ?
Ce problème date, au moins depuis l’avènement de la télévision satellite et ensuite de l’ère numérique. L’état, d’abord, n’a pas joué son rôle et même pire, une certaine idéologie utilitariste a jugé que la littérature et les arts en général sont secondaires et même dangereux. Les sciences exactes et les sciences commerciales ont été soutenues et les familles ont toujours voulu que leurs enfants deviennent ingénieurs, banquiers ou médecins, mais « science sans éthique n’est que ruine de l’âme ».
La télévision, la dureté de la vie pour les classes populaires et le phénomène mondial du matérialisme ont fait le reste.
A l’ère du numérique, la facilité d’accès à d’autres formes d’expression, nécessitant moins d’efforts d’apprentissage, paraissant plus en phase avec le temps et le développement du divertissement virtuel (jeux vidéos, chat, musique, cinéma hollywoodien…) ont rendu les choses encore plus difficiles surtout que les anciennes causes se sont empirées.
Que répondre à ceux qui assurent que la lecture est un luxe ?
Acheter des marques de luxe, des voitures de grosses cylindrées et des cafés à 10 DT le sont encore plus, et pourtant le quartier où existe cette librairie n’est rempli que de çà.
Nous ne voulons pas être dans la moralité, chacun est libre de faire ce qu’il veut. Mais nous pensons qu’un îlot de culture mérite sa place dans chaque quartier de ce pays. Nos enfants, nos jeunes ont besoin de connaître autre chose que les marchandises et le béton.
La culture en Tunisie est-elle vraiment un danger ?
Oui, malheureusement la culture est en danger, il suffit de voir les espaces culturels qui ferment et qui font faillite. Les rares espaces qui marchent, relativement, proposent d’autres services (cafés, co-working space…).
Nous répondrons à cette question autrement, en disant que les acteurs de la culture doivent faire appel à des outils un peu ludiques pour capter l’intérêt des lecteurs. Rendre la lecture agréable. En gros, donner envie aux lecteurs de se retrouver dans un espace humain où ils peuvent échanger, avoir accès à d’autres activités culturelles, créer/écrire ensemble… ça sera l’orientation de l’espace suite à cette action de sauvetage, ceci répond aux attentes de beaucoup de lecteurs et de clients de la librairie.
La culture est-elle une priorité ?
Le danger serait de se contenter du divertissement. Déjà nous souffrons du manque de culture de nos jeunes. La culture est essentielle pour se parer contre plusieurs phénomènes (populisme, intolérance, dogmatisme, superficialité, égoïsme…).
Notre pays a enfanté de très grands intellectuels, et sans la culture, nous risquons de voir une société monotone, facilement manipulable, qui se referme petit à petit sur elle-même. Ceci s’est déjà passé, en Europe, au moyen âge, pour la civilisation arabe après l’âge d’or de la période abbasside et l’Andalousie…
Avant chaque déclin économique et politique, il y a un déclin sociétal et moral. Avant chaque âge d’or, il y a une renaissance culturelle.
Pour être plus terre à terre, un peuple inculte ne vaut rien, même s’il a tout l’or du monde, il suffit de regarder les monarchies pétrolières et même nos pauvres voisins…
Propos recueillis par Farouk Bahri