Sauvetage du secteur laitier: Est-ce trop peu et trop tard ?

La crise du secteur laitier couvait depuis des mois sinon des années sans que des mesures appropriées soient prises par les gouvernements successifs pour restaurer la santé défaillante d’un secteur sensible et vital aussi bien pour les centaines de milliers de petits éleveurs que pour des millions de consommateurs.
Il faudrait rappeler tout d’abord que l’édifice original échafaudé il y a deux décennies pour parvenir à l’autosuffisance  en lait, a fait ses preuves d’efficacité alors qu’il n’était pas du tout évident de prime abord qu’un pays victime de stress hydrique puisse constituer un cheptel de production laitière de qualité correcte et en volume suffisant, alors que nos structures agraires sont dominées par  la petite exploitation.
La mise en place d’un élevage hors-sol avec de petits éleveurs répartis sur plusieurs bassins laitiers avec implantation de centres de collecte et de stockage du lait, a permis de réussir un véritable challenge, celui de l’autosuffisance avec des conditions sanitaires presque correctes.
Le diagnostic de la situation actuelle est celui d’une grave crise d’ordre structurel puisqu’il s’agit du bradage du cheptel laitier et de la disparition de plusieurs milliers de petits élevages, conjugués avec une détérioration des conditions économiques et sanitaires des élevages restants.
La hausse continue des prix des aliments composés, celle des médicaments vétérinaires et celle de la main-d’œuvre, ainsi que les coûts du transport, de la transformation et des emballages, font que la filière tout entière étouffe, enfermée dans la rigidité des prix imposés par l’administration.
Il faudrait ajouter à ces causes structurelles qui se sont accumulées depuis plusieurs années des motifs conjoncturels particulièrement néfastes : trois années successives de sécheresse qui ont réduit les superficies irriguées consacrées aux fourrages et dégradé la santé du cheptel.
La solution retenue par le conseil des ministres du 5 juillet 2018 a consisté à revoir les prix de cession du lait entre les différents partenaires de la filière, le prix d’achat du lait frais par les centrales passant de 766 millimes le litre à 890 à partir du 7 juillet. La prime de collecte passe de 70 à 90 millimes le litre, sans pour autant augmenter le prix de vente au niveau du consommateur, soit 1,120 D le litre de lait demi-écrémé UHT pour ne pas aggraver encore plus le taux d’inflation. Quant aux réajustements de prix, ils sont compensés par l’Etat : un coût de 90 millions de dinars par an, soit 15 millions de DT par mois.
Il s’agit là de mesures provisoires, si l’on peut dire de première urgence, pour calmer les esprits surchauffés des éleveurs et ne pas attiser encore plus la colère des consommateurs accablés par la flambée du coût de la vie de tous les jours. Mais il “faudrait beaucoup mieux faire” que cela.
C’est le ministère de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche qui a élaboré à la hâte un programme appelé exceptionnel de reconstitution du cheptel de race locale et mixte, à notre sens avec un budget très modeste et insuffisant de 33 millions de dinars mais qui ne sera applicable qu’à partir de 2019 alors que les problèmes sont graves et impliquent des mesures urgentes non seulement pour sauver le secteur mais aussi le revitaliser à moyen terme. En somme, on laisse des situations difficiles s’aggraver et provoquer des crises graves avant de prendre des mesures tardives et insuffisantes pour aboutir à une santé économique durable.
Heureusement qu’une décision a été prise de lancer une étude détaillée, approfondie et basée sur des données chiffrées.
Les principales mesures adoptées sont les suivantes. Il a été décidé de créer une caisse destinée à financer la promotion de la santé animale avec un fonds de départ de 10 millions de dinars. Les modalités, bien sûr, seront fixées ultérieurement, tout en espérant que ce sera à temps, avant la disparition totale du cheptel tout de même.
But : générer un troupeau de 5000 vaches.
Il faudrait aussi prendre d’autres mesures structurelles efficaces à moyen terme comme l’encouragement des périmètres irrigués fourragers pour réduire l’impact des importations de fourrages et faire baisser les coûts de l’alimentation du bétail.
Des incitations financières consistantes sous forme de crédits à moyen terme avec des taux bonifiés, doivent être accordés aux petits éleveurs pour reconstituer leur cheptel de vaches laitières et mixtes.
Les 150 centres de collecte du lait sont dans un état de détérioration avancée sur tous les plans et ont besoin d’urgence d’une mise à niveau réelle : subventions pour les équipements de réfrigération du lait et camionnettes-citernes réfrigérées pour le transport, outre la recapitalisation pour assurer le fonds de roulement. Le secteur est riche de potentialités pour l’export et la création d’emplois. 

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